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Transformation de conflit, de Karine Gatelier, Claske Dijkema et Herrick Mouafo

Aux Éditions Charles Léopold Mayer (ECLM)

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Paris, février 2008

Se rencontrer après un conflit  : « meeting – parties » au Kosovo/a

Comment établir un dialogue quand la rencontre physique est incertaine et insécurisante ? Les volontaires internationaux d’ONG comme Equipes de Paix dans les Balkans - EpB - peuvent proposer ou faciliter des rencontres, professionnelles ou simplement conviviales, qui peuvent ouvrir la voie à d’autres formes de relations.

Mots clefs : Espaces de partage et de transfert d’expériences pour la paix | Les difficultés d'une culture de paix dans une population ayant vécu la guerre | Dialogue entre les acteurs de paix | Gestion de tensions inter-ethniques | Guerre du Kosovo | Equipes de Paix dans les Balkans | Kosovo | Les Balkans

Mitrovica/ë, Kosovo/a.

Cinq après la fin de la guerre, la ville reste divisée en deux, et la rivière Ibar sépare le Nord de la ville, où vivent majoritairement des Kosovars d’origine serbe, du Sud de la ville, où vivent essentiellement des Kosovars d’origine albanaise.

Les habitants ont appris à vivre dans ces conditions, sans vraiment se résigner à cette situation instable. Non seulement les infrastructures ne sont pas encore parfaitement opérationnelles (les réseaux de transport public sont en cours d’établissement, les coupures d’eau et d’électricité restent relativement fréquentes et aléatoires, le réseau de téléphonie mobile est peu fiable …), mais les déplacements aussi restent compliqués, et rares sont ceux qui osent s’aventurer « de l’autre côté », même quand ils y sont officiellement autorisés. De peur d’y être agressés ou mal accueillis par l’autre communauté, et à cause de la pression sociale de leur propre communauté d’appartenance qui peut être vécue comme une menace.

Le climat est toujours tendu, avec une présence militaire importante, surveillant les principaux passages entre le Nord et le Sud, et tout particulièrement le pont principal de la ville au dessus de la rivière Ibar.

Dans l’attente d’une décision relative au statut du Kosovo/a, la Mission des Nations Unies au Kosovo (MINUK) assure le protectorat de cette province officiellement serbe. D’autres Organisations Internationales (OSCE, Agences des Nations Unies, …) assurent diverses fonctions, dont la KFOR (Kosovo Force), force armée multinationale, pour garantir la sécurité.

Cinq ans après la guerre, la phase « d’urgence » de l’aide internationale est repartie vers d’autres terrains de conflit. Seules demeurent quelques ONG, oeuvrant pour la plupart à la reconstruction du dialogue entre les communautés.

Mais comment établir un dialogue quand la rencontre physique est incertaine et insécurisante?

Les volontaires internationaux d’ONG comme Equipes de Paix dans les Balkans - EpB - peuvent proposer ou faciliter des rencontres, professionnelles ou simplement conviviales, qui peuvent ouvrir la voie à d’autres formes de relations.

Ainsi des « meeting-parties », forme de « soirées professionnelles », ont-elles permis à plusieurs reprises d’inviter toutes les personnes membres des associations partenaires, qu’elles soient du Nord, du Sud, ou ‘mixtes’, qu’elles soient d’origine serbe, albanaise, ou roms. Ces rencontres avaient lieu au bureau-domicile des volontaires internationaux, situé non loin de la « zone de confiance », zone neutre sous surveillance de l’administration de l’UNMIK (1) qui s’étend de part et d’autre de la rivière Ibar. Par ailleurs, les volontaires disposaient d’un véhicule et pouvaient ainsi acheminer les partenaires serbes ou albanais qui craignaient de « passer de l’autre côté » à pied.

Se retrouver ensemble pour travailler, c’est aussi donner l’occasion à l’ensemble de ces partenaires de se rencontrer ensuite d’une façon informelle, qu’ils se retrouvent ou apprennent ainsi à se connaître pour faciliter une éventuelle mise en réseau.

