Karine Gatelier, Grenoble, avril 2014
Transformation de conflit
L’appellation anglaise Conflict transformation peut se traduire par les deux expressions françaises « Transformation de conflit » et « Transformation par le conflit ».
Cette approche a émergé dans les années 90 dans les milieux anglo-saxons des études sur les conflits et la paix (Peace studies). Elle vient compléter et même critiquer les approches développées antérieurement de Gestion de conflit et de Résolution de conflit.
Elle se différencie de ces deux approches en cela qu’elle met en évidence le besoin de changements structurels, relationnels et culturels de long terme. Pour la définir, nous devons d’abord clarifier sur quelle conception du conflit elle repose.
Le conflit est la manifestation de la multitude qui compose toute société et qui naturellement s’exprime par la même multitude de positions, d’intérêts et d’objectifs qui peuvent se révéler contradictoires et incompatibles. Le conflit naît de cette incompatibilité. En cela il est normal dans la vie des sociétés. Cette normalité du phénomène social conflit fait qu’il rend obligatoire une action, sans quoi les risques sont grands que le pouvoir destructeur du conflit entre en jeu. Le conflit n’est donc pas systématiquement violent ; il signale un déséquilibre, une inégalité, une injustice, enfin, une asymétrie, révélant des rapports de force parfois peu visibles car intériorisés.
Le conflit vu comme un phénomène social de rupture avec un ordre établi, introduit par conséquent une contestation, une demande de changement social. Le conflit ne pourra être considéré comme clos que lorsque les changements sociaux transformant les perceptions (culturel), les relations (relationnel) et les structures (structurel) seront pratiqués.Seuls ces changements sociaux sont propres à répondre de façon adéquate à la demande de changement exprimée par le conflit. Ce processus qu’ouvre l’éclatement du conflit peut s’inscrire dans la longue durée, avant de parvenir finalement à une sortie du conflit. Le processus n’est pas linéaire mais peut connaître des oscillations, des régressions, de phases violentes éventuellement, car comme dans toutes les situations de contestation de l’ordre établi, les forces de résistance au changement sont nombreuses et en position de domination. Cela explique que le conflit est un processus généralement douloureux où l’incertitude sur l’avenir prévaut et où les positions sont fragilisées. La longueur du processus tient au déni et à l’évitement du conflit par les dominants.
La transformation des conflits peut être définie comme l’ensemble des transformations sociales nécessaires à accomplir pour sortir d’un conflit. En fonction de la nature du conflit, violent ou pas, ces transformations sociales peuvent concerner la suppression d’un système d’injustice ou de discriminations, une répartition des richesses, les conditions d’une participation politique, d’un accès aux ressources etc. Si on considère que l’émergence d’un conflit correspond à l’expression des besoins des individus qui le portent, les transformations sociales devront être capables d’y répondre pour considérer le conflit terminé.
Enfin, ces transformations sont d’ordre structurel dans la mesure où elles touchent à la structure du conflit (acteurs ; contexte ; institutions, ressources etc.); c’est en modifiant cette dernière qu’il devient possible de sortir du conflit.
La transformation de conflit offre une nouvelle perception de la situation conflictuelle propre à sortir du conflit car :
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Elle constitue l’exploration d’une troisième voie, entre deux antagonismes qui s’opposent dans le conflit.
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Elle donne la possibilité de s’exprimer à tous ceux intéressés par la situation de conflit. Donner la parole est une forme d’attribution de pouvoir.
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Elle prend en compte des relations de pouvoir ; prend en compte la nécessité d’une ré-distribution des relations de pouvoir pour appréhender les causes structurelles du conflit.
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Elle veut transformer une situation d’antagonisme / opposition entre deux ou plusieurs acteurs par la création d’un sens de communauté qui inclut tous ceux concernés.
La transformation par le conflit ne recourt qu’à des moyens d’action non-violents sans quoi les schémas de domination ne seraient pas remis en cause mais au contraire perpétués.
Par conséquent, nous considérons que conflict transformation peut également être traduit par transformation par le conflit : le conflit par la rupture qu’il opère, ouvre un espace qui rend possible les changements structurels. Il devient un outil voire un moteur du progrès social.
L’approche de la transformation de conflit / transformation par le conflit offre des outils conceptuels qui permettent de penser le conflit dans l’intention d’agir sur lui.