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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Fiche de document

, France, septembre 2017

Moi, Lucie, 17 ans en 1939

La guerre, et après.

Mots clefs : Travailler la compréhension des conflits | Connaissance de l’histoire de l’autre | Mémoire collective et paix | Seconde guerre mondiale | Mémoire et paix

Réf. : Francis Vennat, Moi, Lucie, 17 ans en 1939, L’Harmattan, Rue des Écoles, 2017, 276 p.

Langues : français

Type de document :  Ouvrage

1938. Lucie rencontre Élie, jeune ouvrier, au bal du 14 juillet. Elle a 16 ans. Fille de blanchisseuse, sa scolarité terminée, elle découvre l’amour, les balades à vélo, et le plaisir de lire. Une année lumineuse.

Au printemps 39, la guerre embrase le monde. Ils la traverseront ensemble, entre Paris, sa ville, et le Morvan, son refuge. Leur mariage, les enfants, les séparations, le désespoir, la facilité des petits arrangements, des moments de courage. La paix retrouvée, quelle histoire sauront-ils réinventer ?

Au soir de sa vie, Lucie a souhaité, sans fard, et sans héroïsme fabriqué, se raconter à son fils. Ce récit vous emporte, dans une langue rugueuse et poétique, au coeur de la condition féminine des milieux modestes du siècle dernier.

Francis Vennat, auteur de l’ouvrage, nous livre ici son témoignage.

  • Ce récit revient sur la Deuxième Guerre mondiale. Qu’est qui vous a décidé dans cette entreprise ?

Mes parents nous ont raconté de temps à autre quelques moments de leur vie. Mais sans jamais s’étendre sur la guerre, dont ils sont pourtant restés marqués dans leurs habitudes quotidiennes.

À la fin de sa vie, ma mère a accepté, chez elle, à Anost, et à Autun, avec sa sœur Marguerite, de dérouler son histoire. J’ai retranscrit les enregistrements audio sur papier, et je me suis vite rendu compte que cette histoire singulière, d’elle jeune fille, puis mariée en 1941, dépassait l’intérêt de notre cercle familial. C’était d’évidence une composante de la grande Histoire, qui en illustrait des pans mal connus.

La grande Histoire a en effet été alimentée d’abord par la puissance publique. Pétain et ses proches ont construit leur action dans un idéal de redressement économique et moral de la France et du projet de la grande Europe. À la libération, de Gaulle a magnifié la France Résistante. Puis les intellectuels ont apporté leur contribution. Max Ophuls avec son film « Le chagrin et la pitié » a restitué l’image d’une France pleutre et collaborationniste. Robert Paxton a défait le mythe de l’État pétainiste qui aurait été le bouclier protecteur contre le nazisme. Puis de nombreux travaux, dont ceux de Pierre Laborie dans son livre « le chagrin et le venin », ont donné une place aux histoires singulières. Enfin les présidents Mitterrand et Chirac ont divergé sur la question de la responsabilité de l’État français, l’un la rejetant, l’autre déclarant : « Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’État français ». 

L’histoire des manuels scolaires, du cinéma et des livres a donc fluctué. On peut dire que l’on a abusivement étendu des comportements types, le résistant, le collaborationniste, le profiteur, à l’ensemble de la population. Cette captation « descendante » de l’histoire a longtemps négligé les vies qui, bien qu’invisibles au regard des grandes analyses, n’en ont pas moins fait elles aussi la grande Histoire.

Dans ce récit on voit comment cette guerre et l’occupation par les Allemands, ont été perçues par une jeune femme - Lucie a 17 ans - d’origine modeste. Comment elle a vécu ou étouffé ses espoirs d’une vie meilleure dans le sillage de la dynamique sociale de 1936. En quoi elle a été courageuse, résignée, prête aux petits arrangements. Comment après la guerre, mariée avec deux enfants, elle a tenté de se reconstruire dans ces années appelées de manière abusive marquée du primat de l’économie, les « trente glorieuses ».

Négliger ces vies, n’est-ce pas se priver d’une compréhension de ce qu’a été la guerre, dans toute sa diversité, pour « qu’un peu de vrai vienne au jour » comme l’écrivait Pierre Michon dans « Les vies minuscules ».

