Le triangle des conflits liés aux ressources

Cette partie est une discussion sur les fondements théoriques de notre travail.

Dans les précédentes rubriques sur le cadre TCR, nous avons vu dans quelle mesure l’espace, le temps et les relations constituent des outils pour l’analyse.

L’analyse n’est pourtant qu’une étape dans le processus de transformation d’un conflit. En voici d’autres :

 Engager les populations dans la transformation non-violente du conflit ;
 Instaurer des processus créatifs et rétablissant la confiance ;
 Instaurer comme objectif : la réconciliation, la justice réparatrice et la paix.

Les dimensions spatiale, temporelle et relationnelle sont également pertinentes au cours de ces étapes.

1. Engager les populations dans la transformation non-violente du conflit

Le cadre TCR avance que la transformation d’un conflit portant sur des ressources est uniquement possible lorsqu’elle suit un processus garantissant la « pensée critique » des acteurs ou des parties prenantes, et si elle parvient à « convaincre » ceux-ci de la possible résolution pacifique du conflit.

Ici, la « pensée critique » consiste à former un point de vue objectif sur le conflit. Il s’agit de faciliter un processus permettant non seulement à chacune des parties d’exprimer effectivement ses problèmes à l’autre, mais également de les encourager à comprendre et à s’intéresser à l’autre partie dans le respect mutuel.

Cependant, avec cette « pensée critique », une mauvaise compréhension des intérêts, des besoins ainsi que de « l’histoire » d’une partie par la partie adverse peut déclencher d’interminables débats sur les positions et les intérêts quant au conflit. La résolution pacifique du conflit peut être entravée lorsque les acteurs n’apprécient pas sa valeur et qu’ils ne voient pas de manière claire ses opportunités.

Ainsi, « convaincre » toutes les parties de l’utilité d’une résolution pacifique est uniquement possible si tous les acteurs sont davantage engagés dans l’utilisation de moyens pacifiques plutôt que violents, et s’ils réalisent qu’ils ont les ressources en eux.

Oberg souligne que le plus important dans un processus de réconciliation est probablement le fait de donner aux populations des occasions pratiques de reconstruire la confiance, de travailler ensemble et de voir qu’elles ont davantage à y gagner en arrêtant de se faire la guerre.

Lors d’un processus de transformation de conflit, pour faciliter efficacement la construction d’une « pensée critique » et « convaincre » tous les acteurs engagés de la nécessité d’une résolution pacifique du conflit, il est ensuite important d’identifier les faits provenant des perceptions, de transformer les peurs en espoirs, d’oublier la notion d’impuissance individuelle pour penser en termes de puissance collective, et de s’assurer que tous les acteurs du conflit s’approprient le processus.

Un processus de transformation de conflit nécessite la création d’un espace de véritable responsabilisation, d’appropriation et de participation à la consolidation de la paix. Lederach propose d’innover en approchant la nature profonde des conflits extrêmement enracinés au sein des sociétés divisées. Pour reconstruire des relations, nous devons développer des moyens innovants pour fournir des espaces où les aspects émotionnels et psychologiques liés au conflit pourront être traités.

On considère pour le cadre TCR qu’il est essentiel de fournir à toutes les parties prenantes un espace sécurisé pour l’expression libre, les débats, les dialogues et les révélations. Il s’agit d’une étape indispensable dans la négociation et la réconciliation.

Selon Lederach (1997 : 27), la réconciliation, est « un lieu de rencontre où peuvent se croiser les préoccupations concernant à la fois le passé et l’avenir » et une « rencontre impliquant qu’un espace permettant la reconnaissance du passé et la visualisation de l’avenir, est une composante indispensable pour le recadrage du présent. »

Le fonctionnement du cadre TCR, nécessite impérativement de consacrer suffisamment de temps et de ressources pour soutenir le processus adapté et long, avec une prise en compte convenable du rythme de la communauté, ainsi que des autres facteurs situés hors du contrôle des facilitateurs.

John Paul Lederach (1999) souligne que « nous avons besoin de temps, et que la réconciliation doit faire attention aux formules toutes prêtes incitant au « pardon » et à la « gentillesse » mutuelle. Les personnes bien intentionnées peuvent certes conseiller aux parties en opposition de pardonner et d’oublier rapidement, mais il peut falloir à celles-ci une longue période ainsi qu’une séparation géographique pour déclencher une guérison ».

