Astrid Fossier, Paris, juin 2003
Le conflit sino-tibétain
Libération pacifique versus invasion armée.
Mots clefs : Résistance civile et pacifique à la guerre | Respect des droits humains | Respect des droits des peuples | Résistance non armée à la répression militaire | Militaires | Bouddhisme | Dalai Lama | Gouvernement chinois | Reconstruire la paix. Après la guerre, le défi de la paix. | Résister civilement et pacifiquement à la guerre | S'opposer de façon non-violente à la guerre | Asie
I. Historique
Le 1er octobre 1949 Mao Zedong proclame la création de la République populaire de Chine. A Lhassa, distante de milliers de kilomètres et isolée dans ses montagnes, la nouvelle n’est pas ressentie comme une menace. A peine y prête-t-on attention. Et pourtant, quelques mois plus tard, Radio Pékin, un des outils de la propagande communiste annonce sur ses ondes : « L’Armée populaire de libération doit libérer tous les territoires de Chine, y compris Taiwan, Hainan, le Xinjiang et le Tibet ». L’heure est à la propagande : le Tibet est une terre chinoise et doit être ramené, de gré ou de force, dans le giron de la mère patrie.
Le 7 octobre 1950, après quelques tentatives de règlement diplomatique conduites par le Bureau des affaires étrangères tibétain, trois corps d’armée chinois attaquèrent le Tibet sur plusieurs de ses frontières:
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Une division arriva du Turkestan oriental (province du Xinjiang) et pénétra l’ouest du Tibet par la province occidentale de Ngari;
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Une division passa par la province de l’Amdo au nord-est du Tibet;
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Et enfin une troisième division, forte de 40 000 soldats chinois (selon le gouvernement tibétain en exil, 84 000 selon Pierre-Antoine Donnet in Tibet mort ou vif) attaqua la partie orientale du Tibet, la province du Kham.
Cette dernière division fit face à une forte résistance menée par des soldats de l’armée tibétaine, des membres de la milice des frontières et des guerriers de la tribu des Khampas. Mais malgré cela, la résistance tibétaine fut vite dépassée par la violence de l’attaque chinoise. Le gouverneur du Kham, Ngapo Ngawang Jigme, envoie un courrier à Lhassa demandant des instructions avant l’arrivée des troupes chinoises sur la capitale provinciale du Kham, la ville de Chamdo. Son télégramme restera sans réponse. Effectivement, alors que le Tibet oriental ploie sous les coups de l’Armée populaire de libération, les autorités tibétaines sont réunies dans les jardins du Norbulinka, près de Lhassa, pour la fête annuelle offerte par le Kashag (le cabinet ministériel du gouvernement tibétain. Face à ce silence, Ngapo capitule et fuit le Kham, le laissant aux mains des chinois. En onze jours, les chinois avaient conquis Chamdo, réduisant à néant les 5000 hommes de l’armée tibétaine. On peut voir dans cette terrible défaillance du gouvernement du Tibet la raison qui poussa par la suite Ngapo Ngawang Jigme a devenir l’un des tibétains les plus dévoué au parti communiste chinois…
Au niveau international, les protestations face à l’invasion chinoise peuvent être résumées à quelques brèves déclarations sans effet. L’Inde ne fit pas un geste, l’ONU ajourna la question à la demande de la Grande Bretagne, les Etats Unis et le Népal exprimèrent leur sympathie pour le Tibet sans rien faire d’autre… On peut dire que le Tibet paya alors le prix de son isolement voulu sur la scène internationale, comme le souligne Tenzin Geyche Tethong, secrétaire particulier du Dalaï Lama : « Nous autres tibétains avons vraiment été stupides avant 1950. Au lieu de nous ouvrir au monde extérieur et de forger des relations diplomatiques avec les pays étrangers, nous sommes restés volontairement dans l’isolement et nous maintenions inchangé un système comparable à celui qui existait dans vos pays occidentaux il y a deux ou trois cent ans ! Le Tibet ne s’était pas le moins du monde préparé à l’arrivé des chinois. Il est clair aujourd’hui que si le gouvernement tibétain avait profité de ces années pour établir des relations diplomatiques avec quelques autres pays, ne serait-ce qu’avec l’Inde, la Chine aurait eu beaucoup plus de difficultés pour clamer sa souveraineté sur le Tibet en 1950 ».
