L’art de la paix. Ouvrage de Michel Rocard. La nécessité de savoir jouer avec des principes et des règles pour construire une paix durable.
Réf. : J. Garrisson et M. Rocard, « L’art de la paix », Ed. Atlantica, Paris, 1997.
Langues : français
Type de document : Ouvrage
L’art, pour insaisissable qu’il soit, se définit par rapport à des règles, à des principes, qui le régissent et le modèlent.
Si l’on prend l’exemple de l’écriture de la tragédie française du XVIIe siècle, cet aspect est particulièrement visible. En effet, le tragédien devait respecter un certain nombre de codes très précis affectant l’ensemble de sa pièce : de l’instauration d’une esthétique fondée sur la pratique de la mimesis aristotélicienne à l’écriture dramatique nécessairement versifiée et de style élevé, en passant par le choix du sujet, antique ou religieux, jusque, entre autres, le respect des trois unités, des étapes de la tragédie ou des bienséances.
Mais le propre de l’art, c’est justement sa capacité à transgresser ces règles et ces principes, à jouer avec eux, à les appliquer d’une façon particulière et unique, afin de produire le chef d’œuvre, lui aussi unique, bien réalisé dans un cadre.
En ce sens, l’art de la paix, par opposition à l’« art de la guerre », pour reprendre l’expression du stratège Clausewitz, ne peut se réduire à une simple théorie : il est réalisé à travers des pratiques codifiées, s’élabore dans une politique globale et se fonde sur des stratégies de négociation ou d’espionnage. Il ne s’agit pas d’une simple technique qui, accomplie correctement et selon un usage universel, fonctionnerait à coup sûr. Son application ne doit pas être confondue avec l’exécution d’une simple recette miracle : contingent, il doit s’adapter à un environnement difficile et protéiforme.
Bien entendu, l’art de la paix englobe ces différentes théories, techniques et savoir-faire ; mais il les dépasse également et ne saurait se réduire à aucun de ces éléments. Au-delà de chacun d’eux, il en appelle à la créativité et au talent de ses protagonistes : si le processus de paix est élevé au rang d’art, c’est bien que sa réussite est tellement délicate et improbable qu’elle peut sembler tenir du mystique et du divin, comme dans les disciplines artistiques. Et le génie du poète mage et prophète cède alors la place à celui de l’artisan, de l’orfèvre de la paix, thaumaturge qui guérit les blessures et réconcilie les peuples. C’est en ce sens que l’Édit de Nantes devient œuvre d’art, et que la construction de la paix est un art.