1. « Le rôle des médias dans la transformation des conflits : le cas zimbabwéen », par Claske Dijkema.
C’est par une allégorie que Claske introduit son propos. Après avoir remis à tous ceux qui étaient présents un format où figuraient deux points à équidistance, sur la même face, elle a demandé aux uns et aux autres s’il était possible de relier ces deux points sans plier le bout de papier dont ils disposaient ? La réponse a été donnée par l’intervenante qui coupera en deux morceaux le format. La moralité de cette allégorie introductive est qu’ « il faut être co-actif pour transformer un conflit ». Le conflit en soi n’est pas forcément négatif, parce qu’il donne l’occasion aux femmes et aux hommes de s’arrêter pour transformer leur société, par un rééquilibrage des relations de pouvoir, affirme-t-elle.
Par la suite, Claske, parlant du cas zimbabwéen, a parlé de la manière dont les partis politiques utilisent les médias pour asseoir leur leadership tout en présentant les autres comme des ennemis de la nation. Il transparaît ainsi que les médias sont mis à contribution pour semer et entretenir, parfois de manière inconsciente, les germes potentiels des conflits futurs. Car les conflits sont à l’image d’une courbe, poursuit Claske. La courbe qui monte représente l’évolution de la tension, qui se traduira si elle n’est pas stoppée, en violence. On observe, dès lors, qu’il existe un lien entre les dynamiques des conflits et les dynamiques communicationnelles. L’exemple de la radio « Mille colline » au Rwanda est cité à titre illustratif.
C’est par cet exemple que le modérateur introduit Yves Mintoogue, ancien militant de l’Association pour la Défense des Droits des Etudiants du Cameroun (ADDEC).
2. « Le rôle et la responsabilité des médias occidentaux dans la diffusion d’idées reçues et de clichés sur les conflits en Afrique », par Yves Mintoogué.
Yves Mintoogue a pour sa part mis en exergue le rôle et la responsabilité des médias occidentaux dans la diffusion des idées reçues et des clichés sur les conflits qu’on observe en Afrique. Il a introduit son propos en mettant en exergue deux types de dynamiques qui travaillent le continent africain et qui lui apparaissent comme les principales sources de conflits sur le continent. Il s’agit, d’une part, des dynamiques liées aux « contraintes globales » qui pèsent sur l’Afrique et, d’autre part, des dynamiques internes liées aux rapports entre identité, inégalité et accès aux ressources sur le continent.
En parlant de « contraintes globales », il désignait notamment la dette ainsi que les politiques économiques et sociales imposées par les institutions financières internationales aux pays africains. Ces dernières ont des conséquences particulièrement négatives sur les conditions de vie des populations africaines (en termes d’accès à l’éducation, à la santé, à une alimentation saine et à diverses denrées de première nécessité) qui en sont les principales victimes. Ce sont ces dynamiques qui sont à l’origine de la plupart des émeutes de la faim qui ont secoué de nombreux pays africains à la fin des années 2000. L’intervenant estime par ailleurs qu’il existe souvent des alliances stratégiques complexes entre les puissances occidentales qui imposent ces conditionnalités et les élites prédatrices locales, lorsque ces dernières ne sont pas évincées sur la base de considérations qui, au fond, n’ont pas grand-chose à voir avec l’intérêt des populations locales. D’après Yves Mintoogue, c’est sur ce terreau que se développe en Afrique une perception de plus en plus négative de l’action de la « communauté internationale » mais aussi des médias internationaux que beaucoup d’Africains considèrent aujourd’hui comme des alliés objectifs de dominants dont ils reprennent et relaient le discours, par la légèreté avec laquelle ils traitent souvent l’actualité africaine.
Quant aux dynamiques internes liées aux questions d’identité, d’inégalité et d’accès aux ressources, Yves Mintoogue estime qu’elles touchent en réalité aux questions de fond telles que : qui est garant des droits de tous et de chacun ? A quoi ai-je droit du fait de mon appartenance à une ethnie, une religion ou une région ? A qui appartiennent les richesses du pays et qui peut en disposer ? Etc. Yves estime que ce sont souvent ces questions (irrésolues) sur les conditions et les modalités d’accès à la citoyenneté, à l’égalité et aux ressources qui exacerbent les conflits identitaires sur le continent et non l’inverse. Or, dit-il, les médias internationaux/occidentaux tendent souvent à inverser les choses en présentant les effets et les conséquences comme des causes.