Un temps de travail formel permet de partager les expériences, d’organisation et de réalisation des projets, et d’envisager l’avenir - ensemble, conjointement ou séparément. Puis, à l’occasion de moments plus ludiques, chacun(e) peut s’exprimer librement sur ce qu’il a envie de dire de lui, sur ce qu’il souhaite partager avec les autres. Comme le langage parlé diffère suivant l’origine culturelle – albanais, anglais, français ou serbe – ceux qui le peuvent prennent naturellement l’initiative de traduire pour les autres, pour que tout le monde se comprenne, et ce en utilisant facilement la dérision : « Pour parler comme les politiques : vous avez eu la version serbe, voici maintenant la version albanaise ! ». L’écoute est généralement très attentive et respectueuse, curieuse aussi : nombreux sont ceux qui font référence à leur vie quotidienne, influencée par cette situation particulière d’une ville « coupée en deux » : « J’aime voyager, et j’aimerais pouvoir voyager à travers tout le Kosovo, mais je vais encore rencontrer plein d’Albanais, et partout où j’irai, je rencontrerai des Albanais », exprime un Albanais …

Peu à peu, un climat de confiance s’installe entre eux, au point que, faisant fi du contexte albanophone dans lequel ils se trouvent, de jeunes Serbes se mettent spontanément à parler en serbe devant la fenêtre ouverte. Des discussions prolongées permettent à l’un(e) ou l’autre de raconter son engagement vers plus de paix : « Avant nous vivions ensemble, alors ça reviendra ! », mais aussi « Ici, tout le monde est traumatisé par la guerre, même ceux qui croient vivre normalement »

Au fil du temps, de nouvelles soirées de travail facilitent les échanges instructifs et constructifs entre les personnes des différentes communautés : « Pourquoi arrive-t-on à communiquer facilement quand nous sommes en formation ou en séminaire en dehors du Kosovo/a, et pas quand nous sommes ici, à Mitrovica/ë ? », interroge un jeune Kosovar d’origine albanaise auquel son collègue d’origine serbe répond : « Ici, nous avons sans arrêt la pression des politiques, de la famille ; quand je dis que je travaille avec une ONG et avec les gens de ‘l’autre coté’, je dois sans arrêt me justifier, on essaye de me faire peur, et parfois c’est mieux que je ne dise rien » ; un autre d’origine albanaise leur répond : « Oui, mais on ne peut pas attendre que ce soit les politiques qui nous disent ce que nous devons faire, comment nous voulons vivre ; c’est à nous de faire les premiers pas, avec l’aide des internationaux comme ce soir : si nous nous connaissons maintenant c’est parce que nous travaillons ensemble ou bien nous nous sommes rencontrés ici [dans les locaux de l’ONG EpB] ; si la prochaine fois je viens avec un ami et toi aussi, alors ils pourront aussi se connaître et c’est comme ça que nous pourrons faire bouger les choses »

Peut-on en conclure que pour ‘faciliter la reconstruction du dialogue’, il faudrait créer d’abord des opportunités pour qu’ils se rencontrent facilement, qu’ils se sentent en sécurité, et si possible autour d’un moment convivial ? Car si la peur est toujours là, il semble que l’envie de se retrouver, elle, revient doucement.

Ainsi en témoignait un jeune Kosovar d’origine serbe à l’occasion d’une de ces soirées : « C’est quand même incroyable de voir ça ! » - C’est à dire ? « De voir tous ces gens qui s’amusent ensemble, sans savoir qui est serbe, qui est albanais, ou ‘international’… je ne le croyais pas possible… C’est merveilleux que vous fassiez des choses comme ça ! » Auquel répond comme en écho son voisin d’origine albanaise : « Quand vous organisez des soirées comme celles-ci nous pouvons nous rencontrer entre Serbes et Albanais et passer des bons moments ensemble… »

Notes

  • (1) UNMIK ou MINUK = Mission des Nations Unies au Kosovo/a.