Fiche d’expérience Dossier : La médiation : une nouvelle réponse aux conflits ?

Montargis, février 2005

La Maison des conflits de Turin

Créée par l’association « Groupe Abele », la Maison des conflits de Turin, en Italie, réunit une équipe d’une vingtaine de personnes aux profils professionnels divers : sociologues, psychologues, juristes, pédagogues. Des bénévoles participent également au projet. Tous sont formés à la médiation. La maison accueille les personnes en situation de conflit : conflit dans la famille, au travail ou de voisinage, conflits interpersonnels ou entre groupes, conflits privés ou mettant en jeu des institutions…

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C’est en 1996 qu’a été créée la Maison des conflits à Turin, ville de près d’un million d’habitants. L’implantation a été faite dans le quartier central de San Salvario, avec le regroupement de divers services d’aide aux victimes et de gestion des conflits. Le centre est géré par l’association « Gruppo Abele » qui combat les exclusions depuis une trentaine d’années et dont l’équipe a été formée à la médiation par le Centre de médiation et de formation à la médiation (CMFM) de Paris. Les services offerts sont gratuits. Le financement est assuré par la commune de Turin, la région et les services de l’éducation nationale. Depuis, plusieurs antennes ont été créées.

Il y a une permanence dans le quartier central de la ville, deux autres en périphérie dont une dans le quartier Mirafiori où se trouve le siège de la plus grande usine Fiat. Un quatrième lieu vient d’être ouvert dans un quartier HLM. Ces espaces accueillent les personnes qui vivent des conflits de voisinage, des conflits familiaux, professionnels, ou qui ont été victimes de délits ou d’injustices. Ce ne sont pas seulement des centres qui proposent des médiations, mais, plus largement, des espaces du conflit, où l’on peut raconter sa souffrance, trouver une écoute bienveillante sans être jugé.

Il s’agit d’une expérience sans doute nouvelle mais avec des racines anciennes. Il y a quelques dizaines d’années, dans la société rurale, existaient des personnes qui remplissaient la fonction de régulation des conflits du quotidien : le prêtre, le maître d’école, le médecin… Il y avait parfois un conciliateur, fonction confiée par rotation aux personnes reconnues pour leur sagesse et leur équilibre.

La Maison des conflits s’adresse aux particuliers qui peuvent trouver là un interlocuteur qui les écoute et des ressources pour gérer leurs difficultés. Une autre fonction du lieu est d’assurer la formation de médiateurs de quartier. Car les médiateurs ne sont pas des intervenants supplémentaires par rapport aux différents services publics, sanitaires et sociaux, mais un service complémentaire qui considère la personne dans sa globalité et non tel ou tel aspect de son problème.

Les objectifs du projet

On peut résumer ainsi les objectifs de la Maison des conflits :

  • Offrir un temps et un espace aux personnes en conflit qui peuvent ainsi se sentir écoutées, reconnues, respectées et aidées.

  • Prendre en charge, avec des logiques de médiation ou de conciliation, les conflits interpersonnels, inter-groupes ou inter-institutions, en cherchant à favoriser des accords directs entre les parties.

  • Accueillir, pas tant les conflits que leurs interprétations, à travers les émotions, les vécus et les sensations qui accompagnent leur développement.

  • Un lieu où l’on puisse exprimer la peur, la souffrance, l’intolérance, l’agressivité et la violence qui souvent gravite autour du conflit.

  • Un espace d’attention particulière aux victimes de délits, aux personnes qui ont besoin d’accompagnement et de soutien quand un deuil survient subitement. Ces démarches sont effectuées en étroite collaboration avec les forces de police, avec les associations d’aide aux victimes et avec l’aide d’auxiliaires de justice, d’avocats et de magistrats. Le centre est impliqué étroitement dans la vie du quartier.

  • Étudier la répartition des conflits sur le territoire de façon à suggérer aux institutions et aux acteurs sociaux concernés, des mesures de prévention qui limitent et combattent la violence.

  • Promouvoir dans les quartiers, et notamment dans les établissements scolaires, une autre culture du conflit.

  • Développer à tous les niveaux la formation à la gestion des conflits, notamment pour les enseignants, pour les animateurs sportifs, pour les policiers, les employés des transports publics, les bénévoles des associations du temps libre, les éducateurs de rue…

Un lieu pour se raconter

La Maison des conflits est un espace pour parler, parler de ses souffrances, de ses colères. C’est le lieu où l’on va quand on ne sait pas où aller. C’est donc un service à la personne, destiné au simple citoyen et non un service comme il en existe beaucoup d’autres. C’est un travail en complémentarité avec les institutions, coordonné avec tous les acteurs de terrain intervenant sur les quartiers, en premier les forces de l’ordre.

Les personnes sont reçues dans une ambiance accueillante, propice à l’écoute et à l’expression des peurs et des émotions. On peut y rencontrer une mère et sa fille adolescente qui ont des difficultés à communiquer, ou deux voisins en conflit depuis des années, ou encore un locataire en litige avec son propriétaire…

Les médiateurs ne prennent pas position sur le différend, ils ne sont ni juges ni arbitres. Ils interviennent pour rétablir la communication interrompue et pour redonner aux parties concernées la responsabilité de la gestion de leur conflit.

C’est essentiellement la difficulté de communication qui alimente le conflit et, quand il n’y a pas d’accompagnement pour le transformer de façon constructive, cela provoque uniquement douleur et souffrance, colère et agressivité, dans une spirale qui empêche d’entrevoir une issue.