Lederach souligne également que faute de ressources adéquates, d’une préparation explicite, et d’un engagement dans le temps, la paix restera un idéal distant plutôt qu’un objectif pratique. L’objectif essentiel en ce qui concerne les ressources est de trouver des moyens de soutenir, de mettre en œuvre, et de rendre durable la construction d’une infrastructure pour la paix sur le long terme.

2. Processus créatifs et de consolidation de la confiance

Le cadre TCR avance également que les relations sont autant les bases du conflit que celles de sa résolution à long-terme.
Nous nous référons à nouveau à Lederach lorsqu’il soutient qu’en travaillant pour la réconciliation, « Nous devons traiter la dimension relationnelle comme la composante centrale de la consolidation de la paix. Cependant, il faut noter lorsque leur histoire est faite de conflits violents et intenses, les parties ont de nombreuses raisons de se méfier mutuellement. Le processus de développement d’une confiance effective est donc lent et il se construit sur de nombreuses étapes de réassurance mutuelle ». Dans des sociétés divisées, il est fondamental de trouver un catalyseur pour la réconciliation, pour ensuite le rendre durable. La réconciliation consiste non pas à chercher des manières innovantes de se désengager ou de minimiser les liens au groupe conflictuel, mais plutôt à élaborer des mécanismes engageant les diverses parties d’un conflit dans des relations humaines.

Fisher, et.Al. (2000:112) ont clairement expliqué la nécessité de consolider la confiance pour réussir la transformation d’un conflit : « A la suite d’une intense période de conflit ayant potentiellement généré de nombreuses violences et souffrances, il est difficile pour les membres des groupes opposés de se faire mutuellement confiance. Les négociations peuvent certes avoir débouché sur certains accords, mais les opposants ont appris se craindre et à se méfier mutuellement. En fait, leur méfiance mutuelle peut être plus forte que celle qu’ils ont à l’égard des étrangers. Il faut vraiment beaucoup de temps pour convaincre chaque camp que l’attitude de celui d’en face a changé : il est uniquement possible de croire au changement d’attitude s’il existe une continuité dans le changement des comportements ».

Mica Estrada-Hollenback (2001:69) définit plus en détail la confiance effective : « Bien sûr, ‘régler un conflit’ dépasse le simple fait de suspendre la violence. Il s’agit plutôt de quitter les parties en conflit, avec des institutions et des attitudes favorisant les interactions pacifiques. Ce type de règlement implique également l’établissement d’une confiance effective. Celle-ci signifie un degré de confiance assez élevé pour permettre aux parties de participer (parfois avec précautions) aux activités de résolution de problèmes, comme les négociations ou les médiations ». Kelman (1993a) la décrit comme une « confiance suffisante pour permettre [aux parties] de procéder au travail en commun d’analyse conjointe, de résolution interactive de problèmes et de planification de mise en œuvre ».

Un processus de transformation de conflit se doit ainsi d’être suffisamment adapté pour que les parties en conflit et la communauté affectée aient une confiance durable à l’égard du processus lui-même. Il doit également finir par gagner la confiance des parties non seulement envers le processus et les facilitateurs, mais aussi entre elles. Il faut pour cela employer une large gamme d’activités reliées entre elles, telles que le dialogue, les rituels, les ateliers de résolution de problème, les jeux de rôles, la médiation, en incluant la médiation navette, entre autres.

Rupensinghe (1998:128) souligne que les personnes endossant un rôle de facilitateur dans la transformation d’un conflit doivent savoir guider et mener un processus de communication ou de négociation. « Les facilitateurs doivent avoir une connaissance complète du conflit ainsi que de fortes compétences analytiques et de médiation ».

Selon Lederach, la nature des conflits contemporains nécessite le développement de théories et de pratiques « au niveau médian ». Il propose de fournir une position unique aux acteurs de niveau médian au sein de la population pour de meilleures chances de construire une infrastructure pour la paix. Ils sont en mesure d’influencer les processus et les personnes à la fois au sommet et dans la population. S’ils sont mobilisés de manière stratégique pour la consolidation de la paix, les dirigeants de niveau médian peuvent poser les bases d’une transformation à long terme et durable du conflit.

Le cadre TCR propose que l’équipe de tiers soit un corps tripartite de niveau médian et populaire composé des représentants du gouvernement, de la société civile et des acteurs directs engagés (les parties en conflit et les communautés affectées).

L’engagement des fonctionnaires administratifs locaux est essentiel pour légitimer le processus et pour mobiliser facilement les ressources nécessaires et le soutien technique du gouvernement. Comme le conflit lié aux ressources a pour origine principale la violence structurelle, il faut mobiliser les institutions pour initier les changements nécessaires.

