I. Contours de l’Etude
L’Institut pour la Gouvernance en Afrique Centrale a identifié les conflits identitaires comme un enjeu majeur de recherche. Un certain nombre de raisons, en lien avec le contexte qui est celui des pays d’Afrique centrale et du Cameroun en particulier, en fournissent la justification :
Dans la mesure où une victime est toujours une victime de trop, l’effort des acteurs publics doit consister à trouver de justes remèdes à ces conflits et prévenir autant que possible leur survenance. Telle est la problématique qui fonde le programme global de recherche de l’IGAC en matière de conflit.
En développant l’outil d’analyse de conflits inter-communautaires à l’échelle local (CIEL), l’IGAC cherche à disposer d’un moyen permettant d’appréhender la dynamique de tels conflits, de comprendre comment ils émergent, quels rapports ils entretiennent tant avec la réalité que la subjectivité des populations qui en sont les protagonistes. Une mission d’enquête sur le terrain a été mise en œuvre, elle avait pour objet d’observer et d’analyser l’évolution des rapports entre les communautés Kotoko et Arabes Choa dans l’extrême-Nord du Cameroun, en interrogeant leur prédisposition actuelle au conflit, au prisme d’un outil d’analyse développé à cet effet par l’IGAC. En la matière, le choix s’est porté sur la ville de Kousseri.
– 1. Choix méthodologiques
Les étapes suivantes ont été définies :
– 2. Le contexte de l’étude de cas
La ville de Kousseri a connu à l’orée des années 90, de sanglants affrontements [1] entre les deux principales communautés qui y sont installées, les Kotoko et les Arabes Choa, engagées dans une compétition hégémonique pour la conquête et le contrôle des trophées politiques locaux. Alors qu’à la faveur de l’ouverture démocratique, de nouvelles règles du jeu s’imposaient aux acteurs, les premiers, numériquement défavorisés, redoutèrent leur éviction. Les seconds convertirent leur avantage démographique en ressource de conquête « démocratique » des positions dominantes au plan local.
– 3. Et le contexte plus large du Cameroun
Au Cameroun, il est régulièrement fait état d’affrontements entre communautés [2] mobilisées et opposées dans des joutes violentes sur le fondement de rivalités ethniques. Leur ampleur et leur impact sont variables et dépendent fortement du contexte, des enjeux et de la capacité de l’Etat à préserver l’ordre public dès lors qu’il est ainsi perturbé. Mais il faut en apprécier l’intérêt en se rapportant aux risques que de tels conflits comportent en contexte d’Etat fragile [3]. Dans la mesure où au-delà de leur violence intrinsèque, et loin de procéder d’une adversité ontologique entre communautés opposées, ces conflits sont davantage symptomatiques des carences de l’Etat en matière de gouvernance [4]. Ils révèlent combien une société peut être exposée au risque de guerre civile dans la mesure où celle-ci procède très souvent de l’aggravation ou de l’extrapolation des querelles de clocher.
La pacification observée sur près de deux décennies, combinée à d’autres processus sociaux, a-t-elle réussi à juguler les prédispositions des uns et des autres au conflit ?
Depuis le conflit de 1992 [5], le Département du Logone et Chari n’a plus été sujet à un conflit d’intensité similaire. Faut-il pour autant imaginer, à peu près vingt ans après, que la hache de guerre est effectivement enterrée entre les deux communautés qui avaient été opposées ? Les rapports entre ces deux communautés ainsi que la dynamique de leur conflit s’appuient sur divers ressorts :
Nous pensons qu’on ne peut comprendre ce qui a été des relations entre les Kotoko et Arabes Choa, ce que cette relation est aujourd’hui et comment elle est susceptible d’évoluer, sans comprendre les trois ressorts cités précédemment. Lesquels structurent le contexte particulier à partir duquel nous avons mené nos travaux.
– 4. La culture : La problématique du peuplement et de l’espace
La Région de l’Extrême-Nord [6] est limitée au Nord par le Lac-Tchad, à l’Est par la République du Tchad, à l’Ouest par le Nigéria et au Sud par la Région du Nord, et est formée de six départements parmi lesquels, le Mayo Tsanaga, le Mayo-Sava, le Mayo-Danay, le Mayo-Kani, le Diamaré et le Logone et Chari. C’est dans le département du Logone et Chari [7] dont la superficie est de 10.969 Km2, plus précisément dans la ville de Kousseri, qui fait office de Chef lieu dudit département, que nous avons concentré notre enquête.
A côté du Chef lieu du département, d’autres arrondissements constituent sa carte administrative à l’instar de Zina, Waza, Makari, Logone Birni, ile Alifa, Goulfey, Fotokol, Darak et Blangoua. Le contexte climatique de cette région, du type sahélo-soudanien dans sa partie sud et Sahélien dans sa partie nord, ne favorise pas les activités agropastorales du fait de la rareté des ressources hydriques. En effet, la faiblesse des précipitations fait de cet espace du Cameroun, un lieu écologiquement austère bien que la densité de sa population soit la plus pétulante du pays. La circonscription administrative du Logone et Chari a néanmoins connu un afflux important de population à la recherche de la proximité de points d’eau et de possibilités d’accès aux ressources halieutiques, du fait de la présence du Lac Tchad en son sommet et du Logone et Chari, en sa façade orientale. En plus de ces ressources écologiques, d’autres facteurs ont également favorisé le peuplement de cette contrée.
En premier lieu, les flux commerciaux qui traversent cette zone depuis les temps prospères du commerce transsaharien des 14ème et 15ème siècles et qui sont jusqu’aujourd’hui alimentés par des réseaux d’échanges de biens modernes issus de l’artisanat local ou de la manufacture occidentale. Biens échangés à travers divers modes de circulation transfrontaliers entre le Nigéria voisin, le Cameroun et le Tchad. Mais principalement sous les modes dominants du trafic et de la contrebande où la topographie de la brousse qui est encore la configuration dominante de l’espace aux abords sud du Lac Tchad, est exploitée comme alliée dans les stratégies d’indiscipline fiscale par de nombreux réseaux de trafiquants se recrutant de part et d’autres des frontières qui bordent ce territoire. La ville de Kousseri de part sa position est donc une ville privilégiée pour la pratique du commerce, ce qui peut justifier son intérêt pour des populations traditionnellement commerçantes comme les Arabes qui dominent l’économie locale [8]. Au point où la langue arabe, à l’origine langue du commerce, est devenue la principale langue de communication entre toutes les communautés et même entre les Kotoko dont l’unité ethnique [9] masque une diversité dialectale.
