Fiche de défi Dossier : La formation des volontaires de paix

Cluj, Roumanie, 2007

Méthodes et présupposés, défis de la formation à la paix

Le débat opposant les formations interactives aux formations normatives fait partie d’une question plus générale concernant les méthodologies de formation à la paix.

Mots clefs : Former des volontaires de paix | Intervention civile de paix | Travailler la compréhension des conflits

I. Le défi de méthodes de formation adaptées

Les différentes dimensions de la connaissance (la « tête »), des qualités humaines (le « cœur ») et des aptitudes professionnelles (les « mains ») exigent des méthodologies dynamiques. Il existe des stéréotypes concernant les capacités de formation, pour lesquels différentes méthodes sont utiles. De nombreuses personnes considèrent que la formation d’intervenants professionnels de paix nécessite des formateurs dotés de bonnes connaissances à transmettre aux participants, tandis que les méthodes interactives sont plus appropriées pour constituer des équipes et aider les individus à grandir et à devenir des intervenants de paix matures. Il faut combattre ces attitudes consistant à considérer comme deux extrêmes opposés les méthodes normatives - qui seraient associées à des formations d’experts « difficiles » - et la méthodologie interactive - qu’on associerait à des formations émotionnelles « douces ». Différentes méthodes peuvent être utilisées dans presque tous les scénarios de formation pour former à tous les niveaux des individus à l’intervention non-violente de paix.

L’essentiel de la formation à la paix pour un intervenant de paix n’est pas tant de recevoir d’un formateur chevronné un panorama le plus complet sur un certain sujet que d’acquérir les compétences nécessaires pour sa propre pratique. Ainsi, les méthodes spécifiques impliquant les « mains » des participants sont cruciales. À cet égard, Tim Wallis fait deux recommandations : « 1/ Rendre la formation aussi pratique et interactive que possible et éviter de trop aborder théories et généralités ; et 2/ Utiliser le jeu de rôle et la simulation pour recréer de la façon la plus réaliste possible le type d’environnement auquel les intervenants de paix seront confrontés, de sorte qu’ils puissent s’entraîner à gérer ces situations dans ces conditions. »

Les méthodes de formation à la paix doivent également aborder la réaction des participants à un stress extrême ou à un traumatisme grave dans le but de dévoiler leurs attitudes et comportements face à la crise. Ceci nécessite davantage que de simplement retenir des mesures à appliquer avec les victimes de traumatismes apprises dans un manuel. Ouyporn Khuankaew décrit son approche plus holistique dans ce domaine :

II. Gérer les traumatismes

« Lorsque nous travaillons à la construction bouddhique de la paix avec les femmes de Birmanie, la formation dure trois mois. La plupart d’entre elles ont survécu à des événements traumatisants. On sent le détachement, la colère et la souffrance qui les habitent. Au cours des sept premiers jours, nous les aidons à devenir présentes en leur faisant faire du yoga deux fois par jour, en les faisant travailler ensemble dans le jardin et en les faisant chanter. Les participantes doivent être mises en condition avant d’étudier quoi que ce soit qui ait un rapport avec la société, l’oppression ou toute théorie. Le yoga, la première semaine, me permet de voir, à leurs mouvements, comment leur corps exprime la souffrance. Mais, au bout de cinq semaines, elles s’apaisent et la pratique déplace leur énergie. Trop de méthodes de résolution de conflits commencent directement par la réflexion et je pense qu’il devrait exister une approche différente. »

III. Gérer les préjugés et présupposés dans la formation à la paix

Cette approche se focalise sur la mise en valeur d’un meilleur apprentissage de l’adulte dans les formations à la paix et rappelle le rôle important des présupposés que les personnes font entrer avec elles dans la salle de formation. Si les individus ne sont pas conscients de leurs présupposés, ceux-ci peuvent très rapidement se transformer en préjugés et faire du mal, tout particulièrement si l’on crée un véritable espace d’apprentissage dans lequel les participants exposent des expériences très personnelles de leur vie. Par conséquent, pour faire un bon formateur ou un bon participant à toute formation à la paix, il est essentiel d’être conscient de ses propres présupposés et de se rendre compte à quel point ils influencent notre comportement.

Certains préjugés peuvent être évités plus facilement. Au cours des formations, par exemple, les formateurs doivent être capables de voir comment les dynamiques de culture, de sexe, de classe et de groupe créent parfois un espace que peuvent partager certains membres, mais dans lequel d’autres peuvent se sentir obligés de garder le silence. Lorsqu’une femme ayant reçu une éducation élémentaire parle peu dans une formation, cela ne veut pas dire qu’elle est ignorante (comme certains le supposeraient, notamment s’ils sont issus de cultures qui accordent beaucoup d’importance à l’éducation). Beaucoup d’autres facteurs peuvent entrer en jeu. Cela peut être dû au fait que, dans sa culture, ce sont habituellement les hommes qui contrôlent l’espace publique ou que la formation est dispensée dans une langue autre que sa langue maternelle. Chaque être humain présente de nombreuses complexités. Lorsque les formateurs s’attendent à ce que les participants agissent selon leur paradigme, sans analyser consciemment la situation, beaucoup de mal peut être fait.

Il n’est cependant pas facile de se défaire de certains présupposés. En fait, tous les concepts, toutes les théories, idéologies et pratiques proviennent de présupposés et de préjugés. Même les présupposés positifs, tels que reconnaître l’importance d’être ouvert à la collaboration avec tous les acteurs du conflit, sont, en eux-mêmes, des positions contre des structures plus totalitaires et plus autoritaires. En fin de compte, la question n’est pas de distinguer le vrai du faux et le bien du mal, mais d’être conscient que toutes les pensées et actions sont fondées sur des préjugés envers certains objectifs qui peuvent être (et seront) perçus par certains acteurs des zones de conflit comme opposés à leur programme. Par conséquent, l’objectif, dans les formations à la paix, n’est pas d’essayer de présenter des théories et des pratiques exemptes de présupposés. C’est impossible. Ce qui est important, c’est que les formateurs et les participants éclaircissent les présupposés à la base de tout leur travail.

Malheureusement, on recense bon nombre d’expériences négatives dans les formations à la paix lorsque les préjugés et les présupposés sont obscurs. Souvent, les théories et pratiques s’étant montrées efficaces dans un contexte ne peuvent pas être adaptées à d’autres contextes simplement parce qu’elles sont supposées être universellement valables. Presque toutes les composantes des formations à la paix doivent être modifiées d’une façon ou d’une autre pour s’adapter au contexte de la formation ou du conflit et pour répondre aux besoins de différents groupes. Cette capacité à adapter les outils aux conditions locales constitue un véritable défi paradigmatique.

Notes

  • Tiré de l’ouvrage : « Formation à la paix, Formation des adultes au travail de paix et à l’intervention civile de paix lors de conflits » ; Auteurs :Robert Rivers, Giovanni Scotto, Jan Mihalik et Frode Restad. Ouvrage réalisé dans le cadre du projet ARCA. Le projet ARCA (Associations and Resources for Conflict Management Skills) a été mis en place afin de contribuer directement à l’amélioration de la qualité, contenu et méthodologies des formations à la paix et à la transformation de conflits. Le projet, financé par la Commission Européenne, Socrates/Grundtvig1, comptait avec la participation 13 organisations originaires de 11 pays européens, dont le MAN (Mouvement pour une Aternative Non-violente), France.