Fiche de témoignage Dossier : Du désarmement à la sécurité collective

, Grenoble, France, mai 1996

Nation has non more wallet than will to fund conversion recovery.

La nation n’a plus ni la volonté ni l’argent pour soutenir une restauration de l’économie basée sur la reconversion

Mots clefs : |

Greg Bischak dirige la National Commission for Economic Conversion and Disarmament (Commission nationale pour la conversion des économies et le désarmement, ECD) à Washington, dont le président est Seymour Melman.

Lors d’une visite au siège de l’ECD il y a quatre ans (juillet 1992, voir Dialogues et documents pour le Progrès de l’Homme, “La Conversion des industries d’armements”, septembre 1993, pp.19-21, “Nation has more wallet than will to fund conversion led recovery”.), Greg Bischak entrevoyait des possibilités de succès au niveau de la reconversion des industries d’armements. Aujourd’hui, Greg Bischak avoue être déçu par la manière dont a évolué la situation. Il constate que de nombreuses organisations comme la sienne, dont la raison d’être était de promouvoir la conversion, ont dû fermer leurs portes, par manque de ressources financières.

En 1992, par suite des transformations liées à la fin de la guerre froide, le thème de la conversion était populaire dans les milieux politiques. Bill Clinton était élu à la présidence et les perspectives semblaient bonnes quant à la volonté de la Maison blanche de promouvoir une politique de conversion.

En 1996, les choses ont bien changé et rares sont ceux, dans les milieux politiques, qui s’intéressent à la conversion. Les raisons, selon Bischak, sont multiples. Sur le plan de la politique intérieure, deux éléments ont contribué à repousser le thème de la conversion en dehors des préoccupations politiques. La première cause de ce déclin a trait aux difficultés auxquelles a dû faire face le nouveau président dès son entrée en fonction, notamment sur les homosexuels dans l’armée, controverse qui l’a obligé à se montrer beaucoup plus prudent pour tout ce qui touche, de près ou de loin, aux forces armées, y compris la conversion. Deuxième facteur, la victoire des Républicains au congrès en 1994 a complètement transformé l’échiquier politique américain, en affaiblissant le président et en remettant en cause de nombreux projets. Les Républicains, menés par le très conservateur Newt Gingrich et par le sénateur du Kansas et candidat à la présidence, Bob Dole, amplifient la mouvance politique générale vers la droite. Clinton lui-même a dû subir le choc républicain et déplacer sa politique vers le centre.

Sur le plan de la politique internationale aussi, l’évolution des choses a transformé la perception qu’ont les Américains de leur sécurité et de leur défense nationale. L’immédiat après guerre froide était une période d’incertitude mêlée d’optimisme. Aujourd’hui, l’incertitude est plus grande encore mais elle est accompagnée d’un sentiment d’appréhension, exacerbée par les médias et surtout par les “Hawks” (faucons), ces hommes politiques nourris d’anti-communisme que la fin de l’antagonisme entre les blocs Est et Ouest avait réduits au silence mais qui reviennent aujourd’hui à la charge. Les conflits régionaux dont la télévision nous rapportent les images atroces, les incertitudes sur l’avenir de la Russie, ex-superpuissance, et sur la paix au Moyen Orient sont autant de situations que les adeptes d’une armée forte mettent en exergue.

Plusieurs élections risquent d’affecter la perception des exigences en matière de défense: aux États-Unis, où Bill Clinton semble en mesure de l’emporter, en Russie, et en Israël où la victoire du candidat du Likud risque de changer l’évolution de la paix au Moyen Orient. Néanmoins, selon Bischak, même une victoire de Clinton ne saurait renverser la vapeur. Bischak, qui travaille sur la conversion depuis plus d’une douzaine d’années estime n’avoir jamais traversé une aussi mauvaise période. Sa propre organisation est d’ailleurs elle-même obligée de limiter ses activités, les fonds étant de plus en plus difficiles à trouver.

Mais ce constat ne doit pas faire oublier le fait que sur les marchés de l’armement, la demande est en baisse alors qu’elle est en hausse pour tout ce qui touche à l’environnement, tendance qui, selon toutes les projections, va s’accentuer au cours des prochaines décennies. Cette réalité commerciale et économique ne fait que confirmer le fait qu’à l’heure actuelle, ce sont surtout les forces politiques qui freinent le processus de conversion, sans oublier que les industries qui dépendent des armées sont peu motivées à se reconvertir lorsque l’État ne fait pas suffisamment d’efforts pour les y inciter.

Commentaire

La situation que décrit Greg Bischak est le résultat d’une conjoncture poli-

tique, particulièrement mauvaise pour la conversion, et dont Bischak subit lui-même les conséquences, sans pour autant renoncer à ses projets. Néanmoins, la situation change rapidement aux États-Unis. D’une part, les “Hawks” sont déjà aujourd’hui en perte de vitesse. D’autre part, une influence positive de la part des Européens, plus actifs peut-être à l’heure actuelle au niveau de la conversion, pourrait inciter les Américains à suivre leurs traces sur des sentiers déjà battus.

Le pessimisme de Greg Bischak ne doit pas masquer le fait que le commerce de l’armement est en déclin alors que s’agrandit celui des produits liés à l’environnement. A long terme, même la forte volonté politique de sauvegarder les industries de l’armement ne saurait affaiblir les forces du marché. Et il est fort à parier que le “réalisme” commercial s’avère plus puissant que le “réalisme” politique.