En second lieu, les enjeux humanitaires ont également contribué à donner une forme spécifique au peuplement de ce département. En effet, les guerres qui ont sévi au cours des quarante dernières années au Tchad, ont entraîné des déplacements massifs de population de ce pays vers l’autre rive du Logone. Avec évidemment Kousseri et ses environs comme principaux points de chute. D’un exil passager, certaines de ces populations ont préféré y faire souche définitivement.
De ce maelström de migration, de mouvement et de peuplement, cette contrée s’est étoffée d’une cartographie socio-ethnique où apparaissent dominantes, les deux principales ethnies que sont les Kotoko et les Arabes Choa. Aux côtés desquelles il faut comptabiliser un chapelet de communautés minoritaires que sont les ethnies Kanouri, Mousgoum, Massa, Moundang,
– 5. La mémoire : l’influence de la longue histoire sur le présent
Lorsque l’on observe la longue histoire de la cohabitation entre peuples au sein du grand ensemble humain que constitue le département du Logone et Chari, on constate qu’entre les deux principales communautés que sont les Kotoko et Arabes Choa, s’est justement instauré un jeu de balancier les entraînant dans des rapports de domination alternée au gré des influences d’acteurs extérieurs [10].
Les premiers bénéficient d’un statut d’antériorité dans l’occupation de cet espace. Leur présence y prend d’ailleurs des accents mythologiques lorsqu’ils rapportent leur ascendance aux SAO [11] dont le rayonnement de la civilisation, entre le 12ème et le 14ème siècle, n’a point échappé à l’écriture historique et archéologique. C’est cette antériorité, cette « autochtonie » qui fournirait une légitimité historique et traditionnelle à leur domination sur cette terre. Une domination qui a commencé par être mise à mal dans leurs rapports avec les Arabes Choa à la fin du 19ème siècle à la faveur de la percée des cavaleries arabes, menées par Rabah.
Le conquérant arabe fit naturellement jouer le balancier hégémonique au profit des allochtones arabes par préférence affinitaire. Cette parenthèse sera très vite stoppée par l’impérialisme français. Dans cette mouvance, l’avancée de la colonisation française dans son entreprise d’endiguement et d’éviction de l’influence arabe, s’appuya quant à elle sur les Kotoko, qui y virent certainement une alliance objective leur permettant de reconquérir leur prééminence. Tout en tirant de cette proximité de substantiels avantages culturels en matière d’éducation qui leur permettra de constituer une réserve de personnel et de clientèle pour la première administration postcoloniale.
Prééminence consolidée à la création de l’Etat indépendant du Cameroun [12]. En effet, des personnalités politiques tels Ousmane Mey, « Gouverneur inamovible » (Gaillard : 1994) du Nord-Cameroun [13] et Ali Kirna, Délégué provincial de l’éducation pour le Grand Nord étaient tous de l’ethnie Kotoko. Cette situation a fait dire à Thierno Bah que : « Le positionnement d’Ousman Mey dans les hautes sphères de l’Etat, la quasi intimité qui régnait entre lui et Ahidjo ont eu, au niveau local, un impact que d’aucuns ont jugé préjudiciable dans les relations inter-ethniques entre Kotoko et Arabes Choa. Ces derniers l’ont accusé de pratiques partisanes dans la promotion politique, administrative, et dans l’allocation des ressources qui bénéficièrent presque exclusivement aux Kotoko. » [14].
Cette observation rend compte d’un fait majeur qui a d’ailleurs transparu dans les récits de nos interlocuteurs : chaque communauté garde de sa période de déclin hégémonique, un souvenir d’humiliation ressentie et de marginalité incriminant les abus divers de l’autre communauté. Chacune se considère d’un point de vue historique comme ayant été, d’une manière ou d’une autre, victime de l’autre. Les installant dans un rapport de concurrence victimaire où on se rejette la faute du mal génésique, et où chacun se fait fort de prétendre n’avoir essayé que de se protéger de l’autre.
– 6. La politique : la politique au présent
En tout état de cause, pour reprendre notre métaphore du balancier, celui-ci continuera son mouvement. Puisqu’il basculera progressivement et insidieusement, créant à partir de la démographie [15] une ressource qui deviendra, à la faveur de l’ouverture démocratique au début des années 90, le joker politique de la communauté Arabe Choa. Le Maire de Kousseri a eu ces mots pour commenter cette évolution : « ils [les Kotoko] sont intellectuels, mais ils ne peuvent rien contre la démocratie…vous êtes agrégé vous avez une voix. Vous n’êtes pas allé à l’école [sous-entendu les arabes moins scolarisés] vous avez également une voix… la démocratie c’est le nombre qui compte » [16].
Ceux-ci vont jouer à fond la carte démographique pour renouer avec la mobilité hégémonique en conquérant des trophées politiques sous la bannière du RDPC, le parti au pouvoir [17]. Lequel ne pouvait se priver de tirer le meilleur avantage de la possession d’un électorat captif aussi important dans son assiette électorale nationale. C’est dans l’ordre de ces évènements qu’éclata, en janvier 1992, un des conflits les plus violents, enregistré dans l’histoire des rapports entre les deux communautés. Vingt années après ces évènements, qu’est ce qui en reste et sur quelle base se structurent aujourd’hui les rapports entre les deux communautés ?
