Marie Lise Poirier, Grenoble, mars 2006
Lutte pour l’égalité des droits aux États-Unis - 1955
Lutte non violente de la communauté afro-américaine pour la fin de la ségrégation raciale dans les bus de Montgomery et début du mouvement de revendication des droits civiques aux États-Unis avec Martin Luther King
Cet exemple de combat non violent et légaliste basé sur la non coopération économique est le premier du genre aux États-Unis. Son succès repose sur la mise au point d’une stratégie intelligente, qui guide efficacement la communauté noire déterminée et disciplinée.
Le boycott des bus à Montgomery marque le début du mouvement pour les droits civiques aux États-unis. C’est là que les tactiques de l’action non violente démontrent pour la première fois leur efficacité, et que naît la doctrine non violente d’inspiration religieuse qui guidera pendant des décennies la lutte des Afro-américains.
Malgré l’abolition de l’esclavage décrétée à la fin de la Guerre de Sécession, les citoyens blancs des États du Sud imposent une législation qui entérine la différence raciale. Cette ségrégation se traduit par de multiples oppressions et injustices. A Montgomery, elle touche le système de transports où les bus sont dotés de sièges réservés exclusivement aux Blancs. Plus de 15 000 Afro-américains empruntent pourtant chaque jour le réseau, représentant plus de 70 % des usagers. Pendant plusieurs années, ils se plaignent de mauvais traitements. Les chauffeurs les insultent régulièrement, les obligent à prendre leur ticket à l’avant avant de ressortir pour aller dans le fond et éviter de passer trop près des Blancs. Un vieil homme qui refuse ce manège sera même, et à plusieurs reprises, les chauffeurs demandent à la police d’arrêter des Noirs qui refusent de laisser leur place aux Blancs. De tels incidents ainsi que le contexte général d’oppression amènent des femmes noires de Montgomery à créer une organisation au début des années 50, le WPC, Women’s Political Council. Elles rencontrent régulièrement le maire afin de résoudre les difficultés en faisant quelques requêtes limitées. Mais aucune amélioration n’est enregistrée. Le 1er décembre 1955, Rosa Parks refuse de céder sa place. Elle est immédiatement arrêtée. Le soir même, le WPC décide que le temps est venu d’engager une action. Il distribue des tracts et demande à tous les Afro-américains de boycotter les bus pendant une journée pour protester contre l’arrestation de Mme Parks. Le 5 décembre, les bus roulent vides dans les quartiers noirs. En fin d’après midi, des représentants d’organisations religieuses, professionnelles, universitaires et civiles de la communauté noire se réunissent et créent un nouveau mouvement chapeauté par l’Église baptiste, le MIA (Montgomery Improvement Association). Les membres élisent le jeune Martin Luther King Jr. président, et, dopés par le succès du boycott, votent à l’unanimité sa reconduite jusqu’à ce que leurs demandes soient acceptées. Tout comme les requêtes faites 18 mois plus tôt par le WPC, les sollicitations sont relativement modérées. Ils exigent la garantie d’un comportement courtois envers les Afro-américains, que ces derniers puissent s’asseoir à n’importe quelle place libre, et que certains soient employés sur les lignes circulant dans les quartiers à majorité noire. Dans la mesure où le boycott peut se poursuivre un temps indéterminé, un système de transport parallèle s’organise. Le MIA acquiert vite son propre parc automobile. De l’argent arrive de tout le pays et permet au boycott de se pérenniser avec une remarquable efficacité. Il faut aussi noter que beaucoup préfèrent marcher pour exprimer leur détermination. Tout au long du boycott, l’unité et la discipline sont maintenues au nom de l’Amour chrétien. La religion tient une part importante dans la vie des Afro-américains de Montgomery, en témoigne l’affluence de la population aux réunions organisées par l’association deux fois par semaine. L’amour et le pardon y sont célébrés, et la doctrine non violente, alors diffusée, revêt une connotation religieuse. M. Luther King Jr. remarque qu’il « est probable que la majorité des gens ne croyaient pas en la non violence en tant que philosophie de vie, mais ils avaient une telle confiance en leurs leaders et parce que la non violence était présentée comme une action chrétienne, ils avaient la volonté profonde de l’utiliser en tant que technique ».
