Paris, 2007
De la géographie de la faim à la politique de développement pour la gestion des conflits liés aux ressources naturelles
L’exemple de la région au Nord-Est du Brésil.
Introduction
Le Nord-Est brésilien est une des régions les plus connues, et, dans un certain sens (géographie de la faim), l’une des plus importantes du Brésil. D’une superficie d’environ 1 600 000 km2, pour une population de plus de 50 millions d’habitants. Jadis, cette région fut la plus importante du Brésil (XVIIe siècle) et le poids de l’héritage historique (passé colonial) demeure très lourd dans la région.
Actuellement, le Nord-Est est surtout considéré comme une région à problèmes. Ainsi ceux posés par la sécheresse – le « polygone de la sécheresse » du Brésil – la misère et la malnutrition. C’est la « région épave » de certains, comme Hervé Théry, malgré de nombreux efforts d’amélioration.
« Polygone de la sécheresse », « polygone de la faim », le Nord-Est est l’une des régions les plus pauvres du Brésil, en raison d’une anomalie climatique et d’un régime agraire archaïque. Les côtes, où se trouvent Fortaleza, Natal, Recife et Salvador, sont humides et bien arrosées ; l’intérieur des terres est formé d’un vaste plateau d’une superficie de 500 000 km2 et d’altitude modérée, le sertão, composé de plaques de grès, les chapadas et les tabuleiros, sur lesquelles se développe la caatinga, formation végétale composée d’arbres, de buissons et de plantes xérophiles et de cactacées. Cette végétation ne résulte pas du déboisement et est adaptée au climat tropical semi-aride de la région.
Le problème majeur du sertão est la sécheresse. Les précipitations, dont la moyenne est toujours inférieure à 500 mm par an, tombent sous forme d’averses de décembre à avril, puis suivent sept mois sans pluies. Des barrages de retenue sur le São Francisco ont permis la création de réservoirs (700 millions de m3 d’eau), mais la sécheresse demeure toujours imprévisible.
L’économie du Nord-Est est contrastée, l’ancienne économie sucrière ayant fait place à une économie de cueillette (noix de coco et cire de palmier). Sur les chapadas se pratique un élevage bovin et porcin rudimentaire localisé dans le bassin du São Francisco ; dans le Ceara s’est développée la culture du coton et du sisal. L’exode rural continue dans cette région qui petit à petit perd des habitants au profit de l’Amazonie ou du Sud.
Le Nord-Est est la région du Brésil dont l’histoire a façonné les grands traits culturels du pays. C’est dans le Nordeste qu’apparurent au XIXe siècle les sectes mystiques des beati, comme celle d’Antonio dos Santos, qui annonçait aux paysans pauvres le retour prochain du roi de Portugal, don Sébastien. C’est du Nordeste que surgirent les cangaceiros, vachers et bandits d’honneur, autour desquels s’édifia la culture du sertão, et qui, jusque dans les années quarante, mirent à feu et à sang la région. Hors-la-loi et prophètes, fazendeiros (grands propriétaires), flagelados, retires (paysans sans terres) et cangaceiros fondent le paysage social d’une région rurale où encore aujourd’hui 70 % des terres sont la propriété de 4 % de la population. Ces contradictions n’ont pas échappé aux écrivains brésiliens, notamment Jorge Amado.
Pourquoi une telle pauvreté dans un pays qui offre de nombreuses possibilités ? La nature est-elle responsable ? Ou les hommes ? Ou les structures héritées de l’époque coloniale ? Y a-t-il des possibilités d’amélioration ?
Nous tâcherons de montrer dans un premier temps l’impact de la Nature et de l’héritage colonial dans le Nordeste. Puis nous mettrons en relief le problème de l’eau ainsi que les différentes tentatives pour améliorer la situation. Enfin, nous verrons différentes politiques mises en place dans la région du Nord-Est.