La razzia des arabes sur les trophées politiques en compétition est nettement visible au niveau de la distribution des postes communaux et parlementaires, entraînant une forte marginalisation locale de l’élite politique Kotoko, qui ne compte plus que comme clientèle de caution, dans la constitution des listes de candidature soumise à l’obligation de refléter la diversité sociologique. Autrefois un enjeu de premier ordre, la neutralisation et la vassalisation de l’élite politique Kotoko, est à tel point réussie qu’elle parait désormais reléguée au rang des soucis secondaires des factions claniques du bloc arabe.
Cette situation de quasi domination sans partage a entraîné le déplacement des lignes de clivage politique : celles-ci n’opposent plus frontalement les Arabes aux Kotoko mais opposent désormais des clans arabes entre eux sous le leadership d’élites de la communauté. Des clans dont les critères d’identification ou de distinction sont assez complexes à déterminer, de l’avis même de certains hauts dignitaires de cette communauté [18]. Ces distinctions reposeraient sur les ramifications généalogiques dont la tradition orale a conservé trace (Oueld Eli, Banisset, Salamat, Hemmadiye, Essala, Kawalmé, etc.).
Dans ce jeu intra-ethnique et inter-clanique, l’appui des kotoko est recherché par chaque clan désireux de disposer de la plus large coalition pour engranger le maximum de suffrages. Y a-t-il lieu de penser qu’on évolue vers une recomposition des alliances politiques qui ferait disparaître, tout au moins au plan politique, l’antagonisme frontal entre Arabes et Kotoko ? On ne saurait conclure sur la portée actuelle de cette situation et encore moins prédire les évolutions qui pourraient en découler. On est aussi en droit de se demander dans quelle mesure les Kotoko pourraient s’accommoder d’une situation où ils sont politiquement marginalisés, économiquement dominés et subissent par la langue (Arabe), une relative hégémonie culturelle.
En tout état de cause, tant que l’origine ethnique des protagonistes du jeu politique constituera un marqueur politique déterminant, la poudrière identitaire ne sera pas désamorcée.
II. Les résultats de l’enquête
Les entretiens menés avec nos différents interlocuteurs nous ont permis d’accéder à diverses informations rapportées et analysées dans les développements qui suivent :
– 1. L’état d’esprit de l’élite gagné par la susceptibilité et la suspicion
Des échanges avec des élites des deux communautés, il nous est apparu qu’au-delà des convenances du politiquement correct, règne une forte suspicion et une grande susceptibilité à l’évocation de leurs rapports mutuels.
L’ancien gouverneur de la grande province du Nord, M. Ousmane MEY [19], à qui les Arabes attribuent l’essentiel de leur malheur, n’a réussi en un propos de plus d’une heure de temps, qu’à dire peu de choses en lien avec notre sujet. Se contentant d’affirmer, sur un ton plutôt sibyllin et loin de toute contrition : « Il se raconte beaucoup de choses. Mais moi je ne m’exprimerai que dans mes mémoires. Sait-on ce qui peut arriver si je parle maintenant ? ». Et plus loin : « Nous (Kotoko) avons tiré les leçons de ce qui s’est passé (allusion aux évènements de 1992) et restons vigilants... Ce n’est pas encore le moment de parler ». Un fonctionnaire Kotoko nous déclarait ainsi sous anonymat « ces arabes ne connaissent que la violence. Quelle entente est possible ? Avec eux on ne peut que faire semblant… ils veulent tout prendre, tout contrôler. On verra bien sur quoi ça va déboucher ». Toujours dans le même registre, un notable de la même communauté, d’affirmer : « Ce sont eux (les arabes) qui ont l’argent. Ils croient pouvoir tout acheter. Acheter les fonctionnaires d’ici et de Yaoundé, acheter nos filles, acheter nos terres… on a compris ça. Mais toute chose à un temps ».
Nous avons collecté autant de bouts de phrases semblables où il ressort que dans l’esprit des élites Kotoko l’image de l’Arabe s’articule autour de quelques images fortes (qui peuvent paraître caricaturales) et empreintes de violence. Ils les traitent de fourbes, envahisseurs, belliqueux… Certes, l’attitude parfois effrontée et défiante attribuée à l’élite arabe est attestée dans certains faits. Des témoignages confirmés par des sources des milieux judicaires sont à cet égard édifiants. Des arabes, coupables de meurtre de ressortissants de la communauté Kotoko au cours d’altercations isolées, ont été secouru par des élites fortunées, issues de leur communauté. Loin de procéder d’une démarche compassionnelle, ce type d’intervention semble davantage participer d’une volonté claire de défiance à l’endroit de la communauté de la victime (Kotoko). Un jeune commerçant arabe dont nous avions voulu connaître l’avis sur la question n’a pas hésité à dire que « dans ce genre d’affaire, c’est notre honneur qui est en jeu. Ces gens là (les Kotoko) quand ils nous tuaient avant, qui nous défendaient ? C’était eux qui avaient l’administration et savaient lire les lois. Aujourd’hui, si avec l’argent qu’on a, on peut aider un de nos frères qui a un problème avec un Kotoko ce n’est que justice ».
Dans la même veine, le Maire de Kousseri a la réputation (qu’il semble en partie assumer) d’être porté à la diatribe ethnique dans ses discours publics. Ce fut le cas lors des festivités locales de commémoration du 26ème anniversaire du RDPC en mars 2011. Simple tactique politique et manœuvre populiste, consistant à consolider sa légitimité au sein de son électorat, en jouant la carte du champion de la cause communautaire ? Dans l’intimité de son bureau, en tout cas, il est convaincu de la juste cause qu’incarne son pouvoir. « Les Kotoko savent tout ce qu’ils nous ont fait subir sous AHIDJO… Lorsque l’injustice s’accroît, ça finit par exploser ». Plus loin il affirme : « nous avons été longtemps traités par les Kotoko en moins que rien. Des gens bons à n’être que derrière les bœufs. Depuis 1997 (année électorale au Cameroun) nous avons véritablement pris les choses en main et ils ne peuvent plus rien, puisque nous sommes majoritaires. C’est la loi de la démocratie ».
