Jean Marichez, Grenoble, juillet 2006
Échec d’un coup d’État à Alger - France 1961
Ecrasement non violent du putsch d’Alger, fomenté par des officiers français d’Algérie contre de Gaulle, grâce à la mobilisation de la société française
Cet exemple de lutte civile non violente improvisée est efficace en quelques jours, grâce à la non coopération et à la désobéissance de toutes les sphères de la société française contre un gouvernement illégitime.
Début avril 1961, le Président Charles de Gaulle annonce qu’il abandonne les efforts pour garder l’Algérie sous domination française. Traduction d’une suite de conflits politiques passionnés entre le gouvernement civil à Paris et l’armée française en Algérie, une partie de cette dernière se rebelle derrière les noms de quatre généraux récemment retraités. Dans la nuit du 21 au 22 avril, le premier régiment de parachutistes de la Légion étrangère prend le contrôle d’Alger ainsi que de plusieurs points stratégiques. Soutenu par d’autres gradés et, dans les premiers temps, par les civils français d’Algérie, il ne rencontre pas de résistance sérieuse. Le nouveau « commandement militaire » déclare dès le lendemain l’état de siège en Algérie, annonce qu’il prend tous les pouvoirs du gouvernement civil, et qu’il brisera toute résistance. Les putschistes accaparent les média afin de disposer du monopole des communications.
Le gouvernement français se retrouve alors dans une position délicate. Les militaires présents dans la métropole sont peu nombreux et peu sûrs, alors que l’on craint une autre tentative de coup d’État à Paris qui permettrait d’entériner celui d’Alger.
Le 23 avril, les partis et syndicats se positionnent contre le putsch en appelant à une grève générale d’une heure le lendemain. Quant au général de Gaulle, il appelle par radio les Français à défier les putschistes et à leur désobéir : « Au nom de la France, j’ordonne que tous les moyens, je dis bien tous les moyens, soient employés pour barrer la route à ces hommes là, en attendant de les réduire. J’interdis à tout Français, et d’abord à tout soldat, d’exécuter un seul de leurs ordres. » La même nuit, le Premier Ministre Michel Debré ferme les aéroports, avertit la population qu’elle risque de subir une attaque aérienne et place sa confiance dans l’action populaire en lui demandant d’aller convaincre les soldats qui pourraient atterrir de se rallier au gouvernement légitime.
Le discours de de Gaulle appelant à la non coopération et à la désobéissance en masse est entendu, largement reproduit et distribué en France et en Algérie. La résistance se renforce d’heure en heure. Le 24 avril, dix millions de travailleurs font grève. Aux aéroports, des civils se préparent à obstruer les pistes avec leur véhicule pour empêcher les tentatives d’atterrissage. A Alger, de nombreux élus et fonctionnaires participent à la résistance en cachant des documents, en retardant des dossiers ou en quittant leur poste. La police se rallie elle aussi bientôt au gouvernement de de Gaulle. De nombreux militaires, notamment parmi les appelés, refusent d’obéir aux ordres ou de les retransmettre. Des avions ne peuvent décoller pour de prétendues raisons techniques, d’autres quittent l’Algérie réduisant les moyens d’invasion de la France. Les fantassins restent dans leur caserne. Beaucoup d’officiers attendent que le vent tourne avant de donner des ordres. Les meneurs du putsch doivent finalement employer une grosse partie de leurs forces pour tenter de rester aux commandes et de maintenir l’ordre parmi les troupes d’Algérie.
Dans un autre discours radiophonique du 25 avril, de Gaulle ordonne l’usage des armes contre les rebelles, mais cela n’est pas utile. Les putschistes capitulent, évacuent les bâtiments officiels qu’ils occupaient, et le premier régiment de parachutistes de la Légion étrangère se retire d’Alger dans la nuit du 25 au 26 avril. Le Général Challe se rend pendant que les trois autres généraux retraités prennent la fuite.
Il y a peu de victimes, sans doute trois morts et quelques blessés en Algérie et à Paris. L’attaque a été clairement sapée par l’action des civils. De Gaulle garde la présidence et l’Algérie devient indépendante en 1962.
Commentaire
Une résistance civile peut faire échec à un coup d’état. On voit l’importance du soutien d’éléments forts de la société civile : les partis et les syndicats. Les leaders ont aussi besoin de support : on saura plus tard que les soutiens moraux du général Massu et de conseillers du président furent décisifs. Ainsi, de Gaulle finit par comprendre que l’opinion publique n’est pas favorable au putsch et décide de l’utiliser comme dernier recours.
On voit surtout que la population représente une force décisive, supérieure à celle de l’armée, dès l’instant où des dizaines de milliers de petites interventions individuelles anodines enrayent le fonctionnement d’une organisation puissante au point de l’inhiber.
L’appel général à la désobéissance est un signe extrêmement fort. Il intervient très tôt pour empêcher tous développements néfastes à l’ordre républicain. De plus il est clair et précis : chacun sait ce qu’il a à faire.
Il faut aussi retenir qu’en cas d’agression, il se passe dans la population des mouvements puissants et d’évolution rapide : le coup d’État échoue en quelques jours. On pensait déjà à cette époque que les Français ne sont plus capables d’agir en citoyens. Pourtant, on le voit ici, la force de la population peut s’exprimer en très peu de temps pour peu qu’elle soit explicitement dirigée.
On voit enfin que population et pouvoir renforcent mutuellement leur détermination. La prise de position du gouvernement fait levier sur la détermination de la population. De même, les grandes manifestations engendrent la volonté du pouvoir. Quant aux agresseurs, leur pouvoir s’effondre dès lors que la population ne leur fait plus confiance.