I. Le Poids des Héritages
A. La nature responsable ?
Le Nord-Est est une région proche de l’Equateur (entre 5° et 10° de latitude Sud), et possède un climat de type intertropical. Elle se trouve à la même latitude que l’Amazonie humide.
Les pluies ne sont donc pas négligeables. Le Nordeste – l’intérieur – reçoit de 400 à 800 mm de pluie, en moyenne. Mais les moyennes ont peu de sens, ce qui compte ce sont les extrêmes. Les franges côtières, bordées d’escarpements montagneux (Serra do Borborema) reçoivent des pluies de & 200 mm par an, assez régulière (il s’agit de pluies d’origine orographique). Parfois on a même 1 600 mm – et il s’agit des régions les plus peuplées et les plus pauvres. La Pré-Amazonie (Maranhao) reçoit également de 1 200 à 1 600 mm d’eau par an. Le mécanisme des pluies demeure encore assez mystérieux. Dans l’ensemble, la région connaît le régime des alizés du Sud Atlantique, avec des nuances. Les pluies tropicales d’automne sont fréquentes. Il existe aussi des pluies d’hiver, liées aux perturbations tempérées qui atteignent 7° de latitude Sud. Et souvent l’été est sec, accompagné de fortes chaleurs, lorsque l’air tropical, qualifié de « kalaharien », à courbure anticyclonique – donc stable – occupe le Nordeste.
Vers le Nord, les perturbations tempérées disparaissent. Le rôle de la convergence intertropicale (CIT) devient prépondérant. Toutefois, les alizés de l’hémisphère Nord et de l’hémisphère Sud sont ici divergents, d’où affaissement et stabilité de l’air. Situation inverse de l’Afrique occidentale, où les alizés sont convergents et provoquent des ascendances génératrices de pluies. Vers l’intérieur, le Sertao, la nuance semi-aride est accentuée, avec une saison sèche qui peut durer 5 mois et plus. Mais lorsque la CIT arrive sur le Nordeste ce sont des trombes d’eau qui s’abattent sur la région. Toutefois, le fait le plus notable demeure la persistance de certaines périodes sèches, qui se prolongent parfois pendant 3 à 5 ans. Le Sertao appartient à la « Diagonale sèche ». Aux températures toujours chaudes des basses latitudes – 23-24° de température moyenne – sont associées de faibles pluies concentrées sur quelques mois, ensemble de facteurs entraînant un important déficit hydrique. De fait, le Sertao ne reçoit que deux apports hydriques par an le premier venant de la mer. De mars à mai, la migration de la Convergence intertropicale apporte de grosses pluies à cette région sèche. L’autre apport hydrique consiste en la pénétration des alizés (SE) qui entraîne d’importantes pluies sur le littoral et sur le contrefort oriental du plateau de la Borborema, le Brejo. L’essentiel de l’afflux hydrique se déversant dans cette zone, ce n’est qu’une imfime partie qui atteint le Serato et spécialement la région du Cariri
Les flux, la situation et la variété des reliefs ont pour conséquences d’importantes nuances intertropicales à l’intérieur même de la région du Cariri par exemple :
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La partie occidentale est plus arrosée. On peut noter 613 mm d’eau à Monteiro et 561 mm à Sumé.
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La partie orientale quant à elle, est beaucoup moins arrosée. Cabaceiras comte 304 mm eau et Sao Joao do Cariri 386mm, soit quasiment la moitié des précipitation de la partie occidentale.
De plus, la semi-aridité est accentuée par l’irrégularité interannuelle et intra-annuelle des pluies, ce qui engendre de nombreuses conséquences sur la céréaliculture principalement. Cette irrégularité se manifeste par la réitération de grandes sécheresses, tous les neuf ou dix ans. Elle est liée à des anomalies de température à la surface de l’océan Atlantique ainsi qu’à une distribution inégale des pluies lors des saisons pluvieuses. Distribution inégale due aussi par la hauteur de certains reliefs comme le plateau de la Borborema qui empêche les pluies d’arriver à destination, notamment au Cariri.