Sauf que les milieux aristocratiques Kotoko n’acceptent guère que cette influence arabe déborde tant soit peu de la sphère du pouvoir politique moderne en s’emparant, par les ruses du métissage, du pouvoir traditionnel au sein de leurs sultanats. C’est du moins ainsi qu’a été considéré le problème né à la faveur de la succession au sultanat Kotoko d’AFADE à 50 km environ de Kousseri. Des notables de ce fief, soutenus par d’autres élites Kotoko, se sont fermement opposés à l’intronisation d’un prince dont la mère est arabe. Évoquant ce problème, un de nos interlocuteurs nous rapportait que « tous les sultans Kotoko ont des femmes Arabes, mais voilà comment ils agissent avec nous (les enfants issus de ces mariages mixtes) ».
– 2. La surenchère victimaire
La manifestation diffuse de l’idéologie victimaire est une de ces autres attitudes apparue dans les paroles collectées. Elle obéit à une stratégie d’inversion victime-bourreau dans la manière de lire le passé et le présent. Cela a par exemple été très perceptible dans la manière dont les ressortissants de différentes communautés ont tendance à rapporter le passé. Une illustration typique : le récit que fait le Maire, par exemple, des évènements de 1992 omet d’évoquer le fait que l’initiative de l’agression armée qui a été à l’origine de l’escalade guerrière était imputable à des ressortissants de sa communauté [20] :
« Quand j’ai vu les tensions que provoquaient le refus d’inscrire des ressortissants de la communauté arabe au motif de leur nationalité douteuse, j’ai compris que des choses graves pouvaient arriver. On venait d’apprendre que le délégué du MINEPAT de l’époque, un Kotoko (nommé Djibril NDALI), avait été tué par des coupeurs de route alors qu’il revenait d’une mission de brousse. Tout cela me faisait craindre le pire. Je suis allé voir le Préfet pour l’alerter de mes craintes et lui recommander de prendre des mesures pressantes. A peine je suis revenu sur mes pas, qu’il y avait déjà mort d’homme ».
L’auteur de ce récit fait l’omission significative de ne pas nous rapporter l’identité effective de ces fameux « coupeurs de route » qui perpétrèrent le meurtre dont il fait allusion [21]. Ensuite, il manque de relever l’identité de l’auteur du fameux coup de feu qui va provoquer « mort d’homme », c’est-à-dire la mort d’un ressortissant Kotoko, pour insister beaucoup plus sur la volonté d’exclusion des siens au cours des élections qui étaient alors en vue.
Alors que les Arabes ont tendance à se poser comme les victimes perpétuelles des Kotoko, ces derniers en revanche sont bien plus enclins à dénombrer les abus qu’ils subissent eux-mêmes au présent ; faisant fi des privilèges qui leur ont été dévolus tout au long des décennies d’autoritarisme sous Ahidjo. Période au cours de laquelle les Kotoko sont accusés d’avoir perpétré divers abus sur les ressortissants du groupe Arabe. Cette attitude de déni, qui consiste à rejeter sur l’autre l’entière responsabilité des tords subis est par exemple manifeste dans les propos tenus par un fonctionnaire Kotoko retraité et qui eût à exercer dans la région : « Les Arabes Choa n’aimaient pas l’école. Ils préféraient s’occuper de leur bétail ou traîner en brousse. Le commandement était difficile avec ces gens là. Il fallait se montrer ferme. C’est ce que les blancs avaient d’ailleurs bien compris. Nous sommes tous musulmans. Mais eux ont l’esprit de la brousse. Par rapport à leur retard et leurs problèmes, ils n’ont qu’à s’en prendre à eux mêmes ». De tels propos laissent transparaître, chez ceux qui ont une telle opinion, une volonté de construire une « bonne conscience rétrospective », voire une idéologie servant de filtre, au travers duquel l’auteur du propos perçoit la réalité. Mais on peut y voir également un fond de réalité puisque le grand commerçant arabe M. AHMAT TOM, nous rapportait ceci : « Mes parents ont donné en 1961 deux bœufs au sous-préfet pour qu’on ne me prenne pas à l’école ».
– 3. L’extraversion de la communauté Arabe et son impact sur le religieux et la sécurité
L’islam qui est la principale religion des deux communautés, s’en trouve ainsi travaillée de l’intérieur, car traversée par la ligne d’opposition séparant les deux communautés. Cela s’est par exemple observé lors de la célébration de la fête du Ramadan de l’année 2010, fête marquant la fin du jeûne et se déroulant au terme du mois lunaire, confirmé par l’apparition du croissant lunaire. Ce phénomène n’est généralement pas perçu dans les différents pays musulmans à la même date, c’était le cas entre le Cameroun et le Tchad en 2010 : un décalage de 24 heures est apparu entre la date retenue au Cameroun par la Commission du croissant lunaire basée à Yaoundé, et celle adoptée par la Communauté musulmane du Tchad.
Il nous a été rapporté que des dissensions sont apparues entre fidèles musulmans de Kousseri [22]. Les uns majoritairement Arabes Choa ayant préféré célébrer à la même date que les musulmans tchadiens alors que ceux d’ethnie Kotoko se sont conformés aux prescriptions de Yaoundé. Cette situation a toutefois révélé un fait beaucoup plus profond, celui du tropisme Tchadien des Arabes Choa du Cameroun. C’est en tout cas l’explication dominante qu’avancent les personnes que nous avons interrogées dans les milieux administratifs et au sein de la Communauté Kotoko. Un de nos interlocuteurs a bien rendu cette explication : « Les Arabes vivent ici. Mais ils ont le cœur de l’autre côté d’où viennent leurs aïeux et où ils ont encore cousins, oncles ou grands parents. Il y a même des familles Arabes où des frères se retrouvent les uns à de hauts postes militaires à Yaoundé, les autres à de hautes fonctions au Tchad. Ce n’est donc pas étonnant que la grande majorité se sente plus liée à N’djamena qu’à Yaoundé. »
Cette extraversion qui semble entamer l’harmonie et la cohésion au sein de la communauté religieuse locale inquiète bien les autorités avec lesquelles nous avons échangé. D’autant plus qu’elles pensent que de telles dissensions peuvent servir de terreau à la propagation de l’extrémisme religieux à partir d’un voisin comme le Nigéria où un tel phénomène a occasionné de graves troubles sociaux. L’autre conséquence de cette situation touche à la sécurité. En la matière, se pose le problème de la détention illégale et incontrôlée des armes à feu par les habitants de ce département, problème qui semble revêtir un caractère plus patent chez les Arabes.