Une autre des raisons qui joua en défaveur du Tibet est celle de l’absence à cette époque de Dalaï Lama. Effectivement le XIIIème Dalaï Lama, décédé des années plus tôt, n’avait pas encore été remplacé. Sa réincarnation avait été trouvée mais le nouveau Dalaï lama, Tenzin Gyatso, n’avait pas encore été intronisé. Les années de vacance du pouvoir firent un tort irréparable au Tibet. Ainsi le Dalaï Lama lui même déclare que : « le Tibet avait complètement négligé de se préparer ! Le XIIIème Dalaï Lama avait pourtant, avant sa mort en 1933, mentionné de nombreuses recommandations en ce sens dans son testament. Mais pendant la régence, toutes ces choses ont été totalement négligées. Je ne peux pas condamner des individus. Toute la société, les milieux religieux et officiels et le régent lui-même étaient trop ignorants. Ils ne savaient pas ce qui se passait dans le monde extérieur. Ils pensaient que le Tibet était la terre des dieux et se trouvaient de ce fait au-delà de toutes les ingérences humaines. Des croyances aveugles ». Ce n’est qu’en novembre 1950 que l’Assemblée Nationale Tibétaine se réunit en session extraordinaire pour remettre enfin les pleins pouvoirs à Tenzin Gyatso. Cette décision subite alors que le Dalaï Lama n’avait que seize ans répondit à un besoin de réunir le peuple tibétain autour d’un leader qui pourrait les mener à la victoire. Malheureusement, l’issue du conflit était déjà jouée.
En avril 1951, le gouvernement tibétain envoya à Pékin une délégation de cinq membres, menées par Ngapo Ngawang Jigme, dans le but de trouver une solution négociée avec les autorités chinoises. Les membres de la délégation tibétaine avaient reçu des instructions très précises avant de partir pour Pékin : ils devaient rester fermes sur l’indépendance du Tibet. Toutefois si il n’y avait pas d’autres issues possibles, ils pouvaient reconnaître la souveraineté de la Chine, mais sous les conditions suivantes :
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Le Tibet jouirait d’une indépendance interne ;
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Les troupes chinoises ne stationneraient pas au Tibet ;
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L’armée tibétaine serait responsable de la défense ;
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Le service de sécurité du représentant Chinois à Lhassa ne devrait pas compter plus de 100 hommes ;
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Le représentant Chinois devrait être bouddhiste.
Les négociations s’ouvrirent le 29 avril et le 23 mai 1951, la délégation tibétaine signa l’« Accord en 17 points ». Dans cette accord il est dit que « à l’intérieur de cette grande famille de toutes les nationalités de la République populaire de Chine, une autonomie régionale nationale sera exercée dans les territoires où les minorités nationales sont concentrées ». Cet accord marquant l’entrée du Tibet au sein de la République populaire de Chine fut évidemment immédiatement rejeté par les autorités tibétaines dès qu’elles en prirent connaissance. Celles ci déclarèrent que les membres de la délégations avaient été soumis à des pressions insoutenables pour signer le document et que le sceau du gouvernement tibétain qui y est apposé avait été falsifié. Mais pour la Chine, ce document est depuis lors valable et représente l’accord scellé de plein gré par les représentant du gouvernement tibétain avec les autorités chinoises.
On peut penser que 1951 marque la fin du conflit. Mais la paix au Tibet, même sous autorité chinoise, n’a pas encore vu le jour. L’occupation du Tibet devenue insoutenable provoqua de violentes révoltes en 1959. Ces émeutes poussèrent le Dalaï Lama à la fuite. 1959 représente un moment charnière dans l’histoire du Tibet occupé. Avec la fuite du Dalaï Lama en Inde et la répression violente des émeutes, la politique chinoise changea du tout au tout. Les chinois qui avaient promis un sursis de six ans au Tibet avant l’instauration des « réformes démocratiques » décidèrent dès ce moment d’achever la « libération pacifique ». Une publication officielle chinoise annonce ainsi la mise en place des réformes : « [l’insurrection de 1959] accéléra en fait l’extermination des puissances réactionnaires tibétaines et permit au Tibet de marcher sur une nouvelle voie socialiste et démocratique avancée ».