La pratique d’intervention

Le processus de gestion de conflit permet à chacun des protagonistes d’exprimer sa perception du problème et éventuellement de rencontrer l’autre pour en parler. Concrètement, quand une personne arrive à la Maison des conflits, elle est reçue dans un bureau où elle peut parler librement. L’attention des accueillants ne se limite pas aux faits exprimés, ils font également attention aux émotions et à l’environnement du problème.

Ensemble, ils cherchent à définir la procédure la mieux adaptée en fonction de la personne et de la situation. S’il y a lieu, on propose une médiation. Dans ce cas, on cherche à entrer en contact avec l’autre partie, d’abord par courrier pour lui proposer de venir exprimer son point de vue. Si la personne accepte et se présente au Centre, ce sont d’autres permanents qui vont l’accueillir et l’écouter de façon à ce qu’il y ait une écoute libre, sans préjugés ni influence. S’il ressort de ces entretiens la possibilité d’une confrontation et le désir de rétablir le dialogue avec le protagoniste, on propose alors un rendez-vous en médiation.

Les parties se rencontrent en présence de trois médiateurs qui, jusqu’à la rencontre, ne connaissent rien du problème. Leur fonction est d’assurer une bonne communication en permettant à chacun de donner son point de vue dans le respect de l’autre. Les médiateurs favorisent l’expression des émotions et responsabilisent les parties sur la gestion de leur conflit, sans présager de l’issue de la médiation.

Dans certains cas, il nous semble opportun d’aborder exclusivement le sujet du litige et d’arriver, par la négociation, à un accord, en laissant de côté les dynamiques relationnelles et les émotions.

Certaines fois, les deux parties viennent au Centre et sont décidées à régler leur problème, mais elles ne désirent pas se rencontrer. On peut procéder alors à une négociation par tiers interposé, les médiateurs assurant la liaison entre les deux.

Quand la seconde partie refuse de venir au Centre, on peut proposer à la première, différentes formes d’aide. Concrètement, cela peut vouloir dire lui proposer un conseil juridique gratuit pour lui préciser ses droits. Les personnes en conflit ont toujours la possibilité de revenir pour solliciter de l’aide.

Les résultats

Il arrive au Centre des centaines de demandes d’intervention par an, ce qui nécessite de contacter environ deux fois plus de personnes. Les entretiens téléphoniques, les demandes d’informations et les rencontres qui en résultent représentent quelque huit cents dossiers par an. Les demandes d’intervention concernent un large spectre de problématiques que l’on peut regrouper par grandes catégories :

  • Les conflits dans la famille (entre parents et enfants, entre conjoints) : 55 %.

  • Les conflits de proximité (entre voisins, entre propriétaires et locataires, entre propriétaires et administrateurs…) : 40 %.

  • Les conflits plus spécifiquement de « territoire » qui opposent résidents et entreprises artisanales ou publiques, résidents entre eux ou encore habitants et institutions : 5 %.

Environ un tiers des contacts résulte d’une démarche personnelle, 40% sont envoyés par la police et le reste par différents services sociaux.

Le travail engagé ces dernières années porte ses fruits. L’équipe de médiateurs compte 20 personnes. En une année scolaire, 400 enseignants ont été sensibilisés et les ateliers ont touché 800 enfants en bas âge et 1500 jeunes et adolescents.

En ce qui concerne la médiation sociale, une évaluation réalisée en 2001 par des étudiants de l’université de Turin a montré que sur l’ensemble des dossiers traités par la Maison des conflits :

  • 20 % des personnes ne sont pas allés en médiation, mais ont été satisfaites du conseil juridique proposé gratuitement par le centre

  • 30 % sont allés en médiation

  • 15 % ont bénéficié d’une consultation juridique et ont décidé de suivre la voie judiciaire

  • 10 % des dossiers n’ont pas abouti car la partie adverse n’a pas répondu aux courriers.

Gestion des conflits et territoire

L’aide à la gestion des conflits est essentiellement basée sur l’écoute de personnes rongées par leurs conflits, au bord de la rupture. L’intervention peut ensuite s’élargir au monde de l’école, des associations, des mouvements de jeunes.

Les disputes entre copains, les différends dans la famille ou à l’école ont une grande résonance émotive qui influe sur le développement psychologique de l’enfant. C’est pourquoi tout conflit, quel que soit son importance, nécessite une gestion des émotions et des sentiments. C’est une étape déterminante dans la construction de l’identité qui, si elle vécue négativement, risque d’être ressentie comme un échec personnel, notamment du point de vue de l’estime de soi.

Outre la sensibilisation et la formation des enseignants aux pratiques de médiation et de gestion des conflits, le projet vise également à fournir aux étudiants une capacité d’autonomie suffisante pour leur permettre d’affronter le monde des adultes. L’objectif est de proposer une formation à la gestion des conflits à des représentants des personnels qui travaillent dans les domaines où les conflits se propagent : les étudiants à l’école, les athlètes, les entraîneurs, les animateurs sportifs, les animateurs et animatrices de mouvements de jeunesse, de façon à ce que cela serve d’exemple.

Il faut que dans les lieux où naissent les conflits, il y ait des personnes capables de se réapproprier la fonction qui leur a toujours appartenu : celle de gérer et réguler les conflits du quotidien. Le chemin vers une culture de la gestion des conflits est long, mais on a assez d’énergie et surtout d’espoir.

Commentaire

La maison de gestion des conflits a Turin propose différents services à la personne. Des services essentiels axés sur une communication ouverte et l’idée que la gestion des conflits en amont permet d’agir comme une soupape de sécurité et éviter que des conflits simples deviennent plus compliqués.

Notes