Il nous a été ainsi courant d’entendre que « Chaque famille arabe possède une arme de guerre. Ils se ravitaillent facilement au Tchad auprès de leurs frères ». Dans le même sens, une de nos sources locales nous a rapporté qu’ « il y a eu ici de grands affrontements politiques au cours desquels les autorités ont du sursoir aux décisions ou aux votes, parce que les services de renseignement avaient pu établir que les arabes sont venus massivement soutenir leur candidat avec dans les malles de leur (Peugeot) 504, des armes et des munitions pour pouvoir en découdre si besoin » [23]. Le risque d’escalade armée est donc une réalité constante et patente de la conflictualité locale.
– 4. Les sourdes batailles autour du contrôle du foncier
Le contrôle traditionnel de la terre échoit à diverses principautés Kotoko. Les Chefs Kotoko exerçant des attributions de chefs traditionnels de premier degré. Cette disposition, qui remonte aux aménagements administratifs de la colonisation française, dote les chefs Kotoko d’une compétence géographique et limite le pouvoir des chefferies Arabes à une fonction subalterne visant la simple représentation ethnique symbolique, nonobstant la très forte supériorité numérique des ressortissants de ces chefferies.
Du coup, c’est par le pouvoir municipal et celui du marché que les Arabes tentent de remettre en cause un tant soit peu ce monopole aristocratique de la terre par les Kotoko, dans un contexte où il est fait de plus en plus cas d’une nouvelle demande foncière émanant des voisins tchadiens. Ces derniers considérant le fait d’être propriétaire sur le sol camerounais comme une disposition sécurisante au regard des incertitudes et turpitudes qu’ils pensent de bon droit redouter chez eux. L’argent du pétrole joue à ce titre un effet de levier à leurs ambitions, même s’il faut pour cela qu’ils usent d’accointances locales ou de prête-noms commodes pour atteindre leur but. L’opinion d’un chef de quartier Kotoko [24] rencontré est que : « L’argent ne peut pas tout acheter… La terre c’est tout ce qu’on a. Nos parents sont enterrés ici et nos enfants ne vont pas en manquer parce nous avons tout vendu. Aujourd’hui parce qu’ils (les Arabes) ont beaucoup d’argent ils veulent tout arracher ».
La justice locale traite de nombreux litiges touchant au foncier et opposant des ressortissants des deux communautés. De même que l’autorité pénitentiaire [25] locale nous a informés avoir reçu de nombreux pensionnaires pour ces motifs et condamnés pour leur implication dans de graves actes de violence (toutes communautés confondues). Dans la gestion de ces conflits, l’autorité administrative se montre plutôt préoccupée par une recherche de l’apaisement, au point de laisser les dossiers en suspend, de peur que toute décision n’entraîne des réactions de violence du côté de la partie lésée.
– 5. L’alarmisme de l’administration
De nos échanges formels ou informels avec divers responsables administratifs, nous avons noté une forte tendance à l’alarmisme de même qu’un sentiment relatif d’impuissance face à la sensibilité et à la complexité de la situation. Le sentiment de risque permanent, lié au fait qu’un incident isolé peut générer la déflagration, semble être partagé. L’expérience et l’inventivité personnelle des responsables en place semblent être les seules ressources d’orientation décisionnelle des autorités administratives locales.
Aucun cadre rationalisé et normalisé capitalisant les savoirs et expériences de gestion de crise (dans un contexte d’interculturalité), n’est institutionnalisé au sein des administrations. Or, un tel cadre s’avèrerait indispensable pour produire une intelligence institutionnelle conséquente et à même de réagir en cas de conflit. Certains de nos interlocuteurs n’ont pas manqué de s’émouvoir du fait que pour une zone aussi sensible, le commandement de certaines circonscriptions d’arrondissement soit confié à des « blancs-becs pour des raisons qui ne sont connues qu’à Yaoundé par ceux qui les nomment ».
L’exercice de la puissance publique y est confrontée à l’exigence d’intégrer les intérêts des pouvoirs locaux, l’influence étrangère telle qu’elle s’exerce au plan local et celle des élites politico-administratives dont l’influence s’exerce à partir de Yaoundé. On nous a signalé, pour ce qui est des aspects positifs de cette influence, l’initiative prise par le Président de l’Assemblée Nationale, de provoquer une concertation entre les deux communautés en début d’année 2011 (de même que celle prise par d’autres élites). Il n’en demeure pas moins que pour certaines autorités rencontrées, bien des turpitudes locales, en l’occurrence au plan politique, sont la conséquence du type de leadership qu’exercent localement, les élites bureaucratiques des différentes communautés. Lesquelles, dans un jeu de pompier-pyromane, se joueraient du divisionnisme pour se rendre indispensable aux yeux du pouvoir central soucieux de maintenir des équilibres dans la distribution des postes administratifs entre ressortissants des différentes communautés.
– 6. L’état d’esprit des jeunes : entre rupture et continuité
Deux tendances majeures marquent l’état d’esprit des jeunes, l’urbanisation et la scolarisation. A travers un focus group avec des jeunes Kotoko [26], nous avons entraperçu une tendance au reniement de l’héritage des haines passées. « Nous jouons au football ensemble lors des championnats de vacances. Dans nos équipes nous ne nous distinguons pas. Ces problèmes concernent surtout nos parents et les politiciens. Des gens peuvent bagarrer sans que ce ne soit au motif de leur différence ethnique ». Doit-on trouver à l’origine d’un tel état d’esprit, l’effet spécifique de la scolarisation ? Car il nous a été signalé les efforts réalisés par l’autorité scolaire pour gommer les références ethniques dans les pièces officielles des élèves [27] et l’abolition de toute forme de regroupement à base communautaire dans ce milieu.