Les organisations de la société civile ont un rôle de facilitateurs objectifs dans le cadre TRC.
La facilitation du processus de transformation du conflit par des tiers est une composante essentielle du cadre TCR. Elle nécessite des médiateurs responsables, compétents, engagés, créatifs et favorisant l’autonomie, qui peuvent fournir un espace sécurisé, et dégager suffisamment de temps et de ressources, et étant en mesure de faciliter un processus créatif et de consolidation de la confiance pour la transformation d’un conflit lié aux ressources.

Les principes suivants doivent guider le tiers dans sa médiation :

— Il doit uniquement faciliter et catalyser le règlement du conflit ;
— Il ne doit pas imposer ses aménagements ni ses décisions pour le règlement du conflit ;
— La résolution d’un conflit n’implique pas nécessairement d’identifier les victimes et les bourreaux parmi les parties ;
— Il est de sa responsabilité d’aider les parties en opposition à comprendre que la résolution du conflit est entre leurs mains (c’est à elles d’identifier les problèmes, de former le cours de leurs interactions, de créer collectivement un aménagement, et de décider de sa résolution finale).

Fisher, et.Al. (2000:129) soutiennent que la participation et l’autonomisation des groupes locaux, des parties et des associations dans un processus de paix est fondamentale. Les victimes d’un conflit doivent devenir les architectes, les propriétaires et les acteurs concernés sur le long terme de tous les accords passés. Les vrais acteurs concernés par le processus de paix sont les populations. Elles doivent sentir qu’elles ont été consultées et qu’elles ont une influence sur les négociations qui les toucheront de près.

Ainsi, le cadre TCR insiste sur le fait que les parties en opposition et les communautés affectées doivent s’approprier le processus de transformation du conflit. Il ne suffit pas de simplement les consulter. Elles doivent plutôt être celles qui analysent. Pas seulement être informées, mais plutôt avoir le contrôle sur la prise de décision quant à la direction et au processus de transformation du conflit. Leur représentation dans le groupe de facilitation « de tiers » est donc essentielle.

3. Les objectifs : réconciliation, justice réparatrice et paix.

Il est important de clarifier dès le départ les objectifs du processus de résolution du conflit avec les principaux acteurs engagés. Ceci peut servir d’inspiration, de direction, comme un « phare » pour le processus de transformation du conflit.

Le cadre TCR adopte une démarche de Justice réparatrice en traitant la violence dans un conflit lié aux ressources. Selon la définition d’Abu-Nimer (2001 : 74) : « La Justice réparatrice nécessite non seulement que les parties aient confiance dans le processus, mais également qu’elles soient encouragées à faire davantage preuve de confiance mutuelle. La justice réparatrice intervient une fois que les populations entretiennent une bonne entente (lorsqu’elles expérimentent la paix matériellement, socialement et spirituellement) ». La justice implique ici la restauration des relations. L’objectif du cadre est donc de réussir la Réconciliation entre les parties du conflit.

Les populations locales et leurs cultures représentent la plus grande ressource pour une paix durable à long terme. Lors du développement d’un cadre pour une réconciliation durable, il est important que soit prévue dans l’aménagement la constitution d’un mouvement pour la paix. Il faut considérer les populations comme des ressources, et non pas comme des réceptacles. En d’autres termes, pour obtenir des changements durables, il faut considérer que l’établissement de la paix doit se faire intégralement grâce aux citoyens et non pas en parallèle.

Avec l’engagement des institutions gouvernementales dans le processus, les initiatives de transformation des conflits liés aux ressources utilisant ce cadre peuvent également contribuer à initier des modifications politiques et structurelles. Les plaidoyers peuvent se baser sur les expériences et les informations et il est attendu des représentants « transformés » du gouvernement qu’ils soient en mesure de générer des changements à leur niveau d’influence.

On s’attend à ce que le règlement du conflit lié aux ressources, ainsi que la construction d’un mouvement pour la paix apprenant à partir des expériences et développant une plus grande coopération, posent les bases pour un développement social et économique de la communauté et d’un plus large public.

En ce qui concerne l’ESPACE, le TEMPS et les RELATIONS, le cadre TCR a pour objectifs de :

— Générer chez toutes les parties prenantes un respect pour les accords de règlement des litiges quant à la propriété des ressources et à leur utilisation ;

— Restaurer les relations, resserrer les liens et la coopération dans la communauté pour une paix durable ;

— Permettre aux parties prenantes d’apprendre à partir de leurs expériences et obtenir leur engagement pour la construction d’un avenir pacifique pour tous.