Comment des gens intelligents qui partagent les mêmes convictions fondamentales par rapport à un projet, peuvent-ils laisser des détails techniques sur lesquels il sont en désaccord en bloquer durablement la réalisation ?
C’est cette question simple qui a motivé l’organisation par le gouvernement français, avec l’aide d’experts, de trois jours de séminaire de réflexion sur le projet de Protocole au Pacte des droits économiques, sociaux et culturels des Nations Unies adopté en 1966. Une initiative qui s’inscrivait, naturellement dans le cadre de la préparation de la troisième session du groupe de travail créé par la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies et dans le prolongement des séminaires organisés par la Croatie et le Portugal au cours des années précédentes.
Quels désaccords s’agissait-il d’analyser ? Ceux qui opposent, depuis une grande décennie, les partisans et les adversaires d’un élargissement de la compétence du comité chargé du contrôle du respect du Pacte à la possibilité de traiter de cas individuels ou collectifs de violations.
Et qu’est ce qui nous faisait penser que derrière ces divergences se cachait un solide socle de convictions communes ? Le fait que les droits économiques, sociaux et culturels soient aujourd’hui justiciables dans un très grand nombre de pays, sur tous les continents – à commencer par l’Europe -, et que l’utilité de mécanismes quasi-judiciaires permettant le partage et l’émulation entre bonnes pratiques soit désormais largement reconnue dans le domaine des droits de l’Homme. L’exception DESC nous paraissait relever pour beaucoup du malentendu.
La réunion de spécialistes aux opinions très diverses à l’égard du projet de protocole pour tenter de dépasser les difficultés existentes.
Tous les scientifiques savent que la difficulté d’un problème résulte souvent du fait qu’il a été mal posé. Nous avons souhaité organiser une rencontre où l’on s’efforcerait collectivement de regarder sous différentes facettes les « points durs » rencontrés par la négociation du projet de Protocole DESC pour identifier d’éventuels biais, imprécisions, connotations et autres préjugés affectant les termes de la discussion. Nous avons proposé à une centaine de spécialistes appartenant à des institutions de différentes catégories – Etats, organisations multinationales, universités et ONG -, venues des différents continents et partageant des opinions très diverses à l’égard du projet de protocole, de se réunir dans la jolie ville de Nantes pour explorer ensemble ces questions « difficiles ».
En tant que l’un des organisateurs de cette rencontre estivale (3 au 5 septembre 2005), caractérisée par un rare climat de compréhension que d’aucuns ont qualifié d’esprit de Nantes, j’apparaîtrais évidemment suspect et immodeste si j’affirmais que la méthode a réussi au point que toutes les difficultés ont été dépassées ! On me croira sans doute davantage si je me contente d’affirmer qu’un éclairage non idéologique et enrichissant a pu être apporté, par cette méthode, à l’ensemble du débat, favorable à la suite de la négociation.
Peut-être même est-on allé plus loin. Un indice : en novembre 2005, lorsque l’Organisation Internationale de la Francophonie s’est réunie pour faire le bilan de sa politique de promotion de la démocratie et des droits de l’Homme et identifier les moyens de lui donner une dynamique nouvelle, elle a décidé à l’unanimité, dans son Acte final de Bamako, que les pays qui ont le français en partage soutiendraient le projet d’un protocole additionnel au Pacte des DESC.
La publication d’un ouvrage présentant les principales conclusions de la rencontre.
Tous les participants au groupe de travail ad hoc n’avaient pu faire le déplacement de Nantes et la question s’est posée à nous : comment faire connaître aux absents ce qui s’était dit, en sorte que la session de négociation de février puisse s’en nourrir ? Editer des actes complets en si peu de temps a dû être exclu : certains universitaires avaient des contraintes vis-à-vis de leurs éditeurs habituels, des diplomates des autorisations à obtenir, etc.
La Fondation Charles Léopold Mayer, qui avait déjà contribué au financement du séminaire, nous a alors proposé de publier un ouvrage qui se limiterait à présenter les principales conclusions ressorties de la rencontre de Nantes. Cela pourrait se faire par convergence de deux approches :
Une juriste ayant participé au séminaire serait recrutée comme chargée de mission pour réaliser ce projet d’édition (Cheffi Brenner, dont le prométhéen travail doit être salué ! ). La responsabilité de l’ensemble de cet ouvrage serait assumée par un comité éditorial réuni par la Fondation. Il était composé de Horacio Ortiz, Didier Agbodjan, Véronique Rioufol et Gustavo Marin. Je les remercie vivement
C’est le fruit de cette collaboration que nous avons le plaisir de vous livrer sous la forme de ce petit livre bilingue. Vous voudrez bien pardonner ses imperfections dues au manque de temps.