Ces contrastes naturels et climatiques nous permettent d’observer qu’il n’y a pas un Nord-Est – que l’on assimile souvent au Sahel – mais bien des Nordeste. Des « régions » climatiques et naturelles à l’intérieur de cet région administrative.
L’uniformité n’est en grande partie qu’une apparence. On peut distinguer :
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Le sertao de l’intérieur, sec, pierreux, où les réserves hydriques des sols sont faibles. La longue saison sèche d’été – en juillet/août – est dite « estiagem ». Ce sertao est bien représenté sur les plateaux gréseux des « chapadas »
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L’agreste correspond aux marge du sertao. Son existence s’explique par l’altitude et la proximité de l’Océan. On y compte moins de cent jours de sécheresse et les précipitations sont généralement comprises entre 500 et 800 mm.
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Les « brejos », véritables oasis du sertao, plus humides, avec de meilleurs sols, près des rivières, ou des fonds de vallées près des reliefs.
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Le littoral, où l’on a de l’eau en abondance, et des sols fertiles… et également de la misère. Pourtant, ces bons sols – à l’état naturel – sont exceptionnels en milieu intertropical, parmi les meilleurs du Brésil, bien adaptés à la culture de la canne à sucre et du cacaoyer.
Il existe donc une certaine variété dans ce vaste domaine, avec des possibilités intéressantes, parfois de bonnes conditions de sols et des climats. Cette région est plus favorisée que le Sahel africain, du point de vue climatique mais aussi du fait de la possibilité de mettre en place des cultures variées.
Si nous avons déjà évoqué la culture de la canne à sucre et celle du cacaoyer sur le littoral du Nord-Est, il n’en reste pas moins que des régions plus arides ont aussi leurs propres cultures. Certes leurs ressources sont limitées mais de qualité.
La végétation du Nord-Est est la caatinga. Ce terme désigne des formations végétales de physionomie assez variée, plus ou moins arbustives et ouvertes selon les cas. Cette formation est caractérisée par la présence d’espèces caducifoliées qui se sont adaptées aux conditions climatiques de cette partie du Nordeste.
Néanmoins, le climat et le relief ne sont pas les seuls coupables de la situation actuelle du Nord-Est. L’héritage colonial tient une part importante dans ces difficultés.
B. Un héritage colonial lourd
La colonisation du sertao brésilien a commencé au XVIIIème et XIXème siècle. Elle visait à couvrir les besoins en viandes des villes côtières qui ne pouvaient s’en procurer du fait de sa spécialisation dans la canne à sucre. Les réserves naturelles de la caatinga ont donc été utilisées pour l’élevage extensif. A partir de la fin du XIXe siècle, avec la guerre de Sécession, la région se spécialise dans la production de coton. Dans ce système de productions, les plateaux couverts de caatinga sont consacrés aux pâturages, les terres bien drainées à la cotoniculture et les terres moins bonnes, à la culture de subsistance (maïs et haricot), les résidus de culture servant à nourrir le bétail.
De vastes domaines furent donnés par la couronne dont les bénéficiaires, les coroneis, avaient tous pouvoirs sur leurs terres.
Cette tradition de pouvoir local fort persiste encore aujourd’hui et rend la société foncière agricole fortement inégalitaire. On a affaire à un véritable féodalisme agraire, en rapport avec une donnée de base : les pauvres souffrent de la sécheresse, les grands propriétaires pas du tout ou presque. Le problème social est fondamental dans cette région du Brésil encore fortement marquée par la ruralité.
Ainsi, on constate que :
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9/10 des paysans ont moins de 50 ha, et possèdent moins de 20% des terres.
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23 % des terres appartiennent à 779 exploitants, possédant chacun plus de 10 000 ha
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45 % des terres correspondent à des exploitations de plus de 500 ha.