Il n’en demeure pas moins que la promotion de l’éducation y rencontre de nombreux obstacles. D’abord du fait du déficit d’investissement de l’Etat. « Le dernier programme en date était celui piloté par le PDRP (Programme de Développement Rural et Participatif) sa fin, il y a plusieurs années, a sonné le glas du financement des infrastructures éducatives ici » [28]. D’autre part, en raison des tensions intercommunautaires et du faible investissement des élites dans ce chantier.
L’urbanisation [29] quant à elle vient affecter l’échelle des valeurs qui établissent les hiérarchies et légitiment la richesse. La domination idéologique du capitalisme a même pénétré les brousses. Désormais, l’argent et le profit y règnent en maître après la désolation dans laquelle ont plongé les économies paysannes dans la foulée des ajustements structurels [30]. Les jeunes sont les moteurs de ces changements. C’est eux qui sont en premier gagnés par le désir de posséder, d’accumuler, de thésauriser l’argent et d’investir. Le fait d’en posséder conférant un pouvoir certain à son détenteur. Celui, d’accumuler d’autres biens indispensables aux commodités de l’existence, de distribuer ou d’acheter des faveurs, de commander et de se faire obéir. En manquer à contrario, traduit un état de dépossession, de castration, de dépendance et de marginalité sociale.
L’un des effets visibles de cet empire de l’argent, combiné au rétrécissement de la capacité de l’Etat à assurer sa possession effective ou suffisante par des emplois publics, c’est d’avoir jeté sur les routes de la contrebande et de l’économie informelle plein de jeunes gens. Lesquels se moquent bien de savoir que le commerce soit étranger aux emplois traditionnels de leur famille. L’essentiel étant qu’ils puissent y trouver leur part et devenir aussi « quelqu’un ». « Nous, on veut s’en sortir et devenir aussi riche. L’école c’est bien. Mais il faut l’argent… quand on fait les affaires il n’y a pas question de Kotoko et d’Arabe », nous confiait un jeune commerçant Kotoko.
Quel impact cette modification progressive de la sociologie et de l’anthropologie de la pratique commerçante peut-elle avoir à terme sur les survivances identitaires et les rapports interethniques ? C’est une donnée majeure et massive dont les conséquences peuvent être envisagées à partir de l’hypothèse du décloisonnement communautaire des réseaux commerciaux, dont le corollaire serait la création de nouveaux liens sociaux fondés sur la confiance et ouvrant à une nouvelle altérité. L’institution ancienne de la division communautaire du travail s’écroulerait ainsi en emportant avec elle un des pans du monde ancien et de ces identités obsolescentes
C’est donc à partir d’une telle hypothèse qu’on pourrait aborder une enquête sur les nouveaux réseaux commerciaux, la manière dont s’y inscrivent les jeunes entrepreneurs, leur perception mutuelle, les valeurs qui structurent les alliances constitutives de leurs réseaux, la manière dont les distinctions ethniques sont réinvesties, désinvesties ou brouillées dans ses nouvelles relations. Et surtout permettre de comprendre ou de voir comment les pratiques de confiance qui émergent des enjeux strictement commerciaux, les règles d’argumentation et présupposés discursifs qui les sous-tendent, modifient les rapports identitaires des protagonistes à leur propre insu.
– 7. Perspectives et recommandations
Cette fresque sommaire des discours glanés à propos de nombreux sujets, ou d’attitudes observées ou rapportées, permettent de mettre en évidence des catégorisations qui sont caractéristiques du discours à forte connotation polémique [31] et ostracisant, fonctionnant à partir de représentations et préjugés sociaux. Discours essentialiste, sentencieux et péremptoire qui ne relativise pas le verdict, ne fait pas de nuance entre l’individu et le groupe auquel on le rattache. Les actes d’un individu sont ainsi systématiquement assignés à sa communauté d’origine. On parle des autres avec des mots et des images stéréotypées et banalisées. A tel point que nos interlocuteurs s’imaginent généralement qu’ils n’ont pas besoin d’étayer leurs propositions d’explications supplémentaires. Puisque « tout le monde sait ça non ! »
Des développements précédents, ce qui est mis en évidence, c’est la persistance de comportements conflictogènes. Quelle est leur ampleur réelle ? Comment pourraient-ils interagir avec des contextes spécifiques comme ceux dont il sera question à la faveur des prochaines élections ? Quelles sont les tendances lourdes que révèlent les comportements des acteurs ? Loin de l’alarmisme des autorités guidées par les savoirs empiriques qu’ils collectent à l’épreuve de leur pratique, loin des peurs dans lesquels s’enferment les protagonistes, il faut repérer les modalités à partir desquelles il serait possible de construire des stratégies de prévention solides et des stratégies de construction durable de la paix. Le mérite de cette enquête a consisté à nous jeter sur les pistes de ce travail.
Au nombre de ces pistes, nous avons relevé par exemple qu’au plan politique, la domination des Arabes a créé une situation inédite où la compétition ne se construit plus à partir de l’antagonisme Kotoko/Arabes mais bien plus à partir des oppositions interclaniques au sein de la communauté Arabe. La vivacité de ces rivalités interclaniques semble d’ailleurs déborder du cadre strict de la politique pour embrayer sur des enjeux sociaux.
A ce sujet, un fait significatif nous a été rapporté. Un projet de construction d’une école à cycle complet, dans un village [32] où cohabitent trois clans arabes, a été rejeté par les membres de deux de ses clans qui estimaient qu’ils avaient été lésés par le choix du site. Préférant que les moyens disponibles soient divisés en trois parts. De sorte que c’est finalement trois écoles, à cycle incomplet, de deux classes chacune qui ont pu être construites dans leur fief respectif. Tout ceci pourrait faire penser que, côté Arabe Choa, faute « d’un ennemi commun », les rivalités claniques, longtemps ensevelies, vont renaître et finiront par subsumer la belle unité ethnique dans laquelle ils se tenaient artificiellement dans leur confrontation à l’ennemi commun Kotoko [33].
