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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Sidiki Abdoul DAFF, mars 2001

Décentraliser pour sauvegarder l’unité et l’intégrité du territoire national

L’expérience de la rébellion du Nord Mali.

Le Nord-Mali correspond à l’espace géographique des trois régions économiques et administratives de Tombouctou, Gao et Kidal, soit près des deux tiers du territoire national avec environ 10 % de la population du Mali. Une bonne partie de la population est constituée de Touaregs et de Maures qui pratiquent un nomadisme pastoral à travers la zone sahélienne et saharienne. Le Nord-Mali subit les effets de facteurs naturels défavorables, en particulier l’aridité, l’excentricité géographique, l’enclavement et le sous-peuplement.

Une mauvaise gouvernance a pendant longtemps aggravé les effets négatifs de ces facteurs. En effet, déjà sous la période coloniale, le Nord-Mali était marginalisé car cette zone désertique ne présentait pas d’intérêt économique pour l’administration coloniale. Avec l’indépendance en 1960, cette marginalisation persiste car le Nord est considéré comme une zone lointaine, pauvre et sous-peuplée où les investissements, n’étant pas immédiatement rentables, ne se justifient pas.

Au plan militaire, le gouvernement malien doit faire face, dès l’accession du pays à l’indépendance en 1960, au Projet de l’Organisation Commune des Régions Sahariennes (OCRS) sur sa frontière Nord. Ce projet vise à rassembler toutes les populations sahariennes (berbères, touaregs et maures) éparpillées à travers les pays sahariens dont la Mauritanie, le Niger, la Libye, l’Algérie, la Haute Volta (Burkina Faso actuel) et le Maroc. Il pose en dernier ressort un démantèlement de certains Etats dont le Mali.

Devant ce danger les premiers gouvernements du Mali (1960 à 1991) procèdent à la militarisation progressive du Nord-Mali où une fraction des populations, encouragée par certains états maghrébins, prend les armes contre l’état central.

A partir de 1972, une sécheresse persistante s’installe dans la zone sahélienne. Ces populations du nord, qui sont des éleveurs transhumants, perdent leur cheptel, symbole de richesse économique et culturelle. La solidarité nationale est bien en-deçà des attentes des populations. Pis, l’aide de la communauté internationale est détournée par certains gouvernants, pratique courante dans les pays sahéliens d’Afrique Occidentale. Les jeunes, en particulier, se retrouvent sans occupation génératrice de revenu et sans perspective d’avenir. Des milliers de jeunes Touaregs émigrent alors vers la Libye où ils sont enrôlés dans la Légion islamique et reçoivent une formation militaire et idéologique.

Tous ces facteurs donnent aux populations du Nord un sentiment d’abandon par l’Etat, ce qui favorise l’émergence d’un mouvement irrédentiste animé essentiellement par des jeunes qui déclenchent des opérations militaires à partir de 1990. La réponse est une répression violente et aveugle. Les régions du Nord sont pratiquement sous état de siège. Mais cette option militaire s’avérant inopérante, le gouvernement est obligé de négocier.

Ces négociations interviennent dans un contexte où les Maliens se sont débarrassés du régime militaire en mars 91 et sont engagés dans un débat national pour construire un Etat de droit et approfondir la démocratie. Dès le mois d’avril 92, le Pacte national de paix avec les Touaregs est signé, promettant la fin de cette rébellion qui a entraîné l’exil de centaines de milliers de Touaregs maliens. Le Pacte National recommande l’intégration des ex-rebelles dans les services publics et dans les activités socio économiques, l’allégement du dispositif militaire dans les régions du Nord, la mise en oeuvre du programme de décentralisation avec un statut spécial pour les régions du Nord etc..

Au cours des négociations, les éléments de la rébellion obtinrent du gouvernement le principe d’un traitement spécial intérimaire de leurs régions. Les instruments d’administration intérimaire mis en place par le Pacte dans cette partie du pays anticipaient la décentralisation. En effet, au plan institutionnel, ils mettent en place dans les différents circonscriptions de base, les arrondissements, un Comité Transitoire d’Arrondissement (CTA) qui associe à la gestion locale des parties concernées les populations à travers leurs leaders communautaires. Les collèges transitoires d’arrondissements ont été dans le Nord-Mali une première forme de responsabilisation des communautés dans la gestion de leurs affaires.

La décentralisation, assurant aux communautés rurales et urbaines des pouvoirs très importants d’auto-administration, d’autogestion et d’autopromotion, répond correctement à une revendication fondamentale des rebelles. Cette décentralisation signifie une plus grand déconcentration du pouvoir en faveur des régions du Nord par rapport au pouvoir central. En effet la rébellion doit aussi être comprise comme une guerre pour une meilleure gouvernance qui pouvait s’étendre à l’ensemble du pays si rien n’était entrepris. En réalité le Nord sera le premier terrain d’expérimentation de la politique de décentralisation au Mali, qui plus tard sera étendu à l’ensemble du pays.

Commentaire

Dans beaucoup de pays africains, des crises identitaires ou indépendantistes armées font encore des ravages et les gouvernements souvent refusent un statut spécial ou particulier aux régions en rébellion sous le fallacieux prétexte de préserver l’intégrité du territoire national (ex : Sénégal en Casamance). Or l’expérience malienne montre que le statut spécial ou la décentralisation ne sont pas des dangers pour l’unité nationale même dans un contexte de pluralité ethnique et de réveil des sentiments identitaires. La décentralisation est apparue au Mali comme la réponse politique appropriée à ce phénomène, un outil de renforcement de l’unité nationale par la reconnaissance et la gestion appropriée des particularismes locaux en créant l’opportunité d’une meilleure participation des citoyens au processus démocratique. Le résultat de cette démarche du gouvernement malien est la fin de la rébellion et l’intégration progressive du Nord, jusqu’ici marginalisé, dans un ensemble plus vaste : le Mali.

Notes

  • Cette fiche s’inspire notamment des actes d’un forum sur la gouvernance en Afrique, organisé par le PNUD, Bamako, 28-30 juin 1999.

  • Le pacte national est signé le 11 avril 1992.