Simon Kobedi, South Africa, mars 2008
Entretien avec Mr. Simon KOBEDI
Propos recueillis, par Henri Bauer et Nathalie Delcamp (Irenees).
Irenees :
Pourriez-vous vous présenter s’il vous plaît vous présenter.
Simon Kobedi :
Je m’appelle Simon Kobedi et je suis le coordinateur du Programme pour la jeunesse « Action pour la transformation des conflits ».
Irenees :
Selon vous, quels sont les changements les plus importants en Afrique du Sud depuis l’abolition officielle de l’Apartheid, proclamée en 1993 ?
Simon Kobedi :
En quatorze ans, depuis que la liberté politique est devenue possible et que des élections démocratiques ont eu lieu en Afrique du Sud, les changements ont été nombreux. Le niveau de vie des personnes défavorisées s’est amélioré en raison d’un changement de régime politique et d’une politique de développement économique. Cela a généré davantage d’opportunités et a ouvert de nouvelles portes, même pour les investisseurs étrangers souhaitant miser sur ce pays prometteur du continent africain. Au fil du temps, l’Afrique du Sud a bénéficié d’une très forte croissance économique et elle semble avoir établi de bons rapports commerciaux. Ce pays est à présent l’un des plus influents en matière de développement de la paix et il est devenu une référence pour de nombreux autres États, démontrant que la paix ne peut nullement être imposée par la force mais peut uniquement être obtenue par le dialogue.
Irenees :
L’Afrique du Sud donne l’apparence d’une nation parvenue avec brio, vers la fin du XXe siècle, à transformer pacifiquement un régime raciste, autoritaire et répressif en un régime démocratique : quels sont ses prochains défis à relever ?
Simon Kobedi :
L’Afrique du Sud d’aujourd’hui commence maintenant à ressentir des divergences politiques liées aux nouveaux élus à la tête du parti au pouvoir, l’ANC (Congrès national africain), et à subir l’amertume de deux camps : celui du président Thabo Mbeki d’un côté, et de l’autre celui de son ancien vice-président, élu nouveau dirigeant de l’ANC et accusé à plusieurs reprises de corruption. Les partis de l’opposition semblent insuffisamment puissants lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts de la communauté noire (principale communauté du pays, dont la majorité des suffrages est acquise à l’ANC) ou de défier le parti au pouvoir. À ce dilemme politique s’ajoute le fait que d’autres partis au sein de l’opposition, tels que l’Alliance démocratique – constituée principalement de blancs et défendant plutôt les intérêts de la communauté blanche –, semblent constamment controversés en matière de résolution des problèmes sud-africains. Il existe également le parti des Démocrates indépendants, défendant principalement les intérêts de la communauté métisse le constituant. La situation politique globale est absurde : la jeunesse est récupérée pour perpétuer son héritage de ségrégation raciale.
Économiquement, le pays voit son inflation grimper en flèche, le prix des denrées augmenter, le nombre de suppressions d’emplois monter, entraînant ainsi une hausse du taux de chômage. La récession économique est principalement liée au taux de criminalité et, compte tenu des conditions actuelles, aucun pôle du gouvernement ne semble en mesure de faire face. Par exemple, les collectivités locales sont peu efficaces pour garantir aux populations l’accès aux services publics.
En réponse, les communautés en sont venues à organiser de violentes manifestations, se poursuivant encore. De grandes entreprises sont également en difficulté, comme Eskom, garant de la distribution de l’électricité dans le pays. Cette entreprise a dû organiser des délestages d’énergie, paralysant d’autres secteurs économiques, et tout particulièrement le secteur minier, principal pilier de l’économie du pays. Le processus de transformation est affecté par une augmentation du nombre de cas de racisme et de tribalisme recensés, dénotant une aggravation des tensions sociales. Les élus, n’entreprenant guère d’actions pour apaiser la situation, se servent au contraire de ces tensions pour manipuler les foules et asseoir leur influence politique. Ce tissu social gâte les rapports commerciaux sains entre les populations locales elles-mêmes et des attitudes de méfiance apparaissent.
Irenees :
Comment votre famille et vous-même avez traversé la période d’Apartheid puis la phase de transition ?
Simon Kobedi :
Mon père étant syndiqué à cette époque, la vie était difficile car nous subissions régulièrement le harcèlement de la police et notre mouvement était toujours sous surveillance. Même pendant mes études, j’avais peur à chaque instant que quelqu’un m’agresse pour faire payer à mon père sa participation à la vie politique. Cependant, nous avons réussi, et aujourd’hui nous pouvons jouir de la liberté pour laquelle nous nous sommes battus.
Irenees :
Que pensez-vous des efforts fournis par la Commission Vérité et Réconciliation présidée par Monsieur Desmond Tutu, pour établir la vérité et promouvoir la réconciliation nationale ?
Simon Kobedi :
À mon avis, ce fut l’une des démarches les plus importantes pour notre pays et elle a fait partie du processus de transition. Cependant, je pense également que nous aurions pu aller plus loin en ce qui concerne la réconciliation, et l’importance de cette partie du processus se voit davantage maintenant, tandis que les populations continuent de se critiquer, de se dénigrer et de s’exclure mutuellement en fonction de leurs races et de leurs tribus.
Irenees :
Quelles sont vos actions en faveur du développement de la Paix ?
Simon Kobedi :
Nous permettons aux communautés vivant cette phase de transition de se renforcer au moyen de compétences en matière de transformation des conflits. Nous offrons une éducation aux droits de l’homme, nous organisons des programmes de formation pour la prévention, des camps d’échanges multiculturels, des clubs de paix, des conférences avec la jeunesse sud-africaine, des séances d’éducation à la paix dans les écoles ainsi que des sessions de théâtre en rapport avec la transformation des conflits.
Irenees :
Vous travaillez avec de jeunes enfants. Quels sont les objectifs de vos travaux ? Selon vous, quel est le rôle de la jeunesse pour l’avenir du pays ?
Simon Kobedi :
Je veux aider les jeunes à réaliser le danger qu’il y a à brandir leurs différences pour se nuire mutuellement.
Irenees :
Johannesburg est connue pour son fort taux de criminalité : la « jeunesse » au sens général est accusée d’en être l’un des principaux acteurs. Partagez-vous cet avis ?
Simon Kobedi :
Je peux répondre de deux manières à votre question : par oui et par non. En effet, la majorité des détenus remplissant nos prisons sont des jeunes, mais ils sont, pour la plupart d’entre eux, récupérés par des adultes et ce sont ces derniers qu’il convient de critiquer.
Irenees :
Pour quelles raisons avez-vous décidé de prendre cet engagement en faveur de la Paix ?
Simon Kobedi :
Par respect pour la Vie humaine.
Irenees :
Qu’est-ce que la “Paix” pour vous ?
Simon Kobedi :
C’est un processus permanent de développement d’un environnement harmonieux entre les esprits qui se ressemblent et ceux qui ne se ressemblent pas.
Notes
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Traduction de l’anglais réalisée par Katia Bruneau.