Jean Marichez, Grenoble, juillet 2006
Résistance non violente contre les Nazis en Europe 1940-1944
Trois exemples parmi d’autres de luttes civiles non violentes contre les nazis pendant la Deuxième Guerre Mondiale
Mots clefs : Résolution non violente des conflits | Lutte pacifique de libération politique | Résistance à une tyrannie | Résistance non violente | Organisations citoyennes et leaders pour la paix | Eglise Catholique | Radio | Gérer des conflits | Résister pacifiquement à la guerre | Norvège
Si la résistance armée est plus connue et plus ample durant cette période, des mouvements de masse non violents de la société civile ont également lieu. La plupart ont atteint le but fixé : exprimer le rejet de l’idéologie nazie, entraver le bon fonctionnement de l’occupation allemande et empêcher les Allemands d’atteindre certains objectifs. Exemples.
I. L’Allemagne
En Allemagne, sous le gouvernement nazi, un programme d’élimination des malades mentaux est mis en place à partir du 1er septembre 1939. Les premiers « centres de traitement » fonctionnent dès janvier 1940. Peu à peu, la société en prend conscience et commence à réagir. Les autorités religieuses, notamment, protestent. Les nazis tentent de les calmer, mais le 3 août 1941 l’Evêque de Munster, Mgr Von Galen, manifeste publiquement son hostilité à ces agissements. Le texte de son sermon circule dans toute l’Allemagne. Bormann chercher à le supprimer, mais Goebbels s’y oppose par peur de perdre le soutien de la population de Westphalie. Le programme d’euthanasie est interrompu quelques jours plus tard. Il aura fait 70 273 victimes au lieu du million prévu par le projet classé secret d’État.
II. La Norvège
En Norvège, les armées d’Hitler pénètrent dans le pays le 9 avril 1940. L’armée nationale résiste quelques semaines, mais le 4 juin l’invasion est consommée. Le roi Haakon et son gouvernement s’envolent pour Londres le 7 du même mois. Les Allemands, qui ont un a priori favorable à l’égard des « races » nordiques, tentent d’exalter la pureté des Norvégiens et cherchent à les intégrer. Ils mettent au pouvoir Vidkun Quisling, chef du parti national-socialiste norvégien, très peu soutenu dans les faits par l’opinion publique. Le gouvernement bafoue à plusieurs reprises la justice et la Constitution, et un grand nombre de magistrats de la Cour Suprême sont envoyés en retraite anticipée. Cette dernière démissionne donc en bloc en décembre 1940. L’effet est spectaculaire et donne une impulsion considérable à la résistance.
Dès l’automne, Quisling qui veut instaurer un État corporatif de style mussolinien, exige de tous les fonctionnaires un serment de fidélité au régime. Bon nombre s’y refuse. La Hird - Gestapo norvégienne - se fait agressive, la résistance s’accroît. Les premières feuilles clandestines circulent. Dans les écoles, les élèves agrafent à leur boutonnière un petit ruban sur lequel est inscrit « Restons unis ». La police interdit cette forme d’opposition, ce qui ne fait que lui donner plus de poids. Les élèves remplacent alors les agrafes par une petite pomme de terre piquée sur un cure-dents ; mais l’Ordre de la patate est aussitôt strictement défendu. Enfin, chacun s’orne d’une pièce d’un sou à l’effigie du roi Haakon. L’Ordre du sou est également prohibé… Les professeurs, à leur tour, jouent aux imbéciles. Chaque fois qu’ils reçoivent des circulaires ministérielles, ils feignent de n’y rien comprendre, de se méprendre, ou encore demandent sans fin de plus amples explications.
Parallèlement, la résistance s’organise sous deux formes : l’une armée, le Milorg ; l’autre civile, le Sivorg. Pour des raisons de sécurité, elles sont à la fois coordonnées et indépendantes. Les diverses associations norvégiennes, professionnelles, sportives, etc. participent à la résistance. Elles multiplient notamment les protestations contre les arrestations, les tortures, les interrogatoires, la suppression des libertés. En mai 1941, quarante trois organisations et associations représentant 750 000 membres envoient une lettre au Reichkommissar pour exprimer ouvertement leur insoumission au régime. Cette lettre provoque des représailles et oblige la résistance à devenir totalement clandestine.
Le 5 février 1942, le gouvernement collaborateur de Quisling promulgue un texte de loi qui contraint tout enseignant à adhérer au syndicat officiel pro nazi. La moitié des enseignants réagissent par une lettre adressée au ministre affirmant leur refus d’adhérer. Le 25 février, celui-ci les menace de destitution et ferme les écoles pour un mois sous prétexte de manque de combustible. En réalité, les autorités ne savent trop que faire. Plus de 200 000 parents écrivent à leur tour au ministre pour marquer leur solidarité avec les enseignants. Comme le mouvement prend de l’ampleur, Quisling fait arrêter 1 000 enseignants et les déporte au-delà du cercle arctique. Sur les 687 internés dans un camp aux conditions extrêmement dures (à Jorstadmoen), seulement 32 cèdent et acceptent de collaborer. Le 8 avril, Quisling fait rouvrir les écoles en annonçant que tous les enseignants se sont déclarés membres du nouveau syndicat. Ceux-ci, ne l’entendant pas ainsi, déclarent le jour de la rentrée qu’ils n’acceptent pas l’idéologie nationale-socialiste. Devant autant de détermination, Quisling ne prend pas de nouvelles mesures de représailles. Son organisation syndicale officielle, base de l’édification d’un État corporatiste inspiré du modèle italien, ne voit pas le jour. En mai 1942, il déclare furieusement dans un discours à l’Ecole supérieure de Stabbekk : « Vous les professeurs, vous m’avez ruiné ». Le 3 août 1942, c’est la population norvégienne qui manifeste en masse en portant une fleur à la boutonnière pour marquer sa fidélité au pouvoir légitime à l’occasion de l’anniversaire du roi. Les déportés sont libérés à l’automne 1942 et sont accueillis comme des héros nationaux. Ainsi les Allemands n’ont pu à aucun moment s’appuyer sur les différentes composantes de la société norvégienne pour répandre leur idéologie.
