Testimony file

Grenoble, February 2013

Entretien avec Fayssal Konaté, doctorant en géopolitique et gestion des conflits à l’institut catholique de Paris

Face à la complexité de la crise malienne, les solutions restent classiques : sécurité et gouvernance

Keywords: | | Security and peace | Conflit malien | | Mali |

Q : Quelles strates dans la complexité de la crise malienne identifiez-vous ?

  • 1. La rébellion touareg

C’est dès 1960 à l’indépendance du Mali, plus précisément en 1962, que les premières revendications d’indépendance de la part des Touareg émergent. Elles donnent d’abord lieu à une intervention armée, à la destruction des structures et à l’exil de ses chefs en Libye. Aucun accord à cette époque n’a été proposé.

La rébellion se réactive juste après le coup d’État d’Amadou Toumani Touré en 1991 et donne cette fois lieu : à un accord – Accord de Tamanrasset – qui accorde une certaine autonomie politique, ainsi qu’à l’intégration des Touareg aux institutions de l’État (ministères, postes de députés et corps de fonctionnaires) et à l’armée, avec une dispense de passer les concours. Dans le cadre du Pacte national qui constitue le second volet de l’accord (1992), les populations Touaregs ont, de la même façon, obtenu la possibilité d’intégrer l’armée sans concours ainsi que la fonction publique. Mais cet accord ne fut pas réalisé dans son intégralité. Par contre, le second volet du retrait de l’armée malienne au nord Mali a été effectif dès 1992, ce qui a de toute évidence favorisé les divers trafics (drogue, cigarettes etc.).

Le 23 Mai 2006, la rébellion armée touareg lance un nouvel assaut en réaction à la non-réalisation des engagements de l’accord précédent ; elle dénonce en particulier la précarité et la discrimination concernant notamment les salaires inférieurs, « la lenteur de leurs promotions dans l’armée ; la médiocrité des tâches qui leur sont confiées ; la non application du pacte national dans son intégralité etc. » Ce nouveau soulèvement donne lieu à un nouvel accord – l’accord d’Alger – qui intègre des projets de développement dans la zone. Le bilan est décevant des années après : les financements prévus pour ces projets ont été largement détournés par les dirigeants locaux, ce qu’ont pu confirmer les entretiens que j’ai conduits dans la région en novembre 2012. L’étape du transfert aux élus locaux, après les appels d’offre et le choix des entreprises effectué à Bamako, ralentit de façon significative le processus voire y met un terme. Quand les infrastructures ont pu être construites, elles ne sont pas entretenues.

Rappelons toute de même que, selon les chiffres du recensement général de la population et de l’habitat de 2009, la population touareg représente moins de 15 % de la population du Nord Mali et environ 3,5 % de la population totale du pays. Les rebelles touareg ne représentent pas l’ensemble de la population touareg qui au contraire se plaint de l’impact de la rébellion qui leur a apporté bien souvent discrimination et persécution : « à cause des rebelles, on ne peut pas vivre, on nous traite de rebelles et ennemis du Mali ».

  • 2. La question sécuritaire

Le nord a donc été délaissé sur le plan militaire ce qui a permis l’installation de l’islam radical : les mouvements aujourd’hui présents sont le fait d’islamistes étrangers, venus d’Algérie, de Mauritanie voire de la Somalie (chebab) et du Nigeria (Boko Haram).

Non seulement il n’existait plus de structure sécuritaire dans la région, mais en plus, les responsables politiques ont laissé faire, ont ignoré le problème de la rébellion touareg, dans un déni évident. Plusieurs éléments de la conjoncture régionale sont venus s’ajouter par la suite, comme par exemple la chute du régime de Kadhafi dont on sait qu’une partie des mercenaires était composée d’anciens chefs touareg maliens. Ils sont alors rentrés au Mali, avec leurs armes. Ils auraient proposé leurs services au président pour lutter contre les prises d’otages dans le nord mais ATT, qui les aurait reçus au palais présidentiel, aurait refusé. Le refus d’ATT s’explique par la méfiance à l’égard de ces groupes dont certains n’ont pas hésité à quitter l’armée en 2006 pour attaquer le Mali.

L’avancée spectaculaire des rebelles Touaregs associés aux islamistes a bien démonté que la présence militaire était minime dans le nord, en dépit de l’investissement américain et européen (Union européenne) dans la formation des militaires. En réalité, cette formation se faisait ailleurs, le plus souvent sur la base de Kati et les militaires ne sont pas sur place. Si les États-Unis ont consacré des sommes importantes à ce soutien, il a été largement détourné : les faits ont montré combien les militaires maliens sont sous-équipés ; ils manquent même de munitions. Malgré les déclarations de ATT qu’il pourvoirait à ces manques, l’armée est restée avec de très faibles capacités. Il faut voir là aussi une raison du coup d’État militaire [de mars 2012] : les militaires ont été envoyés sans moyen dans le nord pour affronter les Touareg et les islamistes.

