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Concept file Dossier : Résistances civiles de masse

Jean Marichez, Grenoble, March 2006

Action civile

L’action civile est l’unité d’action en matière de résistance par des civils, elle est le point commun de tous les concepts de la lutte non-violente. Son étude est riche d’enseignements. Voici quelques aperçus d’un sujet complexe.

L’action civile désigne par exemple une grève, une manifestation, une pétition, un refus de payer collectif, un acte de défi… et autres nombreuses formes d’action.

Ces actions ont des caractéristiques variées : elles peuvent être collectives ou individuelles, symboliques, de défi, de non-coopération, de refus, de désobéissance, de blocage(routes, institutions…), légales ou non, majoritaires on non, locales ou nationales…

Exemples d’action civile : manifestation, tracts, lettres collectives, pétition, humour, article courageux dans la presse, action en zone de guerre, refus de port du voile chez les musulmans, action symbolique de protestation, acte de défi, grève de la faim, refus d’impôt, marche collective, recherche volontaire de procès pour la médiatisation, défilés quotidiens, boycott, grève, blocage de routes ou d’aérodromes, brouillage radio, engorgement d’administration, refus massif d’obéissance…

Le principe consiste à s’adresser à l’opinion publique via les médias pour faire pression sur le pouvoir. L’action civile manipule chacune de ces trois cibles par ses ressorts spécifiques, par exemple l’opinion par l’émotion ou les images…, les médias par l’impact commercial, le pouvoir par la crainte d’une perte de pouvoir, etc. Ces ressorts varient selon les situations, notamment en temps de guerre.

Elle ne recourt pas à la violence et veille sur ce point avec la plus grande détermination de façon à ne pas perdre son efficacité. Mais elle n’en est pas moins une opération de force car elle court-circuite un pouvoir en place pour conquérir un résultat concret.

Certains l’appellent « Action non violente » pour mettre l’accent sur l’adhésion aux valeurs non violentes radicales. Nous préférons le terme actions civiles pour éviter tout amalgame avec les connotations morales, idéologiques ou même pacifistes.

Contrairement à l’action violente qui détourne l’attention de l’opinion sur l’acte lui-même, elle permet au public de rester centré sur la finalité, surtout si elle est conçue pour cela. Par exemple, un concert de casseroles peut, en rythmant un slogan, lui donner de la force.

Son efficacité est liée au bien-fondé de la cause, à la gravité de la situation, à la détermination des acteurs, à leur nombre, aux talons d’Achille du pouvoir mis en cause, à la préparation et à l’accompagnement médiatique, à la qualité des personnalités qui participent à la lutte et qui seront mises en avant par les médias, aux choix stratégiques concernant les formes d’action (lieu, calendrier, moyens…) et à bien d’autres facteurs…

Soupape de sûreté indispensable de la société, elle fait partie de la démocratie même si elle est souvent pratiquée dans des pays peu démocratiques.

Mais, en tant que moyen de force, elle ne peut être utilisée qu’en dernier recours. Certains l’utilisent pourtant comme moyen d’expression plus courant et pour des situations que d’autres jugent sans gravité. Ainsi, les grèves de l’époque de Zola étaient beaucoup plus graves que certaines actuelles qui pourtant réclament la même augmentation de salaire.

Elle n’est pas seulement vouée à de nobles causes, elle sert aussi des fins discutables ou corporatistes peu soucieuses du bien commun. Elle abuse parfois de l’image avantageuse du peuple brimé luttant contre des forces mauvaises qui l’obligent à enfreindre la loi. L’opinion publique est appelée à en juger sur la foi des seules informations qu’elle reçoit ! Exemples d’action discutable : grève des mineurs anglais en 1984 financée par l’URSS, grèves de la faim mortelles de l’IRA en 1981, manifestations manipulées par un gouvernement en Afrique, utilisation trop fréquente de la grève à des fins égoïstes.

La question est de savoir comment reconnaître une cause juste. Les critères sont nombreux et les appréciations complexes. Le seul moyen dont nous disposons aujourd’hui est pragmatique à défaut de mieux : il s’agit de l’appréciation populaire. Si une majorité de la population prend parti pour des grévistes, le pouvoir décidera s’il le peut (sauf cas aberrant) qu’il faut donner suite à leur demande. La possibilité d’expliquer et d’instruire le sujet dans la population est un préalable nécessaire. Les notions d’action de masse ou de résistance de masse trouvent ici leur sens.

A la fin de l’année 2004, la municipalité de Grenoble avait décidé de couper tous les arbres d’un parc qu’elle destinait à un stade. Un collectif s’était rassemblé pour lutter contre cet abattage épouvantable dans une ville qui dispose de si peu de parcs arborés. Nous avions été consultés sur le plan technique de l’action civile. Comment faire pour gagner une telle lutte ? Des jeunes dormaient courageusement dans des arbres depuis plusieurs semaines déjà et se disaient prêts à aller jusqu’au bout. La population était impressionnée. Notre conseil fut d’obtenir son adhésion : « pour gagner il vous faut d’abord œuvrer afin d’obtenir des sondages favorables qui vous permettront ensuite d’obtenir un référendum ». Mais finalement la population ne se mobilisa pas. Les arbres furent abattus et le stade fut mis en construction. Bonne ou mauvaise la réponse ne peut être que celle de la démocratie. Parce qu’il n’y en a pas de meilleure.

L’action civile n’est en elle-même ni bonne ni mauvaise. Elle est un moyen et un outil, elle est donc neutre. Ce sont les hommes, leur manière de la comprendre et de la mettre en œuvre, qui en font un outil de progrès ou de régression.

La maîtrise d’actions collectives est difficile. Elle exige une structure responsable et expérimentée ainsi que des moyens.

La lutte par actions civiles est enseignée et comporte de nombreux spécialistes dans les milieux qui l’utilisent.

Elle est peu étudiée en tant que telle. Son concept lui-même est si peu identifié qu’il ne comporte pas de nom spécifique dans le langage courant. Curieusement, cela n’empêche pas les gens de se mobiliser. Ce déficit d’études conduit à des erreurs de stratégie, des emplois non adaptés, un abandon de compétence aux extrémistes, une législation dépassée. Sa pratique a évolué. Son usage s’est étendu. Elle pose de nombreuses questions. Il est aujourd’hui nécessaire de réfléchir à ces processus de notre vie politique.