Les leaders du boycott pensent que leur action sera courte étant donnée leurs minces requêtes. Pourtant, les différents pourparlers au cours du mois de décembre entre le MIA, les représentants municipaux et ceux de la compagnie des bus n’aboutissent à rien. Le boycott continue donc. Le parc automobile s’étoffe et atteint bientôt plus de 300 véhicules. La ville va radicaliser sa tactique voyant que le MIA ne flanche pas. Le 24 janvier 1956, le maire Gayle rejoint avec tous les conseillers municipaux le groupe extrémiste White Citizen Council. Les chauffeurs noirs sont harcelés et arrêtés sans raison valable. Ceux qui choisissent de marcher sont menacés d’être arrêtés pour vagabondage. Les violences ne cessent de s’accroître. La nuit du 30 janvier 1956, la maison de Martin Luther King est incendiée. Lorsqu’il rentre chez lui, il trouve une foule furieuse, armée, prête à se venger. Le Dr King calme la foule et appelle une fois de plus à la discipline, la non violence, à l’Amour chrétien face à de telles attaques. Quand, un mois plus tard, une autre bombe détruit la maison d’E. D. Nixon, ancien activiste syndical et leader du MIA, la communauté répond par un calme remarquable. La campagne violente échouant également, les représentants municipaux intentent en justice le MIA pour « conspiration en vue de saper un commerce légitime ». Le 21 février, le Grand Jury du comté de Montgomery condamne plus de 100 personnes. A ce point de la lutte, la peur est complètement maîtrisée. Les gens affluent au commissariat pour se faire arrêter. Ceux qui sont inscrits sur la liste en retirent de la fierté. Le Dr King est le premier à être jugé coupable. Au lieu de démobiliser les résistants, le verdict donne de l’ampleur et de la détermination au mouvement qui commence à attirer l’attention des communautés nationale et internationale.
Trois mois plus tard, la Cour Fédérale annonce que la ségrégation dans les bus est anticonstitutionnelle. Le boycott continue, mais non sans difficulté : la municipalité de Montgomery fait appel, propage des informations calomnieuses sur le MIA, et dénonce l’irrégularité des assurances du parc automobile. Le 14 novembre, suite à la confirmation que les lois ségrégationnistes de l’Alabama sont anticonstitutionnelles, le MIA met fin au boycott. Mais tous sont d’accord pour continuer la lutte tant que l’ordre de cesser la ségrégation ne provient pas de la Cour Suprême. Le Ku Klux Klan tente d’intimider la communauté afro-américaine, qui ne s’émeut toujours pas.
En attendant le mandat de la Cour Suprême, des ateliers sont organisés afin de préparer la population à réintégrer les bus et à réagir face aux insultes et agressions. Le 20 décembre, les représentants fédéraux viennent enjoindre de mettre fin à la ségrégation, et le lendemain, plus d’un an après le début du boycott, Noirs et Blancs empruntent à nouveau les mêmes bus. Malgré un renouveau de vives violences – bus incendiés, bombes lancées sur les maisons de leaders afro-américains, les églises, etc. -, la communauté noire demeure unie et disciplinée. Faute de réponse de sa part, la violence cesse soudainement, et la fin de la ségrégation s’opère progressivement.
Commentaire
Plusieurs points sont à relever ici qui ont permis le succès du mouvement à Montgomery. L’action non violente est en effet un vrai combat : elle exige stratégie et tactique, des armes, des combattants courageux, de la discipline et des sacrifices.
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On retrouve les conditions préalables d’une action non violente efficace. D’une part, une population déterminée, qui exprime activement son rejet de la ségrégation. Certains décident de marcher pour en témoigner ; tous s’accordent, malgré les difficultés, à continuer le boycott jusqu’à ce que l’accession de leurs demandes soit garantie. D’autre part, élément crucial, les organisations sociales sont elles aussi présentes. Au sein de la communauté noire, elles ont une étendue et une vitalité importantes, un soutien massif, ainsi qu’une vraie indépendance vis-à-vis du gouvernement.
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La discipline des résistants est remarquable. Le groupe renforce son moral, sa solidarité et sa détermination au cours des réunions régulières organisées par le MIA. Ils persistent dans la non violence, et respectent la stratégie et les méthodes déterminées au début de l’action malgré les difficultés. La ville de Montgomery cherche en effet à provoquer les résistants et les amener à employer la violence en jouant avec la peur et la colère des Afro-américains. Mais face à l’opiniâtreté de ces derniers, la violence s’avère inutile, et va même se retourner contre ses auteurs.
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L’arme choisie, la non coopération économique massive qui se traduit par le boycott des bus, est ici utilisée de manière offensive. Elle crée un véritable rapport de force . La violence des réactions de la communauté blanche extrémiste confirme son efficacité.
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Enfin, tous ces éléments révèlent leur efficacité dans la mesure où ils sont encadrés dans une stratégie précise, mise au point par des leaders charismatiques et intelligents, en qui la communauté noire a une confiance totale. L’objectif proposé est précis, accessible et légitime : que la municipalité accepte de mettre fin à la ségrégation raciale dans les bus. La lutte continuera tant qu’il ne sera pas atteint. La méthode utilisée : la non coopération non violente à laquelle le MIA ne cessera de préparer la population au cours de réunions régulières. L’organisation de transports alternatifs joue également un rôle clé dans la pérennisation du boycott étant donnée le grand nombre d’usagers noirs. Enfin, les leaders savent prendre l’initiative du conflit en radicalisant leurs positions lorsqu’ils constatent que la violence répond à leurs efforts pour changer la situation grâce à un compromis. Ils changent de tactique et optent pour favoriser la coercition – toujours légalement - en faisant appel aux Cours Fédérale et Suprême.