Karine Gatelier, Grenoble, avril 2014
Conflit
On attribue une grande variété de sens au terme conflit. On peut être en conflit avec son voisin ; une société peut être ravagée par un conflit ; les deux super-puissances pendant la guerre froide étaient en conflit. Ainsi, le conflit peut intervenir à tous les niveaux de l’activité humaine, individuel ou collectif, personnel ou international, à des degrés de gravité différents.
En dépit de cette variété, tous les conflits partagent d’être le résultat de la rencontre d’intérêts ou de positions contradictoires et incompatibles entre eux. En cela, ils se construisent sur trois éléments fondateurs : une perception ; un comportement ; une incompatibilité (1). La perception négative (hostilité) de l’autre nourrit un comportement malveillant à son égard qui se projette dans le sentiment de l’incompatibilité entre ses propres intérêts et ceux de l’autre.
Nous comprenons d’emblée que les interactions humaines nourrissent l’émergence de conflits : les individus et les groupes portent des objectifs différents, incarnent des positions changeantes, et évoluent dans un même espace dont les ressources et les positions sont limitées. Les salariés d’une même entreprise ou les voisins d’un même immeuble doivent bien s’entendre sur des modes de vie compatibles avec chacun. Dès lors, on comprend combien le conflit peut facilement surgir, né de la friction entre les divergences et les incompatibilités des vues de chacun (2). C’est en cela que nous pensons qu’il est un phénomène banal des sociétés humaines, né de la multitude qui compose la société, à travers les individus et les groupes qui la forment, et des positions de pouvoir qui fondent une hiérarchie qui ne permet pas l’égale prise en compte de ces intérêts. Cette situation produit de la frustration et un accès inégalitaire aux ressources et aux valeurs légitimes (consommation par exemple (3)). D’où notre opinion que le conflit est légitime, à exister et à s’exprimer, et que par conséquent il mérite un autre traitement que le seul traitement sécuritaire et répressif.
S’il s’agit de poser la banalité du conflit, ce dernier n’en demeure pas moins une expérience négative, du fait des tensions, de la souffrance et voire de la destruction qu’il peut causer. Et de ce fait, l’étude des conflits comporte une utilité sociale : le conflit agit comme un révélateur du besoin d’envisager une action réparatrice de l’injustice à son origine.
Le conflit est la manifestation de la colère, de la frustration, d’un sentiment d’injustice dans une variété de situations. Il témoigne d’un déséquilibre dans la distribution des ressources (économiques – biens, revenus – ou symboliques – pouvoir, prestige, relations), d’une injustice (discrimination à l’égard d’un groupe, déni d’identité ou d’existence), d’une souffrance (oppression, valeurs, reconnaissance), de relations de domination illégitimes etc. d’autant de réalités sociales qui créent des tensions. Sans cette intervention réparatrice – la discrimination positive peut par exemple à moment donné corriger l’accès inégalitaire à l’emploi ou à l’éducation notamment ; une loi discriminatoire peut être abolie – ces tensions ne cessent de s’exacerber, menaçant de culminer en violence. Le conflit exprime dès lors le besoin de transformation sociale, la demande de remise en cause de l’ordre social établi.
Notes
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(1) : Notre définition reprend largement l’analyse de J. Galtung : ABC Triangle.
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(2) : Diana Francis, People, peace and power, Conflict Transformation in Action.
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(3) : Wieviorka op. cit. : 147.