L’opposition entre la petite exploitation – microfundia – et la grande – latifundia - a tendance à augmenter. On va vers la constitution de domaines atteignant un million d’hectares (10000 km2, l’équivalent d’un département français). De plus, de nombreux ouvriers agricoles n’ont pas de terres du tout. Le problème des « paysans sans terres » est plus important ici que partout ailleurs au Brésil. D’où des conflits aigus pour la possession des terres.
Les grandes exploitations – les fazendas – sont presque autonomes, et cultivent le coton, possèdent de grands troupeaux de bovins (élevage extensif) avec des mares et abreuvoirs pour les périodes de sécheresse. Elles emploient des ouvriers agricoles ayant de très petites exploitations louées par les grands propriétaires, moyennant redevances (une partie de la récolte). Il s’agit d’un système de métayage. Les « coopératives » sont ici, en réalités, des magasins possédés par les grands propriétaires, à l’intérieur des fazendas.
Ces grands propriétaires reçoivent la plus grande partie des subsides de l’Etat. En théorie, subsides destinés à moderniser les exploitations. C’est rarement le cas, l’argent est employé pour des dépenses de luxe, improductives. Pas d’investissements, ou peu, c’est là un point fondamental. Ces propriétaires reçoivent également l’aide destinée aux « flagelados » frappés par les sêcas (grande sécheresse)– à charge de répartir les aides, ce qui est loin de se produire vraiment.
On observe donc un accroissement de la puissance financière des fazendeiros, leur grande puissance politique dans la région. La concentration foncière se renforce et les terres sont mal utilisées. Suivant l’INCRA (Institut National pour la Colonisation et la Réforme Agraire), près de 40 millions d’hectares sont en friches, et vingt millions consacrés à l’élevage extensif.
Une grande partie des terre est donc stérilisée par le régime de propriété et le clientélisme. De plus, les fazendeiros entretiennent des gardes privés – et armés – pour lutter contre les révoltes paysannes, et les morts sont parfois nombreux. Tout cela correspond à l’absence d’un pouvoir central fort, car les pouvoirs locaux sont contrôlés par les fazendeiros. Même si les pouvoirs locaux des coronei ont été sensiblement atténués ces dernières années, ils demeurent encore importants.
Pourtant de nombreuses terres pourraient être utilisées avec une irrigation rationnelle, une meilleure mise à profit de l’eau.
II. Les difficultés rencontrées par la population du Nordeste
A. Les manifestations de la pauvreté et de la misère pour la majorité
Elles sont caractéristiques d’un monde sous développé à l’échelle brésilienne. La situation ordinaire se caractérise par des pénuries alimentaires, et non par la famine (sauf vers 1877 -1880, ou 200 à 250 000 personnes moururent de faim). Il y a malnutrition plutôt que famine. La situation sanitaire est déplorable pour les pauvres (Sertanejos). On compte peu de personnel médical (1 médecin pour 1400 habitants). Seulement cinq pour cent de la population bénéficie de soins réguliers. La moitié des hôpitaux sont privés et réservés aux riches. La médecine préventive est dans un état déplorable. La natalité et la fécondité demeurent, toutefois, à des niveaux élevés.
1. De grandes endémies frappent la population pauvre :
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La bilharziose frappe 4 millions de personnes, surtout dans le littoral humide, par la suite du manque d’eau potable, et du manque d’hygiène, la même eau servant à tous les usages.
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La leishmaniose : véhiculée par les animaux comme le chien.
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La maladie de Chagas, transmise par les punaises qui affaiblit gravement le malade.
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La malaria, fréquente, et bien d’autres maladies tropicales ou non (Tuberculose).
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L’importance de ces maladies est accrue par les migrations des ruraux vers les villes.
2. L’habitat présente ainsi de graves déficiences :
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Peu d’installations sanitaires.
