L’outil part de l’hypothèse que les ressources apportées dans un contexte fragile et conflictuel finissent souvent par exacerber les tensions existantes ou par mettre le feu aux poudres en ravivant conflits et violences.
Dans tous les contextes, les ressources de développement changent les relations au pouvoir, et ce faisant, modifient les systèmes en vigueur et affectent les personnes impliquées. Si l’introduction de nouvelles ressources n’est pas prise en compte soigneusement, celles-ci auront inévitablement des conséquences imprévues pouvant dénaturer les valeurs et intentions premières des groupes.
Cependant, ces mêmes ressources peuvent également être utilisées pour renforcer les liens entre les personnes. Elles peuvent aussi répondre à des besoins à court terme, de manière à reconstruire à long terme le tissu social d’une société.
L’outil est conçu à partir de la théorie des conflits. Celle-ci met l’accent sur les liens entre les réponses aux conflits à court et à long terme et sur l’inscription essentielle des réponses aux conflits dans une perspective de développement à long terme. Ainsi, l’outil est fortement enraciné dans une approche de transformation des conflits.
L’outil apporte un cadre utile pour inscrire le développement et les efforts humanitaires au sein d’une réponse au conflit allant au-delà de la résolution des conflits, vers une compréhension plus profonde des dynamiques sous-jacentes.
Les apports de John Paul Lederach et de Chris Mirchell :
Cette compréhension est bien exprimée par des spécialistes universitaires tels que John Paul Lederach et Chris Mitchell.
Les travaux de Lederach sont peut-être plus fortement associés à l’importance croissante accordée au concept de transformation des conflits. Dans son livre « Preparing for Peace » (Se préparer à la paix), Lederach (1995a : 17) soutient que la transformation de conflit est « née de la quête d’un langage adapté pour expliquer le projet de construction de paix. »
Lederach propose que le concept de transformation des conflits réponde plus efficacement à la nature dynamique de ceux-ci. Selon des penseurs tels que Coleman (1956) et Boulding (1962), comprendre cette nature dynamique est crucial pour appréhender un conflit social.
Lederach (1997:80) place les rapports entre les systèmes et les relations humaines au cœur de son travail. Il utilise le modèle des « nested paradigms » (paradigmes imbriqués) dessiné à partir des travaux de Marie Dugan et d’autres écrivains (1997:80) pour aider à la compréhension des conflits et à la consolidation de la paix.
Il établit un lien entre les problèmes immédiats qui déclenchent une crise ou un conflit et les conflits latents plus profonds nichés au cœur des relations, des sous-systèmes et des dispositifs systémiques prédominants. Cet ensemble de ‘paradigmes imbriqués’ transparaît dans l’outil.
Lederach (1995b : 201) préfère appréhender le conflit au-delà de sa résolution, car d’après lui, le concept de résolution de conflit « est chargé peut-être accidentellement d’une connotation de ‘dénouement’ d’une crise donnée ou tout au moins en donne l’apparence, sans se concentrer suffisamment sur les aspects plus profonds structurels, culturels et relationnels à long terme du conflit ».
Au cours d’une analyse intéressante des concepts de résolution et de transformation, Mitchell (2002:19), admettant son scepticisme initial quant à l’existence d’une différence majeure entre ces deux concepts, conclue en reconnaissant qu’il existe entre les deux au moins une différence significative en ce que la transformation des conflits présuppose qu’un changement structurel est indispensable pour aboutir à un résultat efficace face à un conflit donné.
De plus, selon Mitchell (2002:20), la transformation des conflits reconnaît qu’après dissipation de la crise immédiate autour d’un conflit, le processus de reconstruction des relations ne sera pas automatique, et que les relations devront être reconstruites au moyen d’efforts directs/délibérés. Mitchell reconnaît l’interdépendance de ces niveaux de changement et conclut que sans la conjonction de ces deux aspects, il n’est pas possible de désamorcer de futures tensions et d’éviter le retour au conflit et à la crise.
Lederach indique que nous devons travailler ensemble pour créer un dispositif intégré : « La structure semble indiquer le besoin d’appréhender globalement la population affectée et de traiter les problèmes de façon systématique. Le processus souligne la nécessité d’appréhender avec créativité la progression du conflit et la pérennité de sa transformation en reliant les rôles, les fonctions, et les activités de manière intégrée. » (Lederach, 1997:79)
Lederach (1997:82) approfondit son modèle de ’paradigmes imbriqués’ en expliquant que le concept de transformation se réfère à un changement fonctionnant tant sur le plan descriptif que normatif, il décrit les effets provoqués par le conflit social, et il propose des interventions en réponse à un conflit en s’efforçant d’orienter les dynamiques d’un conflit dans une direction particulière. L’outil éclaire sur les manières d’utiliser les ressources humaines et de développement pour influencer les dynamiques d’un conflit, en renforçant cette démarche de transformation des conflits.
De plus, le dispositif s’harmonise parfaitement avec la démarche de développement « Do No Harm » (Ne pas nuire), associée à Mary B. Andersen, et élaborée à partir des outils analytiques exposés dans l’ouvrage collectif Working with Conflict – Skills and Strategies for Action (Travailler au cœur du conflit – Compétences et stratégies pour l’action).
La démarche Do No Harm introduit un ensemble de facteurs de cohésion et de division. C’est de leur point de vue que l’on observe le contexte dans lequel on envoie les ressources. L’ouvrage Working With Conflict apporte une gamme supplémentaire d’outils d’analyse, qui sont à la base du dispositif intégré. Une analyse approfondie du contexte, tenant compte de la nature dynamique du conflit, est un point de départ essentiel à tout travail en milieu conflictuel.
L’outil va plus loin, car il donne un moyen d’articuler des interventions à court et à long terme, en soulignant que même une activité à court terme a des implications à long terme, et en insistant sur le besoin d’une démarche introspective reconnaissant l’influence de l’individu, de l’agence ou de l’organisation sur le contexte de travail.
Représentation graphique d’une réponse aux conflits dans des contextes de crise ou d’après-crise :
En apportant un modèle de compréhension, les experts de l’aide, du développement et de la paix disposent d’un graphique, pouvant leur servir d’outil pratique de planification et de suivi, permettant d’identifier des complémentarités dans leurs démarches, inscrites dans une vision partagée de l’avenir souhaité à long terme.