Testimony file Dossier : Le monde associatif chinois, moteur de la société harmonieuse ou des revendications sociales?

, Paris, December 2007

Entretien avec M. Wang Ming

M. Wang Ming est vice-directeur du département de gestion publique de l’université Qinghua.

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La société civile chinoise ne pourra réellement se développer que lorsqu’il existera une vraie conscience citoyenne et sociale.

  • La Fenêtre du Sud :Qu’est-ce qui a marqué, en Chine, le changement d’attitude du gouvernement vis à vis des ONG ?

Wang Ming : Avant 1949, beaucoup d’organisations sociales (shetuan) faisaient parti des forces révolutionnaires. En 1950, lorsque le pays a procédé a un réaménagement des organisations sociales, le Conseil d’Etat a publié une loi provisoire sur leur enregistrement, suivie en mars 1951 du décret d’application de cette loi décidé par le Ministère de l’Intérieur. Par la suite, influencée par la révolution culturelle, la gestion des organisations sociales ne s’est pas faite en application stricto-sensu des deux textes précédents et durant deux décennies, de 1968 à 1988, de nombreux départements d’état ont enregistré et géré des organisations sociales, certaines de ces organisations enregistrant et gérant même d’autres organisations sociales. Certaines ont même pu, sans enregistrement, se développer et organiser leurs activités. En octobre 1989, le Conseil d’Etat a publié une nouvelle règlementation sur l’enregistrement et la gestion des associations, règlementation qui instaurait pour ces associations deux niveaux de gestion, multipliant ainsi les obstacles à leur enregistrement.

Après les années 90, avec les changements dans les milieux gouvernementaux, de nombreuses élites ont tourné leurs attentes et leurs aspirations vers le commerce ou les activités d’intérêt public plutôt que vers le gouvernement, ce qui a plus ou moins été le choix de toute une génération. C’est la Conférence Mondiale des Femmes de 1995 qui, avec ses trente mille participants dont plus de dix mille ONG, a marqué un tournant dans le développement des associations en Chine. Les médias et la population entendirent pour la première fois le terme d’organisation non-gouvernementale. Et si le Falungong en 1999 et la Révolution Orange en 2005 ont renforcé la suspicion du gouvernement a l’égard des ONG, celui-ci a tout de même pris conscience du fait que les ONG n’étaient pas une force dissidente et que nulle société harmonieuse ne pouvait se faire sans elles. Dans les documents de la sixième session de la sixième réunion sur la sécurité intérieure de 2006, le « développement des organisations sociales » est évoqué sept fois, et c’est un signe très important.

  • Pourtant de nombreux directeurs d’ONG semblent encore trouver leur condition très difficile, certains s’inquiétant même pour leur propre sécurité.

Le comportement des ministères chargés des ONG, à savoir les ministères des affaires étrangères, de la liaison, de la sécurité publique, de la sécurité, de la réforme et du développement, de l’agriculture et des taxes n’est pas uniforme à l’heure actuelle. Ils ont encore de vieux réflexes de méfiance et d’inimité par rapport aux ONG, sentiments difficiles à surmonter. Une harmonisation est nécessaire.

  • En 1998, la Chine a subi de catastrophiques inondations et à cette époque, la China Charity Foundation ainsi que la Croix Rouge chinoise ont connu une grande dynamique. Au sein même de la société sont apparues de nombreux bénévoles, le montant des donations volontaires a été très élevé. Cependant, ce mouvement n’a pas mué en une déferlante de nouvelles associations, les bénévoles comme les donations ont baissé aussi vite que les eaux.

Que ce soit lors du tremblement de terre de Kobe au Japon en 1995 ou lors du tremblement de terre « 921 » de Taiwan , les organisations indépendantes de ces pays, nées de la volonté du peuple et à but non-lucratif, avaient déjà un statut légal et les conditions d’un bon développement. Beaucoup des réponses apportées aux affaires sociales émanaient de la base et c’est un ensemble de facteurs subtiles qui se sont enchainés pour entrainer la naissance et la croissance des nombreuses associations. Tandis que sur le continent, dans le cas de catastrophes naturelles, la plupart des activités populaire sont organisées par la China Charity Foundation ou par la Croix-Rouge chinoise, cela n’entraine pas la création d’associations de bénévoles car ce n’est pas une évolution structurelle de la société. Quand l’évènement est passé, la société retourne a son attitude initiale.

  • Dans le processus de développement des ONG, le système législatif constitué par la règlementation sur l’enregistrement et la gestion des organisations sociales et la règlementation sur l’enregistrement et la gestion des entreprises populaires non-commerciales a été critiqué depuis sa mise en œuvre. En octobre 2004 déjà, des cadres du Ministère des Affaires Civiles avaient évoqué l’absolu nécessité de sa suppression. Or aujourd’hui encore il n’en est rien, ces deux textes existent toujours.

La compréhension des ONG nécessite d’avoir une vision plus large, il faut les observer sous l’angle de la réforme sociale. Avec la politique de réforme et d’ouverture, la réforme du gouvernement et des entreprises a bien avancé mais celle de la société n’a pas encore commencé. Cette réforme ne concerne pas seulement la question des ONG nées de la volonté du peuple, mais aussi une réforme plus vaste des établissements d’utilité publique et des organisations populaires. La difficulté de cette réforme réside dans son amplitude : elle concerne un million trois cent vingt mille établissements d’utilité publique et plus de sept millions d’organisations populaires. De part leurs ressources, ces organisations sont toutes liées au système. Certaines en font même directement parti, de part leur personnel et leurs subventions ; elles participent à la politique et aux débats du gouvernement, elles sont des groupes d’intérêt. On peut facilement imaginer la difficulté d’une telle réforme !

  • Quel est votre sentiment quant à l’évolution actuelle des ONG ?

Auparavant les associations chinoises avaient un caractère « privé » très fort, ce qui fut un obstacle majeur à l’adoption de règlementations. Longtemps, elles n’ont pas réussi à faire émerger un caractère public à leurs activités. La société civile ne pourra réellement se développer que lorsqu’il existera une vraie conscience citoyenne et sociale. Sans cela, même si les activités populaires sont dynamiques, elles ne pourront animer les débats publics et former une culture citoyenne.

Notes

Interview publiée dans le bimensuel La Fenêtre du Sud, 01/02/2007.