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Peu de robinets d’eau potable (à peine 30 pour cent des foyers).
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Peu d’électricité (moins de 2 pour cent des ménages dans l’Etat de Pioui). L’électrification concerne surtout les petites villes, mais pas les hameaux ou les villages isolés.
L’habitat rural est très rudimentaire et très difficile à équiper, par suite de la dispersion de cet habitat, d’où des frais élevés. Les habitudes alimentaires ne sont pas bonnes mais pas catastrophiques, car dans le Sertao beaucoup possèdent un lopin de terre, d’où un petit élevage. On ne produit pas ou peu, pour le marché, les prix sont faibles. Le régime est relativement équilibré, avec l’ensemble suivant : mais, manioc, feijao (haricot rouge, mais, plat de base du pauvre brésilien), riz, petit bétail et produit de la chasse (même des lézards). Mais il y a déficience en protéines animales (viande et lait), sauf pour les vaqueiros (gardiens de troupeaux bovins). Peu de légumes et de fruits par suite des habitudes alimentaires. Pourtant fruits et légumes poussent très bien sur le lopin familial.
Un grand problème demeure : les bidonvilles du littoral, peuplés des travailleurs de la canne à sucre, descendants d’esclaves noirs, et sous payés. On peut y trouver les pires conditions de vie (région de Récife) pour des personnes qui vont chercher les crabes dans la boue des vasières, qui ne disposent que de très peu de calories et de vitamines, souffrent de graves carences alimentaires, et ne disposent pas de lopins de terre personnels. On observe à Récife et Salvador, des favelas dans la mangrove et sur pilotis (alagados), particulièrement dangereuses pour la santé (rappelons que Dom Helder Canarra, archevêque de Récife, fut un champion de la lutte contre la pauvreté.)
Un moyen de lutte contre la misère persiste : les « merendas », goûters renforcés pour les enfants des écoles, ce qui permet de lutter contre la malnutrition, et apporte des vitamines et du fer. C’est aussi un puissant facteur de scolarisation.
Les journaux ont fortement exagéré en parlant de « famine à l’africaine » avec 3 millions de morts, dans les années 1978-1983. C’est statistiquement impossible. Et les journalistes ne vont pas dans les villages du Sertao, ils restent en ville. En fait, on observe la migration des plus pauvres vers les villes. Il y a anarchie de distribution de vivres et d’eau, tout le monde veut être servi en même temps, et les derniers servis et mal servis saccagent les entrepôts. La situation est proche de la misère (pour un occidental bien logé et nourri), mais en moyenne, elle est bien meilleure qu’en Afrique Noire. Néanmoins, il est urgent d’agir pour améliorer la situation de cette « région épave » (H.Théry).
B. Le problème de l’eau
Le Nord-Est brésilien est une région qui a constamment été affectée par la sécheresse. Depuis le début de ce siècle, on dénombre vingt-sept années sèches, soit en moyenne une année sur trois à quatre. La notion de sécheresse est complexe. Elle est provoquée par des totaux pluviométriques annuels déficitaires ou par une mauvaise répartition des pluies et, dans les cas les plus critiques, par la conjugaison de ces deux causes. La « saison des pluies » est en fait une « saison durant laquelle il peut pleuvoir ». Elle peut s’étendre sur plus de six mois, alors que la durée totale réelle des épisodes pluvieux ne dépasse pas vingt jours au cours de certaines années déficitaires. A cela, il faut ajouter une grande irrégularité spatiale des précipitations.
Les hauteurs des précipitations annuelles reflètent donc assez mal le phénomène de sécheresse spécifique au Nordeste brésilien. Il peut arriver qu’une année au total pluviométrique satisfaisant soit entrecoupée de périodes sèches de telle sorte que souvent, et malgré plusieurs tentatives de semis, aucun des cycles végétatifs culturaux n’arrive à terme, alors que la végétation naturelle moins exigeante reste verte. C’est la fameuse seca verde ou sécheresse verte.