Aux côtés des Américains, engagés dans la formation militaire depuis une quinzaine d’années – le projet a été formulé en 1991 puis mis en œuvre dans les années qui ont suivi – on trouve également la CEDEAO (la base militaire de Kati fait partie des écoles de formations des troupes de la CEDEAO).

S’il est difficile de dater l’émergence de l’islam radical au nord Mali, on observe clairement que depuis 2006 ce radicalisme est visible, avec notamment, le changement des mœurs quotidiennes, que ce soit dans la mode vestimentaire ou les pratiques que peuvent ou non afficher les filles, désormais. Avec la prise des différentes villes du Nord, les populations ne peuvent plus fumer dans l’espace public par exemple, boire de l’alcool ou s’afficher en couple sans être mariés. C’est également depuis cette date que les prises d’otages ont commencé. Je tiens à préciser que ces interprétations de l’islam sont très étrangères à la culture musulmane de cette région qui connaît un islam plus social et plus doux.

Les acteurs de ce radicalisme islamique ont profité du coup d’État contre ATT [en Mars 2012] pour gagner en légitimité et s’installer dans cette zone non sécurisée. Tant la CEDEAO que l’État malien ont nié la gravité du problème.

Enfin à ces dynamiques, il faut ajouter celles des divers trafics qui traversent le nord du pays. Le trafic de drogue, celui des cigarettes, d’armes. Les tenants de ces trafics sont bien connus localement et les élus locaux laissaient faire, sans doute parce qu’ils y ont un intérêt et perçoivent leur part.

Les responsables du MNLA ne sont pas directement connus pour être impliqués dans ces trafics, mais ils sont pour le moins au courant, et peut-être, dans certains cas, intermédiaires. Mais leurs revendications économiques restent en partie fondées même si les difficultés qu’ils énumèrent sont le lot de toutes les régions maliennes sans exceptions.

  • 3. La présence de ressources naturelles

Les revendications du MNLA ont en partie été discréditées par le fait que le territoire qu’il réclame correspond assez parfaitement avec les zones où sont identifiés les gisements de pétrole et de gaz. Plusieurs bassins ont en effet identifiés : le bassin de Taoudéni, le graben de Gao, les bassins du Tamesna et des Iullemeden et celui de Nara (proche de Mopti).

L’état malien a déjà accordé des permis d’exploitation aux compagnies Sipex (Algérie) et INI (Italie) qui devaient commencer leur travail en 2000.

Sur la question de l’exploitation du pétrole et du gaz dans le nord du pays, comme concernant les autres ressources naturelles, et notamment l’or, l’information est verrouillée. Les permis sont octroyés directement par le palais présidentiel (via l’autorité de la promotion de la recherche pétrolière AUREP ou le ministère des mines) dans une totale opacité. On a effectivement entendu dire que le code minier national a été modifié pour rendre plus facile l’accès aux mines d’or aux entreprises étrangères (principalement sud-africaines et canadiennes).

  • 4. La distribution du pouvoir

Le manque de circulation du pouvoir pose un réel problème à la gouvernance du pays. La principale discrimination dans le pays concerne les jeunes : les personnes dans les rouages du pouvoir ne laissent pas leur place aux jeunes ; sauf dans le cas où les parents déjà intégrés permettraient à leurs enfants d’entrer dans le système. De ce point de vue-là, les places peuvent être marchandées. La classe politique dirigeante n’accepte pas le renouvellement.

Cette situation explique largement le silence de la classe politique malienne face à la crise : elle reste en grande partie dans le déni et donne l’impression qu’il n’y a pas de classe politique. Alpha Oumar Konaré (ancien président malien) s’est tenu à l’écart. De nombreux autres anciens dirigeants sont exilés à l’étranger, Niger, Sénégal ou France, comme s’ils ne s’y intéressaient pas. Seul Ibrahim Boubacar Keita (IBK) prend la parole publiquement : il a donné une conférence à la Sorbonne en octobre 2012 et donne des interviews au Mali. Il faut par ailleurs reconnaître que le silence s’explique aussi par la recherche d’intérêt de la part dans anciens dirigeants qui attendent de voir dans quel sens le vent va souffler.

L’actuel gouvernement provisoire est composé à 80% de personnes qui ont déjà été associées au pouvoir, dans les gouvernements ou parlements précédents.

 

Q : Il est désormais habituel de qualifier l’État malien d’État faible, après l’avoir désigné comme modèle de démocratie, pensez-vous que le paradigme de la défaillance de l’État, très occidentalo-centré, soit pertinent pour décrypter la crise et ouvrir des perspectives pour en sortir ? Quelles expériences historiques gagneraient à être valorisées ?

Le Mali peut en effet être considéré comme un État défaillant dans la mesure où plusieurs de ses fonctions régaliennes ne sont plus assurées et que les institutions y sont quasiment inexistantes. La démocratie n’y avait pas de réalité et les élections étaient jouées d’avance. Et je partage en cela les analyses de Paul Collier dans son livre War, Guns and Votes lorsqu’il parle de « démocratie élective » pour décrire l’état de la démocratie dans certains pays africains.