Les insuffisances de la littérature sur des problématiques aussi complexes que celles que nous avons soulevées, nous amènent à relever l’intérêt de l’approfondissement de l’enquête que nous avons menée. En effet, bien des auteurs s’interrogent ou se contredisent sur le poids effectif de l’histoire dans les violences apparues au début des années 90 et de manière générale sur le lien entre mémoire et violence dans les relations entre les deux communautés [34]. Faute certainement d’un travail approfondi d’analyse des discours que nous proposons de mener et qui suppose un travail plus consistant d’échantillonnage et plus long de collecte de parole.
De cette expérience se dégagent les recommandations suivantes :
[1] Les affrontements sanglants de janvier 1992 à Kousseri ont commencé à partir d’une dispute sur la distribution frauduleuse des cartes électorales. Des cartes d’électeurs auraient été distribuées gracieusement aux populations arabes non Camerounaise (Tchad, Nigeria) avec la complicité des Arabes Choa du Logone-Chari, ce qui aurait provoqué la colère des Kotoko. Confère Antoine Socpa, « Le problème Arabes Choa - Kotoko au Cameroun : Essai d’analyse rétrospective à partir des affrontements de janvier 1992 », texte publié dans le rapport de recherche de Tribus Sans Frontières sur les affrontements entre Arabes Choa et Kotoko.
[2] 25 juin 2010 : Affrontements interethniques à Ebolowa, entre la communauté Bamoun et les populations locales ; 10 Mars 2011 : Affrontements entre les communautés Balikumbat et Bambalang dans la Région du Nord-Ouest du Cameroun ; Mai 2011 : Affrontements entre les Mafa et Glavda, deux peuples de l’arrondissement de Mayo-Moskota dans l’Extrême-Nord ; 20 juillet 2011 : dans la ville de Mandjou, chef-lieu de l’arrondissement du même nom dans le département du Lom et Djerem, à 5km de Bertoua, la capitale Régionale de l’Est. Affrontement entre les communautés gbayas et bororos.
[3] « La spécificité des situations de fragilité tient non seulement au fait qu’il peut y avoir concurrence entre différents porteurs d’autant de sources de légitimité. Mais également au fait que ces différentes sources ne se renforcent pas mutuellement. » (Voir Sévérine BELLINA, Domine DARBON, STEIN S. ERIKSEN, OLE J. SENDING, L’Etat en quête de légitimité, Editions Charles Léopold Mayer, Paris, 2010, p. 63.)
[4] « Le but de la politique et notamment du pouvoir politique est précisément de rendre possible des modes d’interaction non conflictuelles, entre individus et entre groupes, à travers des stratégies de négociation mutuellement bénéfiques » (Ernest Marie MBONDA, la justice ethnique comme fondement de la paix dans les sociétés pluriethniques. Le cas de l’Afrique.)
[5] Il faut signaler qu’en 1979 déjà, des conflits sanglants éclatèrent dans le Logone et Chari, et les Arabes furent l’objet d’une violente répression de la part des Forces armées qui massacrèrent la quasi-totalité des habitants du village de Dolle (Voir Thierno Bah et Issa Saïbou « relations interethniques, problématiques de l’intégration nationale et de sécurité aux abords sud du Lac Tchad » in Equilibre régional et intégration nationale au Cameroun. Leçons du passé et perspective d’avenir, ICASSRT MONOGRAPH 1, p. 281-282 1997. Voir également le journal français Libération des 30 octobre et 6 novembre 1979.
[6] Dans la compréhension de la géopolitique du septentrion camerounais au cours de ces trente dernières années il faut toujours intégrer un fait fondateur : la création d’unités administratives opérée par le régime du Président Biya dans le Nord-Cameroun. En effet, durant le règne du Président Ahidjo, le Nord qui représente 33,3% du territoire national était sous-administré avec une province et six départements (Bénoué, Vina, Margui Wandala, Logone et chari, Mayo Danai et Diamare) au contraire du Sud qui en avait respectivement six et trente quatre. L’un des premiers actes de M. Biya consiste dès 1983 à diviser le Nord en trois provinces dont l’Adamaoua, ancien département de la Vina ; le Nord, ancien département de la Bénoué avec quatre départements et l’Extrême-Nord avec six départements (Diamare, Mayo Sava, Mayo Tsanaga,Mayo Kani, Mayo Danai et Logone-et-Chari).
[7] Ce département est situé entre le Nigéria et le Tchad.
[8] Entretien avec le Délégué départemental du MINEPAT, M. AMINE ATRIBINGA, le 17 juin 2011
[9] Cette unité semble d’ailleurs reposée sur des ressorts bien plus politiques favorisés par leur opposition commune aux Arabes Choa.
[10] « C’est par vagues successives et par petits groupes que les Arabes, venus de la vallée du Nil à travers le couloir du Darfour-Kordofan, s’implantèrent aux abords sud du Lac Tchad. Le phénomène sporadique au départ, prit de l’ampleur au XIXe siècle. Les Arabes Choas déferlent alors sur le pays Kotoko et font allégeance à El Kaneni, l’autorité centrale des Kotoko. Mais, pendant toute cette période précoloniale, la gestion de l’ethnicité sera si tenue dans une logique préférentielle et de manipulation au profit de l’autorité centrale. Ce qui va compliquer à souhait la cohabitation dans un même espace territorial de deux communautés appartenant toutes a la Umma. De même, dans son aventure coloniale, la France a manifesté essentiellement une politique de défiance vis-à-vis de l’arabisme et de 1’ islamisme en dépit de quelques compromis à caractère contingent. Dans le Logone et Chari, leur préférence ethnique se portera donc sur les Kotoko. Et, pendant les six décennies que dura la colonisation, les Arabes furent victimes d’injustices et d’humiliation. Ils se constituèrent de plus en plus en un groupe marginal, figé, autarcique, refusant l’école moderne » (Bah et lssa, 1997:281).