Dans les zones où les précipitations annuelles sont inférieures à 800 mm, il n’est pas rare que 50 % du total annuel d’un poste pluviométrique tombe au cours d’une semaine et 90 % pendant un seul mois. Une année déficitaire et de mauvaise répartition des pluies, pouvant être qualifiée de sèche du point de vue agricole, peut être bonne pour remplir les réservoirs. Il existe donc différentes approches pour caractériser la gravité d’une période sèche. Le Nord-Est brésilien est couvert par un réseau d’observation pluviométrique relativement dense et déjà ancien, avec trois cents postes et plus de soixante-dix années d’existence.
Les régions généralement les plus éprouvées par les sécheresses sont celles du nord et, en particulier, l’ensemble du Ceará, la limite Piauí-Ceará, le Rio Grande do Norte, la Paraiba et l’intérieur du Pernambouc. Les problèmes du Nordeste sont donc plus liés à l’irrégularité spatiale et temporelle des pluies qu’au total pluviométrique annuel et les solutions de ces différents problèmes passent par la conservation et l’utilisation raisonnée de cette eau.
La faiblesse des écoulements peut être appréhendée par les observations suivantes : les rivières sont toujours intermittentes et il ne s’y écoule que 2 à 15 % du volume des précipitations, le reste étant repris par l’évaporation. Ces écoulements surviennent en quelques jours. Le Rio Jaguaribe, situé dans l’Etat du Ceará est, avec un bassin versant de 90 000 km2, le plus grand fleuve intermittent du monde. Lors des années sèches, les écoulements sont encore plus concentrés. Ainsi, en l976, 94% du volume annuel s’est écoulé en cinq jours seulement.
Les crises périodiques dues aux sécheresses, les « Secas », ont ravagé à plusieurs reprises la région semi aride du Sertao dans le Nord-Est brésilien. Malgré plus d’un siècle de politiques d’irrigation mises en œuvre par l’Etat, elles n’ont toujours pas disparu. La gestion de l’eau dans le Nord-Est semi-aride, comme celui de l’élevage, montre que l’amélioration des systèmes techniques de production est complexe. Elle ne dépend pas seulement des solutions techniques de production, mais aussi d’innovations économiques, sociales et organisationnelles. Elle s’appuie sur des processus d’apprentissage individuel et collectif et sur un ensemble de mécanismes d’information, d’expérimentation et de décision. Essentiellement mise en œuvre par l’action individuel des producteurs à l’échelle de l’exploitation, l’innovation technique met en jeu d’autres niveaux d’organisation, ceux de l’action collective., de l’action publique,et ceux des acteurs privés. On ne peut donc mettre en œuvre l’amélioration des systèmes techniques de production par une simple amélioration technique. La gestion de l’eau constituant un enjeu de pouvoir majeur dans le Sertao, les changement techniques remettent en cause des ordres et des équilibres sociaux, d’une manière exacerbée.
En abordant le développement local par des nouveautés techniques on se heurte à des limites. On prend conscience des relations entre facteurs techniques et sociaux. De nouveaux thèmes comme l’organisation locale, le rôle du marché, les politiques publiques, ont été abordés. De nouvelles disciplines ont été mobilisées pour comprendre les faits et les changements techniques, de la géographie humaine à la sociologie des organisations en passant par l’économie des institutions, des contrats et des conventions. A l’échelle régionale, l’impact sociaux économique et médiatique des sécheresses et la vague de modernisation agricole ont incités les pouvoirs publiques à intervenir dans le domaine de l’irrigation. Mais ces opérations ne sont parvenues ni à remettre en cause la situation de dépendance des petits paysans, ni à valoriser de façon efficace les ressources disponibles. Sur le plan local, les interventions externes sont encore limités ou associés aux mesures d’urgences. Or, la gestion de l’eau dépend d’abord de la relation, entre la demande et l’offre d’eau. Diverses pratiques et stratégies d’utilisation de l’eau. C’est à ce niveau local qu’ont été validées quelques améliorations des systèmes de gestion de l’eau, individuelles et collectives qui tiennent compte de la pluralité de leur usage.