Avec les « réformes démocratiques », la collectivisation des terres fut appliquée à outrance. En 1965, le territoire tibétain fut entièrement découpé. La Région Autonome du Tibet fut créée, tandis qu’une partie de Kham (Tibet oriental) était intégrée à la province chinoise du Sichuan, et que la province tibétaine de l’Amdo, au nord du Tibet historique, était divisée entre les provinces chinoises du Qinghai et du Gansu. Ce découpage du Tibet répondait à un souci de contrôle renforcé de la zone. Effectivement les insurrections des tribus de l’Amdo, tribus guerrières, étaient relativement fréquentes, et les isoler fut une des solutions trouvée par Pékin pour éviter la violence. A cela s’ajoute le fait que de tous temps les chinois ont utilisé la sinisation pour contrôler les territoires envahis. Ce processus a été mis en place au Xinjiang (ancienne république d’Asie centrale) et en Mongolie intérieure. Ainsi au Tibet l’afflux de colons chinois est massif (aujourd’hui 7 millions de Chinois pour 6 millions de Tibétains) ; il a permis de réduire l’influence de la population tibétaine en la noyant dans la masse, et par la même d’« effacer » en quelque sorte sa culture, en la poussant a adopter les us et coutumes chinois. Cette technique très ancienne de sinisation (han hua en langue chinoise) est un des problèmes majeurs au Tibet aujourd’hui, et un des plus grands danger encouru par la civilisation tibétaine.
En 1966, peu de temps après l’instauration des « réformes démocratiques » débuta la Révolution Culturelle. Ce fut une période noire pour l’ensemble de la chine mais aussi pour le Tibet. Des milliers de temples furent détruits ou brûlés, les moines et moniales furent violentés, le peuple tibétain plongé dans la misère. Les communes populaires instaurées au Tibet dès 1958 étaient finalement structurées en 1975. On en dénombrait 2000 au Tibet. Ce système de collectivisation acheva d’ébranler les structures sociales traditionnelles tibétaines.
II. Les tentatives de négociation sino-tibétaines
L’« Accord en 17 points » fut la première négociation sino-tibétaine en rapport avec le conflit. Signé au détriment du gouvernement tibétain, il ne suffisait cependant pas à assurer la main mise de la Chine sur les hauts plateaux, et c’est pour cela que d’autres négociations furent menées avant la fuite du Dalaï Lama en exil.
En 1954, le Dalaï Lama se rendit à Pékin. Il y rencontra Mao Zedong, Zhou Enlai ainsi que les autres membres du gouvernement chinois. C’est également à cette occasion qu’il rencontra Nehru pour le première fois. La plupart des discussions lors de ce voyage à Pékin portèrent sur le Comité préparatoire pour la Région Autonome du Tibet, censé définir les nouvelles attributions et responsabilités de chacun. Ce comité devait être composé de 51 membres, tous Tibétains sauf cinq. Le Dalaï Lama devait être le président de ce comité et le Panchen Lama partagerait le fauteuil de vice-président avec un officiel chinois. Ngapo Ngawang Jigme serait le secrétaire général. La tâche de ce comité était précisément de préparer l’autonomie régionale du Tibet en créant des sous-comités chargés de gérer les questions économiques et religieuses. En avril 1956, le comité fut inauguré. Sur le papier, ses attributions paraissaient acceptables, semblant laisser une large place à l’autonomie du gouvernement tibétain. Mais il s’avéra vite qu’il n’était qu’une façade destinée à illusionner tout gouvernement extérieur qui se serait inquiété du sort du Tibet. En réalité tout le pouvoir était détenu par les chinois, par le biais d’un autre organe appelé le Comité du parti communiste au Tibet, qui lui ne comprenait en son sein aucun membre tibétain. Le peuple tibétain ne tarda pas à s’apercevoir de la supercherie et les manifestations anti-chinoises se multiplièrent. La révolte de 1959 était annoncée.