III. La France
En France, le général Charles de Gaulle appelle plusieurs fois à résister sous forme civile. Le 23 décembre 1940, il demande par radio de déserter les rues du pays durant une heure le jour du Nouvel An. La consigne est assez bien suivie en zone occupée, si bien que les Allemands organisent à Paris une distribution gratuite de pommes de terre. Le 27 mai 1941 plus de 100 000 mineurs du Nord et du Pas de Calais se mettent en grève contre l’occupant. Le mouvement dure dix jours et les Allemands doivent lâcher du lest sur les salaires et l’approvisionnement alimentaire mais arrêtent 400 personnes dont 235 sont déportés et 136 ne sont pas revenues. Le 15 septembre 1941, la France libre fait un appel au travail au ralenti qui a assez peu d’écho. Pour le 1er mai 1942, De Gaulle incite la mise en place de manifestations publiques silencieuses devant les mairies. De grands et nombreux rassemblements ont lieu et permettent à la zone non occupée de s’exprimer pour la première fois et à la résistance intérieure de montrer son attachement à celle de Londres. Pour le 14 juillet 1942, la BBC encourage l’organisation de manifestations dans la zone libre qui sont un succès et marquent le début d’un revirement profond des français.
Le 16 février 1943 l’État français institue le Service du Travail Obligatoire (STO) obligeant les jeunes gens à aller travailler en Allemagne. 610 000 personnes partent ainsi, mais le rythme des départs, très élevé au début sous l’effet de surprise et l’appui des forces de police française, de l’administration et de la SNCF, diminue progressivement sous l’effet de l’opposition de la population, de la résistance administrative des inspecteurs du travail, des chefs d’entreprise ou des maires, qui refusent par exemple de remplir les formulaires nécessaires. Des commissions d’appel sont créées par l’inspecteur du travail Jean Ismaelori. Organismes officiels siégeant à Paris mais, en réalité, structures de résistance, elles délivrent des certificats d’exemption au STO en vertu même de la loi du 16 février 1943. Elles pourront exempter 100 000 personnes privant ainsi l’Allemagne de plusieurs centaines de millions d’heures de travail. La résistance aide les réfractaires au STO, leur édite de fausses cartes d’identité, les incite à changer de département, à se faire embaucher dans des branches dites « d’intérêt vital » pour la nation non concernées par la loi du STO (mines, armement, etc.), à se dissimuler dans une ferme ou à rejoindre le maquis. Certains sont contraints de partir, d’autant qu’il s’agit d’un devoir d’obéissance à l’État mais, à partir de l’été 1943, cela devient plus facile, les maires étaient plus accommodants, les gendarmes plus compréhensifs et les agriculteurs plus accueillants. L’opinion a basculé en faveur des alliés : la résistance au STO y a largement contribué.
Commentaire
Certaines de ces résistances n’étant exercées que par une minorité de personnes ne font pas partie des résistances de masse. Cependant, elles sont riches d’enseignements. Ainsi vérifie-t-on une fois de plus la puissance de ce type d’actions que les Nazis craignaient à juste titre puisque leur domination ne pouvait réussir sans un soutien suffisant de la population et, plus encore, sans la collaboration empressée de quelques personnes. Ce talon d’Achille des pouvoirs oppressifs est tel que les résistances civiles (sans armes) ont largement développé le thème de la lutte (toujours sans armes) contre les collaborateurs.
Le cas allemand met en évidence l’importance de la prise de parti d’une autorité morale soutenue, ici celle de l’Église. On constate aussi l’effet positif d’une bonne communication : la rapidité de circulation dans toute l’Allemagne du texte de Von Galen est une clé de la réussite.
Dans l’exemple norvégien, l’on retrouve l’importance de la première phase de la lutte qui, très souvent, consiste à faire prendre conscience à la population de sa capacité à résister sans arme contre un pouvoir qui peut paraître tout puissant. Ici, la prise de conscience augmente avec des gestes forts : démission du corps des magistrats, exil du roi. Le décor est planté pour le reste de la guerre. En Norvège la collaboration sera plus faible qu’ailleurs et les juifs y seront mieux protégés. On remarquera aussi l’importance de la société civile et de ses structures (syndicats de magistrats, d’enseignants, parents d’élèves…).
En France en revanche, un mouvement non violent de masse tarde à s’enclencher. De Gaulle aura du mal à mobiliser la société. Il faudra attendre plusieurs épisodes et notamment le STO pour que l’esprit de résistance prenne pied dans population. Mais dès lors que le corps administratif s’engage, l’action devient réellement efficace. Par ailleurs, la résistance de l’époque se situe plus dans le registre du sabotage et de la violence, ce qui empêche tout développement de lutte non-violente : on sait aujourd’hui que ces deux formes de combat ne sont pas compatibles dans le même lieu et dans le même temps, la violence prend le dessus et annule radicalement le sens et l’effet de l’action non-violente. C’est pourquoi, durant la Seconde Guerre Mondiale, hormis en Norvège où les formes civiles et armées furent bien séparées et coordonnées, il n’y eut pas de véritable résistance civile non-violente, seulement des épisodes locaux et momentanés, des séries d’action civiles. Elles étaient spontanées et sans stratégie.