Le Sertao brésilien donne l’image d’une région à problème. Le premier accident climatique de taille catastrophique intervient dans les années 1877-1879.Il tua plus de 120000 personnes et presque tout le bétail.
La différence bioclimatique est très importante du littoral vers l’intérieur, trois milieux se succèdent, « collés » aux précipitations en décroissance rapide :
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La Mata (2400mm de pluie par an).
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L’Agreste (1000>600mm de pluie par an).
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Le Sertao (moins de 600 mm de pluie par an).
La semi-aridité de cet espace se lit moins dans le total annuel des précipitations que dans leur inégale distribution : on note 1200 mm de pluie en 1899 et 146 mm en 1900. Un facteur aggravant est l’inadaptation des épisodes pluvieux par rapport au calendrier agricole, c’est le problème majeur des sécheresses, les « Secas ».
C. Les enjeux politiques et économiques de ces sècheresses, l’occasion d’un affrontement social.
Une sécheresse se traduit par une crise économique intense, prenons l’exemple de celle de 1998-99, les productions de haricots, de riz, de mais baissent respectivement de 76 pour cent, 44 pour cent, 77 pour cent. De plus, elle est sélective socialement, elle affecte beaucoup plus durement les pauvres que les riches. Elle est aussi différemment ressentie suivant l’activité économique principale et donc les structures foncières.
Les latifundistes vivant d’un élevage bovin extensif dans la « caatinga » sont moins affectés que les minifundistes propriétaires directs ou métayers, pauvres en terre, survivant de modestes productions vivrières ou commerciales, d’abord végétales. Une « seca » entraîne très vite une « famine » associé à une surmortalité, d’où une situation sociale explosive et des désordres publics. La crise est instrumentalisée par les groupes sociaux dominants et une véritable « industrie de la sécheresse » se met en place.
En effet, dés la fin du XIXeme siècle, les aides fédérales sont confisquées par les potentats locaux. L’Etat finance la construction de barrages (plus de 600 dans le Sertao) et donne du travail aux paysans. Les travaux sont réalisés sur les terres des latifundistes et permettent quelques travaux d’irrigation. Après cette phase interventionniste, la structure sociale inégalitaire reprend et les latifundistes confisquent l’eau des petits barrages (les « açudes ») pour leurs bêtes.
Dès 1919, la loi Pesoa tente de réparer ces injustices (menaces théoriques d’expropriation) mais elle n’a jamais été appliquée du fait d’une « connivence classique et tacite » entre l’Etat fédéral et les grands propriétaires qui assurent la paix sociale.
Au total, cette « industrie de la sécheresse » voyait et voit toujours intervenir trois acteurs :
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L’Etat, qui finance les projets.
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Les sinistrés, qui construisent les aménagements et n’en profitent pas.
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Les latifundistes, qui organisent la pénurie et profitent de la situation.
Le tracé du « polygone des sécheresses » n’a cessé de s’agrandir depuis sa création par l’Etat fédéral en 1936. Il couvre aujourd’hui plus de 900 000 km carré ou les périmètres irrigués prennent de l’ampleur : 112 000 ha en 1987, plus de 450 000 ha en 1997. Une véritable politique hydraulique associée à une réforme agraire serait à définir alors que les latifundistes se tournent désormais vers l’irrigation et les fruits de contre saison. (Melon, raisin…)
Ils font travailler des ouvriers agricoles et d’anciens minifundistes qui ont tout perdu : ce sont les « boias-frias » (gamelles froides : ils emportent avec eux un casse croûte à manger sur leur lieu de travail) qui sont embauchés au jour le jour.