{{Fuyant les émeutes de 1959, le Dalaï lama se réfugia en Inde. Il entreprit alors de récréer un gouvernement tibétain en exil. Depuis les négociations entre les deux autorités, le gouvernement de république populaire de Chine et le Gouvernement Central Tibétain sont rares et peu suivies d’effet. Bien que la position du Dalaï Lama ait évolué et ait été l’objet de concessions majeures, le gouvernement chinois refuse de traiter avec lui.
III. La résistance tibétaine au Tibet.
Si les chinois ne rencontrèrent pas une résistance forte de la part de l’armée tibétaine, les Tibétains exprimèrent cependant à plusieurs reprise leur refus de la domination chinoise.
La première rébellion fut celle des Khampas, en 1956. Les Khampas sont une tribu guerrière vivant dans la région orientale du Kham. En 1956, le Dalaï Lama avait perdu tout espoir d’un compromis solide avec le gouvernement chinois. La domination chinoise était presque complète. Un an avant, en 1955, le parti communiste avait émis une directive intimant aux troupes et officiels chinois de désarmer les Khampas, conscients qu’ils représentaient un danger. Les hommes furent désarmés et les monastères fouillés pour les vider de leurs arsenaux. C’est cette intrusion chinoise dans l’univers traditionnel des Khampas qui déclencha la révolte. L’appel au combat se répandit dans les villages et en 1956, la guérilla, composée de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, attaqua les positions militaires chinoises. Dans cette région montagneuse, les cavaliers Khampas eurent l’avantage sur des soldats chinois inexpérimentés. Le sentiment de révolte se propagea à travers la totalité de la province du Kham et les chinois subirent de violents revers. Pékin demanda à plusieurs reprises au Dalaï Lama d’envoyer l’armée tibétaine à l’assaut des Khampas, mais celui-ci refusa toujours.
La rébellion des Khampas pris une telle importance qu’elle intéressa les Etats Unis à la question tibétaine. Le gouvernement américain était alors fermement opposé au parti communiste chinois et sont plus vif désir était d’effacer ce « mal rouge » d’Asie. La guerre de Corée avait envenimé les relations sino-américaines et le gouvernement américain était impatient de prendre sa revanche et de déstabiliser la Chine communiste. C’est dans ce but que la CIA mit en place en 1957 une opération appelé Garden, une des plus incroyables opérations menée par les services secrets américains en Asie. Des guerriers Khampas furent emmenés aux Etats Unis dans un camp d’entraînement du Colorado, Camp Hale, où la CIA leur enseigna les techniques de guérilla et le maniement d’armes modernes. Le but était de les infiltrer au Tibet pour combattre les forces militaires chinoises. Plus de 1 000 Tibétains furent ainsi formés, espérant que grâce à cet entraînement ils seraient à même de créer un mouvement indépendantiste à l’intérieur du Tibet. Cependant cette opération fut un échec. Plusieurs raisons l’expliquent. La première est que l’opération fut trop tardive. Les troupes chinoises étaient parfaitement implantées au Tibet et les hommes très nombreux. La deuxième raison tient au refus de l’Inde, partenaire de l’opération, de risquer un affrontement avec son puissant voisin. Chime Namgyal, résistant indépendantiste Khampa aujourd’hui vice-président de l’Assemblée parlementaire du gouvernement tibétain en exil, raconte les blocages générés par l’Inde : « L’essentiel de notre travail était de nouer des contacts avec la population afin de créer des réseaux de résistants. Plusieurs fois, l’occasion se présenta d’attaquer la partie chinoise mais nous n’en avions pas le droit. Le haut commandement l’interdisait, sur ordre de la partie indienne. Seuls ceux qui avaient été parachutés au Tibet pouvaient se battre contre les Chinois (…). Tous les obstacles venaient de l’Inde. Elle n’était intéressée que par la collecte d’informations à caractère militaire sur le dispositif chinois au Tibet et ne voulait pas que des affrontements entre Tibétains et Chinois provoque des conflits frontaliers. Cet état des choses était accepté par la partie américaine, car l’ensemble de l’opération avait été élaborée par des représentants de trois pays : le Tibet, les Etats Unis et l’Inde."