[11] L’Association Culturelle qui regroupe l’élite Kotoko, et dont l’acronyme est ACSAO, a ainsi adoptée une dénomination forte évocatrice à cet égard.
[12] « Au lendemain de l’indépendance, par réalisme surtout, le Président Ahidjo va se rapprocher du groupe Kotoko qui, bien que numériquement moins que les Arabes, offrait l’avantage d’une structure sociopolitique traditionnelle structuré et hiérarchisée ainsi qu’une élite formée a l’occidentale susceptible de se positionner stratégiquement dans 1’ appareil étatique moderne » voir Bah Thierno et Issa Saibou, op cit pp.280-288.
[13] « Le « Nord-Cameroun » renvoie au départ a une entité administrative pluriethnique, mais ce pluralisme sera transcendé par le régime du Président Ahidjo, pour constituer sa Région natale en bloc quasi-monolithique, véritable base arrière politique à travers une action regionalisante…cette action régionalisant […] reposait sur l’hégémonie […] des Kotoko sur les Arabes Choa… » Cf Ibrahim Mouiche, Ethnicité et Multipartisme au Nord-Cameroun, Afr. J. polit. set. (2000), Vol. 5 N°. 1,46-91.
[14] Voir Bah Thierno et Issa Saibou, op cit.
[15] Les migrations et une progression naturelle de la fécondité sont des facteurs explicatifs de la croissance démographique observée chez les Arabes. Les Kotoko ont quant à eux subis une régression démographique attribuée au moins à deux facteurs : la maladie du sommeil du fait de leur implantation dans les rivages des cours d’eau qui servaient de niche à la trypanosomiase. Et les injections à la lomédine dont les effets auraient été néfastes sur la natalité (Voir Saïbou Issa, « Arithmétique ethnique et compétition politique entre Kotoko et Arabes Choa dans le contexte de l’ouverture démocratique au Cameroun. » in Afrika spectrum 40 (2005) 2, p 209).
[16] Entretien réalisé le 16 juin 2011 à la mairie de Kousseri.
[17] Le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) est crée le 25 Mars 1985 sur les cendres de l’UNC, ancien parti unique fortement assimilé à son fondateur Ahmadou AHIDJO et ancien président de la République désormais en disgrâce avec le régime qui lui a succédé en 1982. Le RDPC demeure également un parti unique jusqu’à l’ouverture démocratique des années 1990. Parti qui bénéficiera, au nord Cameroun, du soutien des groupes ethniques ayant connu l’ostracisme sous l’ancien régime. Le cas par exemple des Arabes Choa.
[18] Entretien réalisé le 17 juin 2011 avec M. AHMAT TOM, important commerçant arabe qui dit appartenir au clan SALAMAT
[19] Actuellement Président du Conseil d’Administration de la Caisse Nationale de Prévoyance Sociale. Dans leur grande majorité nos interlocuteurs arabes l’accusent d’avoir, alors qu’il était en fonction, soutenu exclusivement les Kotoko. Ils rapportent par exemple les faits ci-après : les deux arrondissements qui composaient le Logone et Chari à l’époque, étaient commandés par des Kotoko. De même que la représentation de la localité à l’Assemblée nationale et au sein de l’UNC était exclusivement échue aux Kotoko.
[20] Fait étayé par les autorités administratives. L’auteur bien connu du coup de feu qui va mettre le feu aux poudres le nommé BICHARA Raïs est un commerçant arabe de la ville.
[21] Nombre de nos informateurs nous ont dit qu’il devait s’agir de personnes issues de la communauté Arabe.
[22] Entretien avec le Premier-adjoint préfectoral le 17 juin 2011.
[23] Entretien avec un fonctionnaire ayant requis l’anonymat le 18 juin 2011.
[24] Entretien réalisé le 19 juin 2011. L’intéressé a requis l’anonymat.
[25] Entretien informel avec le régisseur de la Prison le 19 juin 2011.
[26] Le plus âgé de ces jeunes avait 23 ans. Ils sont soient solaires soient débrouillards comme ils se désignent eux-mêmes. Focus group organisé le 18 juin 2011.
[27] Entretien avec M. Hamidou Oumarou. Délégué départementale des enseignements secondaires. Réalisé le 16 juin 2011.
[28] Propos du délégué départemental des enseignements secondaires.
[29] La proximité d’une capitale comme N’Djamena constitue un facteur clef de ce processus.
[30] Lire par exemple à ce sujet, Janet Roitman, La garnison-entrepôt, Autrepart (6), 1998 : 39-51.
[31] Au sens de “petite guerre ou fantasia, simulacre et substitut de la guerre littérale” tel que le définit C. KERBRAT-ORECCHIONI, “La polémique et ses définitions”, in N. GELAS (eds.), Le discours polémique, Lyon, Presses Universitaires de Lyon, 1980, p. 6.
[32] Entretien avec le Délégué des enseignements secondaires. Ledit village est situé sur la route reliant Kousseri à MAKARI.
[33] Ce phénomène n’aurait par ailleurs rien d’inédit. L’histoire révèle bien des situations où des clans Arabes se sont ralliés aux Kotoko pour combattre contre d’autres clans Arabes. Ainsi en fut-il, lorsqu’au 18e siècle, les Abu Khader (Arabes) se rallièrent au sultanat de Goulfei (Kotoko) que tentaient de conquérir les Hemmadiye (Arabes). Voir Saïbou Issa, op cit p. 202.
[34] Saïbou Issa (ibid p. 205) soutient par exemple qu’il faut nuancer le poids de l’histoire dans les configurations conflictuelles apparues au cours des années 1990. Nous pensons pour notre part que des évènements comme ceux de Dollé ne sauraient être négligés dans la tentative de compréhension des évènements de1990. Et un travail sur la mémoire de ces peuples pourrait offrir une généalogie pertinente du présent.