L’aggravation des inégalités et la corruption sont pourtant à l’origine de la contestation quasi permanente des pouvoir en place, souvent illégitimes. Car en vertu de quoi les Africains devraient-ils se plier à l’autorité d’Etats qui ne remplissent pas les obligations minimales qui les rendraient utiles aux populations et non nuisibles pour l’émancipation de ces dernières. Or les choses ne sont pas toujours présentées ainsi par les médias internationaux qui laissent plus l’impression que beaucoup de ces conflits auraient quelque chose d’irrationnel propre à l’Afrique et aux Africains. C’est donc cette image exotique de l’Afrique perçue comme un continent où rien ou presque ne serait jamais vraiment comme ailleurs que contribuent à diffuser les médias occidentaux, contribuant ainsi à obscurcir aux yeux de l’opinion internationale les véritables causes des conflits sociaux et politiques en Afrique.
De ce fait Yves Mintoogue dit douter que les médias internationaux jouent un quelconque rôle dans la transformation des conflits en Afrique ; mais il voit surtout leur rôle dans la construction d’un discours sur les conflits et sur le continent africain en général qui ne correspond souvent en rien à la réalité, « qui transforme des masque en visages, des effets en causes ». En bref, pour l’intervenant, ces médias sont sujets à des clichés dont ils peinent à sortir et qui, parfois, sont liés à un inconscient raciste qui a une longue histoire.
C’est sur ces propos que le modérateur introduit le Directeur Afrique centrale de la chaîne panafricaine « Vox Africa » en lui posant la question de savoir si le média pour lequel il officie serait à la solde des dominants ?
3. « Les médias panafricains et la liberté d’expression », par Jules Domche.
Prenant la parole, Jules Domche, pose les principales interrogations auxquelles il se propose de répondre. La première tient à la perception des médias, la seconde, à la manière dont ces médias transforment les esprits, et enfin, au rôle éventuel que ces médias jouent dans les conflits en Afrique
C’est en puisant dans le contexte socio-politique d’émergence des médias audio-visuels en Afrique que l’intervenant éclairera les interrogations sus-évoquées.
Le contrôle des ondes occupent une place centrale dans la réussite des coups d’états en Afrique. Jules Domche prend comme exemple le coup d’état opéré par Mubutu le 14 septembre 1960 au Congo-Kinshasa. Mubutu s’était alors servi de la radio pour légitimer sa prise du pouvoir.
De même, poursuit l’intervenant, on a également observé que les médias ont occupé une place centrale lors du coup d’état manqué du 6 avril 1984 au Cameroun ; le message radiodiffusé des putschistes (qui annonçait la chute du régime du président Biya) n’ayant été relayé que dans la capitale et non sur toute l’étendue du territoire, du fait d’une ruse qu’on prête à un technicien de la radio nationale. Ces deux exemples suffisent à montrer la place fondamentale qu’occupent les médias dans le paysage socio-politique en Afrique.
On peut, dès lors, précise l’intervenant, se poser les questions suivantes : comment le politique opère-t-il pour contrôler l’outil médiatique ? Comment les médias existant vont influencer la sphère politique ?
Jules Domche s’appuie sur l’exemple de la crise post-électorale, de novembre 2010, en Côte d’Ivoire pour illustrer son propos sur l’influence des médias dans une société. En effet, la Côte d’Ivoire s’est retrouvée, pendant cette crise post-électorale, avec deux chaînes de télévisions qui étaient les instruments de propagande de chacune des deux factions en conflit et de dénigrement de l’adversaire. La Radio-Télévision de Côte d’Ivoire, (RTI) était étiquetée « pro-Gbagbo » et la Télévision de Côte d’Ivoire (TCI) était dite « pro-Ouatarra ». Ces deux médias avaient pour objectif de contrôler l’opinion. Et dans cette bataille pour le contrôle de l’opinion, reprenant à son compte l’approche de Yves Mintoogue sur le rôle des médias occidentaux, Jules Domche met en évidence le rôle joué par les entreprises de communications occidentales dans la bataille qui opposait la RTI à la TCI en montrant comment ces médias occidentaux avaient adopté une attitude partisane en prenant fait et cause pour la TCI. La RTI fut par conséquent retirée de l’entreprise « Canal-Sat » et remplacée par la TCI
A la suite de l’exemple relatif à la crise post-électorale en Côte d’Ivoire, l’intervenant s’appuie sur le cas rwandais avec le rôle joué par les médias dans cette crise qui aura marquée les esprits, « le génocide Tutsi ». La radio dénommée « Mille Collines » a joué un rôle important dans la préparation des esprits. Elle a passé la majeure partie du temps a attisé la haine des Hutus contre les Tutsi en instrumentalisant le passé et en faisant valoir que les Tutsi avaient toujours été les oppresseurs des Hutus.
En définitive, on voit très bien que les médias ont un positionnement central dans l’équilibre de la société politique en Afrique. Ils sont au cœur des conflits en Afrique. Ils peuvent soit participer à l’avènement d’un conflit, à son entretien, ou prévenir les risques qu’encourt la société en émettant des signaux d’alerte sur certaines dérives sociétales et sociales.