  • Comment avez-vous construit ce récit ?

Ma mère nous avait légué les lettres échangées avec Élie, son amoureux et son futur mari, pendant la guerre. Ces lettres m’ont servi de colonne vertébrale au récit avec les enregistrements que nous avions réalisés à trois. J’ai voulu littéralement me mettre dans sa peau, au jour le jour, en essayant de dérouler les événements comme ils avaient pu être perçus dans sa tête de jeune fille. Lucie n’avait pas de culture politique, elle s’informait peu. Elle n’avait pas le loisir de comprendre et d’analyser les événements, dont l’issue lui était inconnue, dans ce qui a dû être un chaos ininterrompu pendant la guerre. Le récit ne s’attarde donc pas sur le détail des situations dans le but d’en restituer leur caractère brutal et inéluctable.

  • À qui avez-vous pensé l’adresser ?

Je dirais que ce livre je l’ai d’abord écrit pour moi. Au décès de ma mère, écrire était une exigence. Puis je me suis rendu compte que j’écrivais pour les plus jeunes, pour nos enfants. Les jeunes à qui nous devons transmettre que nos libertés ont été construites au prix d’engagements souvent anonymes, et au prix de grandes souffrances parfois. Ces libertés peuvent être mises à bas dans des moments de folie historique comme nous en avons connu par exemple en Europe avant et pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Je dirais que nous avons une dette vis-à-vis de nos parents par la compréhension que nous devons avoir de cette période terrible pour en transmettre les enseignements à nos enfants.

D’après l’avis des premiers lecteurs, il apparaît que le récit rencontre aussi l’intérêt des enfants de la guerre et de l’après-guerre. En effet souvent, par pudeur, nos parents n’ont pas voulu nous parler de cette période qui les a pourtant poursuivis toute leur vie. Ce récit permet à leurs enfants de renouer le fil de leur propre histoire.

Écrire pour, comme l’affirme l’historien Patrick Boucheron faire de l’Histoire un « art de l’émancipation ».

Entre Paris de la rue Saleneuve et le Morvan d’Anost, la traversée de la guerre par Lucie, 17 ans

  • Extrait n° 1

1939. Je découvrais l’éclat de la liberté et de l’amour. Je vivais par l’envie de vivre, sans limites ; et sans grand « bagage », comme l’on disait en parlant des études. Moi qui n’avais pas beaucoup lu, j’avais découvert avec fierté au hasard de mon premier emploi les romanciers, un monde lointain, et proche par l’intimité qu’ils me donnaient à voir. Écrire était une grandeur ! J’avais dix-sept ans.

Nos vies, elles furent celles de milliers de jeunes hommes et de jeunes femmes, qui comme nous se sont aimés et ont aimé la vie. Leur histoire n’a pas été souvent racontée, à l’ombre de la grande Histoire.

  • Extrait n° 2

À la gare d’Autun il faisait une chaleur étouffante. Des affiches dans la salle d’attente annonçaient des exécutions.

Cette guerre, ce monstre, c’était désormais notre vie. L’imprévu, l’incertain, le danger étaient notre quotidien. Nous devions contourner, éviter, nous adapter. Il y avait bien ces jeunes qui se cachaient pour s’opposer aux Allemands. Il n’en restait pas moins une grande confusion. Seule l’idée de nous sauver et de manger s’imposait, pour nous, notre enfant, nos familles.

  • Extrait n°3

Début mai, alors que je me promenais dans le parc Monceau, Véronique à côté de moi, Paul dans la poussette, les cloches se mirent à retentir. Non loin de nous la statue de Chopin accompagnait cette volée de notes lourdes et joyeuses à la fois. La capitulation de l’Allemagne avait été signée la veille, et ces notes, c’était notre oppression qui volait et se dispersait dans les airs, en libérant notre cœur et notre ventre. Je m’accroupis, couvris les deux petits de baisers, je m’enfouis la tête dans leurs habits tièdes pour pleurer des larmes de bonheur. La bête ne reviendrait plus maintenant.