Brigitte Serrano-Vulliod, Grenoble, France, febrero 2006
Le bouc émissaire
D’origine religieuse, l’expression bouc émissaire désigne en langage courant la personne qui est désignée par un groupe comme devant endosser un comportement social que ce groupe souhaite évacuer. Cette personne est alors exclue du groupe, au sens propre ou figuré, parfois punie, ou condamnée.
À noter que la personne choisie ne l’est pas forcément pour avoir partagé ce comportement, elle peut être une victime expiatoire choisie pour d’autres raisons du fonctionnement du groupe.
Référent culturel
Le terme de bouc émissaire correspond à l’origine à un rite expiatoire annuel des Hébreux longuement décrit dans le seizième chapitre du Lévitique. Le grand prêtre devait prendre deux boucs puis les tirer au sort. L’un était directement sacrifié à Dieu, tandis que l’autre était envoyé dans le désert vers Azazel, démon sauvage, sans doute un ange déchu, dont le nom signifie dieu-bouc. C’est ce deuxième bouc qui est appelé bouc émissaire, du latin ecclésiastique caper emissarius (le bouc envoyé, lâché). Le rôle exact du bouc émissaire est clairement décrit dans le texte biblique :
« Aaron lui posera les deux mains sur la tête et confessera à sa charge toutes les fautes des Israélites, toutes leurs transgressions et tous leurs péchés. Après en avoir ainsi chargé la tête du bouc, il l’enverra au désert sous la conduite d’un homme qui se tiendra prêt, et le bouc emportera sur lui toutes leurs fautes en un lieu aride. » (Lévitique XVI:21-22)
Dans le même ordre d’idée, celui du sacrifice de substitution, Lévitique IV:22-26, propose un sacrifice d’expiation propre au péché d’un chef, lequel rejaillit sur l’ensemble de la communauté :
Si c’est un chef qui a péché, en faisant involontairement contre l’un des commandements de l’Éternel, son Dieu, des choses qui ne doivent point se faire et en se rendant ainsi coupable, et qu’il vienne à découvrir le péché qu’il a commis, il offrira en sacrifice un bouc mâle sans défaut. Il posera sa main sur la tête du bouc, qu’il égorgera dans le lieu où l’on égorge les holocaustes devant l’Éternel. C’est un sacrifice d’expiation. Le sacrificateur prendra avec son doigt du sang de la victime expiatoire, il en mettra sur les cornes de l’autel des holocaustes, et il répandra le sang au pied de l’autel des holocaustes. Il brûlera toute la graisse sur l’autel, comme la graisse du sacrifice d’actions de grâces. C’est ainsi que le sacrificateur fera pour ce chef l’expiation de son péché, et il lui sera pardonné.
Dans « La violence et le sacré » René Girard montre comment le sacrifice d’un animal permet d’apaiser symboliquement les pulsions agressives, par ce subterfuge (l’animal est substitué à la « cible » humaine) les membres de la communauté sont préservés. La violence de tous contre tous se résout dans la violence de tous contre un, autour de la victime sacrifiée se reforme l’unanimité de la collectivité apaisée par cet exutoire.