La révolte des Khampas déclencha l’embrasement du Tibet contre les forces occupantes chinoises. Face à cette situation, Mao déclara en 1957 qu’il attendrait que la situation mûrisse avant de mettre en place les « réformes démocratiques ». Mais les tensions ne se calmèrent pas devant ce qui n’était qu’un sursis et les Tibétains prirent les armes dans l’Est, le Nord-est et le Sud-est du Tibet. L’année 1958 vit la violence à l’égard des Chinois s’intensifier. Les Khampas affluaient en masse vers Lhassa pour protéger la capitale alors qu’à l’Est la guérilla continuait. Lorsque le 10 mars 1959 le représentant Chinois en poste à Lhassa, le général Tan Guansan, convia le Dalaï Lama à venir assister à une représentation théâtrale au camp militaire sous la condition expresse que le chef Tibétain ne soit accompagné d’aucun gardes du corps ni d’aucun officiels de son gouvernement, la tension atteignit son paroxysme. Les habitants de Lhassa se massèrent autour du Norbulinka, résidence d’été du Dalaï Lama, pour protéger leur chef. Les slogans anti-chinois fusèrent. Tous craignaient que cette invitation des Chinois ne soit qu’un subterfuge pour enlever le Dalaï Lama et l’emmener de force à Pékin. Ce type d’enlèvement était déjà arrivé à de nombreux Lamas. Le Dalaï Lama prit alors la décision de décliner l’invitation du général Chinois. Ce dernier entra alors dans une violente colère et décida de prendre d’assaut le Norbulinka pour « délivrer » le Dalaï Lama des « réactionnaires Tibétains sabotant l’amitié entre le Tibet et la Chine ». Lorsque les membres du gouvernement Tibétain furent informés de cette attaque, ils décidèrent de la nécessité de la fuite du Dalaï Lama en exil. Ce dernier quitta Lhassa dans la nuit du 16 au 17 mars 1959. L’annonce de cette fuite provoqua la fureur des autorités chinoises. Le 20 mars, ils attaquèrent Lhassa. Les combats durèrent trois jours et trois nuits, opposant dans un face à face sanglant 20 000 civils Tibétains à 40 000 soldats chinois sur-armés. A la fin des combats, les Chinois comptèrent 4 000 prisonniers Tibétains et 2 000 morts civils. D’autres chiffres font cependant état de 10 000, voir 20 000 morts Tibétains pendant ces trois jours de répression meurtrière. Cette révolte de 1959 matée dans le sang ouvrit une blessure qui ne se referma jamais. Apprenant la fuite du Dalaï Lama, le gouvernement chinois décida de punir le peuple Tibétain en appliquant sans répit les « réformes démocratiques », à savoir la collectivisation forcée des terres tibétaines. La répression violente qui s’était abattue sur le peuple des hauts plateaux planta dans l’esprit de chacun la graine des futurs révoltes.
Jusqu’en 1987 les mouvements de rébellion ne furent pas aussi massifs qu’en 1959. Les actes indépendantistes étaient plus isolés et plus pacifiques. Mais la tension était toujours palpables. Les Chinois étaient de plus en plus nombreux au Tibet, dépassant presque les Tibétains, et la haine entre les deux peuples était si forte qu’elle ne pouvait qu’exploser. C’est ce qui se passa en 1987.
