La Haye, 1999
D.P.H : dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale
La responsabilité des religions et des croyants à l’égard de la construction de la paix
Le présent dossier réunit des fiches de cas et de courts textes de perspectives. Il est consacré à la responsabilité des religions et des croyants à l’égard de la construction de la paix et centré sur la préparation et la tenue d’un séminaire international réunissant, du 9 au 15 mai 1999, une trentaine de personnes engagées, à des titres divers et en lien avec leurs convictions religieuses, dans la construction de la paix.
I. Un collège des religions pour la paix
Le séminaire international organisé, s’inscrit lui-même dans le programme “Art de la paix” conduit par la FPH. Au sein de ce programme est progressivement apparue l’importance de l’engagement des différents milieux sociaux et professionnels dans la construction de la paix. En effet, l’organisation internationale de ces milieux, leur place actuelle ou potentielle dans la guerre et la paix, en font des acteurs collectifs importants.
Ainsi, les jeunes sont à la fois les plus vulnérables aux passions nationalistes mais peuvent aussi tisser des réseaux internationaux de résistance à ces passions et de promotion des droits de l’homme.
Les femmes, parfois égéries de la guerre, sont souvent en première ligne des combats pour la tolérance et la réconciliation. En Argentine, en Afrique, en Russie, en Irlande, des réseaux de femmes et de mères ont été un facteur décisif dans la lutte contre la guerre.
Les scientifiques, dont les recherches sont décisives pour les efforts d’armement ont eux aussi su tisser, même par dessus le rideau de fer, des réseaux de résistance à la guerre.
L’ambition du séminaire organisé à Amsterdam conjointement avec la Conférence Mondiale des Religions pour la Paix (WCRP) a été précisément de contribuer à la construction d’un collège des religions pour la construction de la paix.
II. Religion, guerre et paix
La religion apparaît aujourd’hui comme cause de conflits et de guerres, dans plusieurs parties du monde : entre catholiques, musulmans et orthodoxes en Europe de l’Est et dans les Balkans, entre catholiques et protestants en Irlande, entre juifs et musulmans en Israël, entre hindouistes et musulmans, en Inde et au Pakistan, entre musulmans et chrétiens en Indonésie…
Elle apparaît également comme médiatrice dans la résolution de plusieurs conflits inter-communautaires : dans les Conférences Nationales des pays africains, dans la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, dans la fin de la guerre civile au Guatemala.
La religion semble ainsi véhiculer les passions les plus guerrières et les actions les plus pacificatrices. Elle est traversée par l’ambiguïté. Elle délimite l’appartenance communautaire, et de ce fait crée souvent des divisions à l’intérieur même d’une unité nationale. Dans le même temps elle unifie, au-delà des frontières locales et des identités nationales. Elle masque souvent des rivalités qui relèvent de différences culturelles, sociales, économiques, politiques ou autres, et en même temps elle leur sert de moyen d’expression. Quand elle pousse à la violence et à l’affrontement, elle cache souvent d’autres causes de conflit ; et quand elle aide au processus de paix, elle sert plutôt à révéler et à dire ce qui dans la logique guerrière ne peut pas être dit. Quand elle est revendiquée comme cause de violence elle intègre et homogénéise toutes les différences identitaires sous l’identité confessionnelle. Quand elle devient instrument de paix, quand elle rend possible le pardon et la réconciliation, elle désintègre pour unir autrement. La religion « contient » donc la violence dans les deux sens du terme contenir : elle la recèle et lui fait barrage ; elle la porte et l’arrête ; elle l’enflamme et l’endigue. Cette ambiguïté observée dans le rôle joué aujourd’hui par la religion dans plusieurs des conflits locaux et internationaux, pose la question de sa nature. Identifier les facteurs qui expliquent cette ambiguïté peut aider à trouver des moyens pour désarmer sa potentialité guerrière et pour se servir de sa potentialité pacificatrice.
III. Des expériences au service de la paix
L’une des singularités de ce séminaire a été de réunir à la fois des croyants de différentes confessions et des chercheurs. Il était important en effet de sortir d’un simple recueil d’engagement militants ou d’affirmations lénifiantes et théoriques sur le potentiel de paix de chaque religion. C’est ce qu’a permis la contribution de jeunes chercheurs réunis par le Centre de Recherche sur la Paix de l’Institut Catholique de Paris.
La dynamique s’est déroulée en deux temps :
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La rédaction d’un premier dossier de travail constitué de fiches d’expérience en collaboration avec une équipe d’étudiants du Centre de recherche sur la Paix.
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L’organisation d’un atelier préparatoire de deux jours qui a réuni une trentaine de participants à Amsterdam du 9 au 11 mai. Il a permis d’enrichir la réflexion et de préparer l’animation d’un atelier public pour la conférence internationale pour la paix de la Haye, qui s’est tenue immédiatement après, du 11 au 15 mai. Cette conférence célébrait le 100e anniversaire de l’appel de La Haye. Elle fut l’occasion de donner à ces questions l’importance qu’elles méritent.
Certes, une rencontre de deux jours ne pouvait pas prétendre à elle seule tracer des perspectives définitives s’imposant à tous les croyants et à toutes les mouvances religieuses. Néanmoins, nous tenons à souligner que des conclusions et des perspectives claires se sont dégagées et que nous aimerions mettre en débat. Anne-Sophie Lamine et Bernard Reber du groupe interreligieux de Saint-Denis ont particulièrement travaillé à leur mise en note, qu’ils soient ici remerciés.
Les différents niveaux de violence sont du plus profondément individuel au plus largement collectif. C’est dans ces différents niveaux qu’il faut trouver des réponses.
Constatant d’abord que chaque religion recèle un potentiel de violence et un potentiel de paix, on ne peut limiter le potentiel de violence et valoriser le potentiel de paix qu’en approfondissant chacun sa propre religion à la lumière des autres.
Constatant ensuite, que la gestion pacifique du monde de demain passe par la construction de l’unité dans la diversité, nous disons que l’engagement commun des croyants dans la résolution des défis du monde contemporain, est un moyen privilégié s’y parvenir.
Constatant enfin, l’interpénétration du religieux, du social et du politique, nous devons reconnaître que les religions ne se peuvent se borner à se détacher du monde ; elles doivent développer en commun leurs capacités d’interpellation de l’ordre économique, social et politique.