La solution serait d’aller vers une union fédérale du type de ce que propose et essaie de faire la CEDEAO ou l’Union européenne. La réalité historique et sociologique du Mali avec des identités transfrontalières font que les frontières politiques n’ont pas de sens : le fédéralisme est une réflexion à mener. La CEDEAO est un acteur régional qui pèse dans cette direction mais il existe également des freins importants.

La faiblesse de l’État peut également être expliquée par le système de consensus mis en place par ATT ; il est souvent désigné comme responsable du pourrissement actuel du pouvoir. En réalité et au-delà de la corruption qu’il a pu causer, il ne présentait aucun intérêt : les opposants ayant été intégrés au pouvoir, le pays n’avait plus aucune opposition : on n’avance pas dans ces conditions ; tout le monde étant intéressé au pouvoir, plus aucune critique ne peut émerger. Plus aucun projet n’est formulé.

La charte de Kourou kan Fouga et le système de « cousinage » sont deux institutions héritées du passé qui retiennent mon attention.

La charte de Kourou kan Fouga nous est léguée par l’empire du Mali [XI – XVe siècles]. Elle établissait la répartition politique et sociale et définissait les tâches de tout un chacun. Elle peut aujourd’hui encore, me semble-t-il, constituer une source d’inspiration dans la mesure où elle a su fixer les conditions d’une cohabitation sans tension et éviter la fracture ethnique.

Le SINAGUYA « cousinage à plaisanterie » dans la même logique a permis aux ethnies de dépasser les relations antérieures de conflits entre les différentes ethnies. En se reliant par des liens de parenté, les dominations antérieures ne sont plus devenues qu’amusement. C’était donc là aussi une façon d’éviter le surgissement de la violence en instaurant un système de cohabitation. Cette pratique peut aujourd’hui jouer un rôle important dans la gestion des conflits et participer ainsi à la consolidation des normes de régulation sociale.

Reste à les incorporer dans les institutions.

 

Q : Dans quelles conditions l’intervention militaire française est légitime et peut le rester ?

La France est intervenue sur la demande du gouvernement provisoire malien, sans quoi on parlerait aujourd’hui de l’État islamique du Mali. Cet appel à l’aide du Mali s’explique par la progression fulgurante des factions de la rébellion sur le terrain mais aussi par la lenteur du déploiement de l’intervention de la CEDEAO. Bien sûr, la France est soupçonnée d’avoir pris la décision d’une telle intervention pour protéger ses intérêts dans l’exploitation de l’uranium nigérien, dont les gisements se trouvent dans une région frontalière du Mali. En effet, plus de 30 % de la consommation française d’uranium sont d’origine nigérienne. La France a pu voir ses intérêts menacés, pourtant le risque islamiste est plus grand, en particulier parce que la région pouvait constituer une base arrière pour le terrorisme islamique.

L’intervention française restera légitime si :

  • L’ONU prend une résolution

  • Si les troupes françaises laissent la place aux militaires africains dans le cadre de la mission MISMA (Mission Internationale de Soutien au Mali). La CEDEAO a déjà mobilisé 1.400 soldats du Tchad, du Niger et du Nigeria qui sont venus épauler l’armée française. A terme, 6.000 soldats africains devraient rejoindre le Mali pour relever les troupes françaises, originaires du Sénégal, du Bénin, et du Burkina Faso etc.

Mais je pense que tous les soldats français ne partiront pas. Les troupes combattantes rentreront en France mais il restera des formateurs et instructeurs au moins pour former l’armée malienne, car c’est un besoin évident. L’Union européenne s’est elle aussi positionnée sur cette idée d’envoyer des formateurs au Mali. Le Royaume uni propose à cet effet 240 formateurs, l’Allemagne 40, la Pologne 20.

Et une gestion africaine de l’intervention militaire au Mali permettra qu’il y ait moins de conséquences sur le terrorisme international en termes de représailles.

 

Q : Et les perspectives de sortie de crise….

En matière de sécurité, la tâche de la CEDEAO sera d’assurer une présence militaire permanente pour que ce vaste territoire ne soit plus une zone interdite mais retrouve une normalité et par exemple qu’on puisse envisager le retour des touristes dans la région.

En matière de gouvernance, 3 urgences s’imposent :

  • Définir le rôle de l’armée et tenir l’armée à distance de la vie politique, de manière à éviter la probabilité de coups d’État militaires.

  • Renouveler la classe politique en donnant leur chance aux jeunes. A cause de la forte hiérarchisation de notre société et de la conception de l’autorité confiée aux aînés, les jeunes diplômés – plus diplômés que leurs aînés - ne peuvent intégrer l’administration. Ce renouvellement pourra être atteint par des candidatures jeunes aux prochaines élections et par le choix de la population malienne qui en a marre de sa classe politique. Le problème reste à cet égard le fort taux d’analphabétisme et les dysfonctionnements qu’il permet (achats de voix, cadeaux etc.)

  • Renforcer la lutte conte la corruption.