Après la mort de mao Zedong fut initiée en Chine la politique de réforme et d’ouverture de Deng Xiaoping. Le mouvement de décollectivisation rendit les terres aux paysans. Le contrôle sur la religion et les activités de chacun s’amoindrit et les Tibétain eurent l’impression d’un nouvel espace de liberté. Il profitèrent de ce qu’il pensait être un nouveau départ pour exprimer leur refus de la domination chinoise. Le 21 Septembre 1987, le Dalaï Lama exposa au Congrès américain une proposition de paix appelé « Plan de paix en cinq points », demandant non plus l’indépendance totale du Tibet mais une réelle autonomie. Les Tibétains placardèrent dans Lhassa des affiches reproduisant cette proposition du Dalaï Lama ainsi que des tracts dénonçant les exactions chinoises en matière de droits de l’homme, ce qui fâcha les autorités chinoises alors au prise avec des troubles intérieurs. En septembre et octobre, les manifestations anti-chinoises se multiplièrent à Lhassa. Le 1er octobre, une de ces manifestation dégénéra en émeute, faisant plusieurs morts Tibétains et Chinois (six policiers Chinois selon Pékin ; et treize morts, six Chinois et sept Tibétains, selon des observateurs occidentaux). Mais cette violence n’arrêta pas le mouvement et d’autres manifestations suivirent. Le gouvernement chinois prit alors des mesures de sécurité et ferma sa frontière avec le Népal le 8 octobre.
Quelques mois plus tard, la révolte repris de plus belle, à l’occasion du festival du Monlam Chenmo, la plus importante fête religieuse du Tibet. Pékin autorisa ce festival pour redorer son blason auprès des étrangers et tenter de faire oublier les évènements de 1987. Le 5 mars 1988, 25 000 fidèles étaient rassemblés sur l’esplanade du Jokhang à Lhassa, où devait être organisée la cérémonie religieuse. Mais vers 9 h 50, des moines s’emparèrent du micro pour hurler des slogans anti-chinois. Ils furent suivis par les fidèles qui jetèrent bientôt une pluie de pierres sur les officiels Chinois présents. La police répliqua armée de mitraillettes et 6 000 Tibétains affrontèrent les Chinois l’après-midi durant. Les affrontements durèrent seize heures et les Tibétains dénombrèrent huit morts, tandis que les Chinois ne font état que d’un policier chinois mort, sans même mentionner les Tibétains.
C’est un an plus tard, le 5 mars 1989 que se joua le dernier acte de la révolte tibétaine qui enflamma la fin de la décennie quatre-vingt. Encore une fois, des lamas et moniales se réunirent sur les marches du Jokhang, accompagnés de centaines d’habitants de Lhassa, pour dénoncer la domination chinoise. La police chinois n’hésita pas à faire feu sur la foule, mais cette fois sous l’œil de témoins occidentaux qui assistèrent à la scène. Le bruit des mitraillettes résonna jusqu’au soir et reprit le lendemain contre de nouveaux émeutiers. Ce n’est que dans la nuit du 7 Mars que les combats prirent fin, Pékin décidant pour la première fois l’instauration de la loi martiale à Lhassa. Elle comportait les dispositions suivantes :
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Couvre-feu ;
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Interdiction des meetings, défilés, grèves, pétitions et rassemblements de toute sortes ;
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Nécessité d’une autorisation spéciale pour toute personne désireuse d’entrer dans la zone soumise à la loi martiale ;
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Confiscation de toute arme et munition possédée illégalement ;
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Autorisation accordée aux services de sécurité de fouiller toute personne suspecte et tout lieu susceptible d’abriter des « criminels » ;
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Autorisation accordée aux forces de l’ordre d’arrêter toute « fauteur de trouble » et de prendre « toute mesure appropriée » contre ceux opposant une résistance.
La sévérité de cette loi martiale empêcha toute révolte et rendit toute tentative de résistance et de lutte armée impossible au Tibet, même si les manifestations pacifiques réprimées par la force se multiplièrent (plus de 150 entre 1987 et 1996) et si l’on dénombra neufs petits attentats à la bombe entre 1995 et 1997, à proximité de bâtiments officiels et de monuments. Ainsi la privation de liberté qu’entraîna la loi martiale poussa à l’exil un nombre croissant de Tibétains et agrandit plus encore le ressentiment des Tibétains vis à vis de l’occupant chinois.
Notes
A lire :
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« Proving truth from fact », Gouvernement tibétain en exil, disponible sur www.tibet.com.
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« Tibet mort ou vif », de Pierre-Antoine Donnet, éditions Folio/Actuel, 1992.
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« My land and my people », autobiographie de Sa Sainteté le Dalaï Lama, éditions Warner Books, New York, 1997.
À consulter :
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Le site du gouvernement tibétain en exil : www.tibet.com