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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Françoise MORIN, juin 1997

Le mythe du 500ème anniversaire de la découverte des Amériques

Convergences et divergences.

Dans ce texte, Françoise Morin, de l’Université de Toulouse-le Mirail, rappelle que le Vème Centenaire suscite chez les indigènes du continent un même élan d’hostilité et de revendication pour leurs droits politiques et économiques. Cependant, des divergences apparaissent, comme lors de la Conférence Internationale des Nations Indigènes, organisée à Hull (Canada)en novembre 1991 : les priorités et les moyens à mettre en oeuvre diffèrent d’une région à une autre.

L’ensemble des organisations indigènes du continent américain ont affiché leur unité face à la commémoration du 5ème centenaire de la « découverte de l’Amérique ». Face aux protestations, le projet fut modifié pour célébrer « la rencontre de deux mondes ». Cependant, ces changements terminologiques n’ont pas calmé l’hostilité des nations indigènes qui rappellent que l’arrivée des Espagnols a marqué le plus grand ethnocide et génocide de l’histoire (destruction de 85% des populations amérindiennes). En réponse, 1992 devait être pour eux le symbole de 500 ans de résistance. Des réunions entre ces peuples ont vu le jour, qui leur ont permis de se rencontrer, d’affirmer leur identité, de communiquer, d’affronter leur expérience afin de s’unir.

La rencontre de Hull en novembre 1991, qui a réuni plus de 700 délégués de 22 pays du Nord et du Sud du continent, commença par une introduction du Président de l’Assemblée des Premières Nations, Ovide Mercredi, qui rappela le « mythe prophétique de l’Aigle et du Condor », annonciateur de la réunion de tous les peuples autochtones du continent. Cela sert de tremplin à F. Morin pour quelques commentaires :

  • La version de cette légende est assez proche de celle annoncée lors du premier Rassemblement continental des Peuples autochtones à Quito, en juillet 1990.

  • Ces deux versions sont de nature moderne et n’existent pas dans le matériel mythique traditionnel. Elles correspondent plus à une volonté politique d’unification de l’ensemble des mouvements indiens.

L’auteur revient ensuite plus en détail sur la composition et la formation des organismes participant à cette conférence. Celle-ci est dominée par 2 groupes :

  • Le CNPI (Conseil Mondial des Peuples Indigènes) qui a un statut d’ONG et a su tisser des liens entre les différents mouvements. Il utilise volontiers les tribunes onusiennes pour dénoncer les injustices subies par les autochtones.

  • Le CISA (Conseil Indien d’Amérique du Sud) est la branche latino-américaine du CAPI, qui est devenu indépendant.

Les deux sont composés d’idéologues universitaires et d’une bureaucratie indigène, souvent éloignés de leurs bases communautaires.

La conférence proprement dite va laisser apparaître des différences sur les priorités et les stratégies à utiliser. Elles commencèrent tout d’abord sur l’organisation en elle-même : la rencontre sous forme d’ateliers (Anciens, Femmes, Jeunes, Leaders et ONG) fut critiquée par les Anciens dès le 2ème jour comme une structure imposée par les Blancs, la convocation de l’ensemble des participants en séances plénières étant plus proche de la culture indienne. Cependant, des discours à tendance partriarcale amèneraient des femmes à quitter la nouvelle assemblée : l’unité ne devait pas se faire à n’importe quel prix.

Des organisations comme celles des Invits et des Amazoniens demandèrent des actions concrètes pour répondre aux besoins des populations et de sortir des « discours syncrétiques pan-indiens ». Les Invits étaient en effet confrontés à l’époque à des problèmes de territoire, de chasse et d’autonomie politique. Les associations amazoniennes déplorèrent, quant à elles, leur sous-représentativité : un seul représentant pour près de 22 groupements et environ 15 millions de personnes. Pour celui-ci, 1992 devait être « l’année de la lutte pour la territorialité et l’autodétermination » des peuples amazoniens. L’auteur émet l’hypothèse d’une éviction des groupes non idéologiquement favorables aux organisateurs. Cette opposition entre Amazoniens et le CISA ne date pas de cette période et est apparue plusieurs fois, par exemple au sein des instances onusiennes. Lors de la 9ème session du Groupe de travail des Populations autochtones en juillet-août 1991, la CISA proposa la condamnation des célébrations du 500e anniversaire et une demande d’indemnités aux Espagnols pour les populations meurtries ; le représentant de la Coordination des Organisations Indigènes du bassin amazonien donna, lui, la priorité à la Conférence des Nations-Unies sur l’environnement et le développement, à Rio, par rapport à la dénonciation des festivités du 5e Centenaire.

Cependant, malgré des vues divergentes, l’unité des mouvements indigènes du continent est en train de se former et sera capable de peser politiquement sur les gouvernements latino-américains. Ovide Mercredi propose en conclusion la création d’une agence internationale pour le développement des premières nations d’Amérique qui serait chargée d’améliorer les conditions de vie des peuples autochtones, de les protéger de l’oppression sans attendre une hypothétique aide de l’Etat.