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Le rapport au temps, défi majeur pour l’action humanitaire

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L’action au cœur des situations de crise laisse peu de place au hasard. Si l’improvisation parfois, le pragmatisme souvent, sont des conditions nécessaires à la flexibilité du travail effectué sur le terrain, seules la compétence et la préparation en amont de l’intervention les rendra possible aux acteurs. L’un des éléments qu’il est important, pour ceux qui agissent sur le théâtre d’opération, d’intégrer, est le facteur temps. Les réponses à donner et les services à apporter ne sont pas les mêmes selon que l’on se trouve au début d’une crise, d’un conflit, ou au moment d’un retour à la “normale”. Cependant, il semble dans tous les cas nécessaires d’appréhender le problème dans une perspective qui sache concilier les impératifs de l’urgence avec les enjeux du développement. Il s’agit là d’un défi essentiel pour l’action humanitaire : certes il faut des spécialistes des deux genres, mais il est également primordial que ceux-ci aient conscience de leur complémentarité. Cela suppose une double condition :

  • Une analyse des crises qui intègrent un ensemble de données permettant d’intégrer la gestion du court terme dans la dimension du temps long ;

  • Une démarche visant à ce que les acteurs de l’urgence et du développement agissent dans une perspective identique ;

La réalité du terrain et des situations rencontrées amènent d’ailleurs à se poser la question de la pertinence d’une distinction chronologique entre l’urgence et le développement aussi marquée : c’est bien une nouvelle compréhension des phénomènes de crise qui est nécessaire.

I. Cerner les enjeux communs

Au premier abord, l’urgence et le développement semblent répondre à deux types d’exigences bien distinctes, à la fois dans le temps et dans la destination. Ainsi, l’urgence vise la mobilisation rapide de moyens dans le but d’assurer la sécurité et la protection des individus et de pourvoir dans les plus brefs délais à leurs besoins les plus élémentaires (santé, alimentation). De son côté, le développement répond plus en aval de la crise aux objectifs de reconstruction durable de la société et de ses structures de fonctionnement régulier. Bref, il s’agit de deux manières d’agir et de deux temporalités propres. Et pourtant, la réflexion menée par certains de ces acteurs ainsi que par des spécialistes de ces questions, souligne le caractère suranné, en tout cas insuffisant, d’une telle distinction. Le défi qui se pose est bien celui d’une lecture globale des crises qui fasse émerger les concordances possibles et nécessaires entre l’urgence et le développement. Car bien souvent, les interrogations et les difficultés auxquelles sont confrontés les spécialistes des deux genres se rencontrent, tant et si bien qu’il devient plausible de postuler qu’un partage des expériences menées par chacun renforcerait la cohérence de l’ensemble. Il semble exister notamment deux pôles de convergences :

  • L’un est constitué des valeurs qui guident l’action : le temps venu, aussi bien pour les “urgentistes” que pour les “développeurs”, est celui du professionnalisme. En situation de crise, peu de place peut être laissé au hasard : celui-ci se maîtrise, dans la mesure du possible, par la compétence et l’expertise de ceux qui s’y confrontent. Ainsi, peu à peu, l’éthique de responsabilité des acteurs humanitaires doit continuer à évoluer vers une conscience plus aiguë de leurs prérogatives. Professionnalisme, impartialité, lucidité quant aux enjeux sont donc des valeurs pivots.

  • Dans le même sens, on tend à retrouver des aspirations communes autour de l’idée d’un passage depuis une solidarité de prestation vers une solidarité de partenariat qui implique dans un processus identique les populations locales et non plus qui se contente d’une aide venue de l’extérieur. Dans l’urgence comme dans le développement, l’implication des premiers concernés par la crise ou le conflit est primordiale, afin qu’ils puissent s’approprier le processus de paix.

II. Agir dans une même perspective

Peut-on définir un horizon commun aux acteurs de l’urgence et aux spécialistes du développement ? ou, en d’autres termes, comment imaginer une articulation permettant de concilier leurs actions ?

Le défi est déjà de se poser la question, dans la mesure où certains considèrent qu’il s’agit là de deux domaines tout à fait différents. Et pourtant, il semble de bon sens d’imaginer qu’une cohérence plus grande de l’action humanitaire pourrait naître d’une mise en perspective comparée et de la recherche de synergies. Certes, en se penchant sur la question, on s’aperçoit de la difficulté d’un travail opérationnel en commun. Mais l’on détecte également les complémentarités potentielles :

  • Les opérateurs d’urgence sont ceux qui connaissent le mieux le terrain, les peurs et les attentes des populations touchées par la crise. Ils sont aussi, en dans un contexte conflictuel, les plus vulnérables et les plus exposés au risque. De cette proximité et de cette expertise peut naître une plus grande aptitude à cerner, rapidement et le plus en amont possible, les opportunités qui s’offrent à la société dans la perspective de la sortie de crise ;

  • A l’inverse, les acteurs de développement, avec davantage de recul, portent un regard plus analytique sur les situations de crise. De ce fait, ils sont plus à même d’élaborer une stratégie plus globale concernant les objectifs à atteindre et les moyens à mettre en œuvre pour sortir durablement de l’ornière. Ils semblent en tout cas les plus aptes à inscrire l’action humanitaire dans le moyen terme.

Une crise, qu’il s’agisse d’un conflit ou d’une catastrophe naturelle, engendre bien souvent des dégâts majeurs pour le fonctionnement d’une société : il y a bien sûr les destructions matérielles, la désorganisation du circuit économique, l’atomisation parfois du système politique et social… il y a aussi les blessures psychologiques, les traces laissées dans les corps et dans les têtes, et la difficulté à se reconstruire. Dans ce genre de circonstances naissent des exigences qui apparaissent à plusieurs niveaux. Dès lors, le temps est une donnée essentielle à intégrer : il semble trop simple de faire d’une sortie de crise un processus linéaire. Dans un premier temps effectivement vient l’urgence, puis à plus long terme la perspective du (re)développement. Ces deux phases supposent des réponses spécifiques, des compétences et des moyens adaptés. L’erreur serait de faire une césure trop nette, voire d’opposer ces deux types d’exigences. Les atouts et les objectifs des uns et des autres acteurs relevant d’une même dynamique de coopération solidaire, il serait regrettable de ne pas parvenir à optimiser leurs relations. Le défi est là, dans cette cohérence d’action et de chronologie.