La loi sur l’eau de 1997 organise le pays en agence de bassin, c’est la reconnaissance de la valeur économique de l’eau : les choses bougent mais des centaines de réservoirs sont encore gérés de manière laxiste : on est encore loin du modèle des américains du Nord.
Le problème de l’eau a toujours constitué un des aspects fondamentaux de l’histoire du Nord-Est, plus particulièrement de la zone intérieure semi-aride le Sertao. Malgré des efforts d’investissements menés par le Gouvernement Fédéral, la maîtrise de l’eau y est encore précaire.
L’irrigation, en particulier, n’a connu un développement conséquent que depuis une quinzaine d’années. L’histoire du Nord-Est permet d’éclairer ce problème entre le caractère vital de l’eau et la non apparition d’une « société hydraulique » et met en avant de nombreux facteurs qui favorisent ou empêchent une meilleure maîtrise sociale et technique de l’eau en particulier pour l’agriculture.
III. Les politiques de développement du Nordeste
Il se dégage plusieurs phases dans la politique de développement du Nordeste. Ces différentes évolutions correspondent d’ailleurs aux dates des grandes sécheresses qui ont affecté la région. La politique de développement du Nordeste naît en effet au lendemain de la sêca de 1958 et subit d’importantes mutation après la sécheresse de 1970. Les dernières difficultés nous amènent à leur tour à nous interroger sur la situation du Nordeste aujourd’hui.
A. Les premières tentatives des années 1960
Après la grande sécheresse, la SUDENE (Super Intendance de Développement du Nord-Est) est créée. La politique de développement inaugurée avec la SUDENE repose sur des actions directes et indirectes.
Les actions directes sont organisées par des plans directeurs biennaux, fondus à partir de1972 dans la planification nationale. Le premier (1961-1963) consacre les trois quarts des crédits aux infrastructures (routes, énergie) et 20 % à l’action sociale (santé, éducation, logement). Les trois plans suivants, une fois les infrastructures construites concentrent plus leurs actions dans le développement sectoriel. De plus, à partir du troisième plan, les Etats du Nord-Est, les municipios, le secteur privé et les organisations internationales participent aux financement des plans aux côtés de l’Etat fédéral. Le financement constitue en effet le grand point faible de l’action de la Sudene dans la mesure où elle ne gère en propre qu’une partie des ressources allouées et parce que son budget annuel s’avère bien souvent inférieur à celui prévu par les plans.
L’action indirecte apparaît donc comme le principal moyen d’action de la Sudene. Si l’action directe a pour but de créer des bases économiques solides et indispensables au développement, l’action indirecte est une politique visant à encourager les investissements dans le Nord-Est. Pour cela, les politiques menées visaient à réduire la part de l’investissement à la charge de l’entrepreneur afin d’en améliorer la rentabilité. Le système dit « 34/18 » ainsi mis en place consiste à permettre d’utiliser jusqu’à 50% des sommes dues au titre de l’impôt sur le revenu de toute personne juridique. Dans la même perspective, il est aussi possible de consacrer 75 % de sa contribution fiscale au Fidene, un fonds d’investissement géré par la Sudene, qu’elle utilise pour financer les industries de base. Ce système s’étend également par la suite aux entreprises étrangères et aux investissements non industriels. La part des stimulants fiscaux dans l’investissement est décidée par la Sudene et peut varier de 30 à 70 %. La Sudene peut donc choisir et encourager les projets qu’elle juge les plus porteurs, c’est-à-dire ceux les plus susceptibles de participer au décollage économique régional. La banque du Nord-Est peut quant à elle financer jusqu’à 50% de certains projets, aide à laquelle s’ajoute encore les avantages consentis par l’Etat et les municipios. Dans un tel contexte, il devient donc désormais possible d’investir pour un coût très modeste dans le Nordeste.
Le secteur industriel a ainsi connu un fort développement suite aux incitations à l’investissement de la Sudene. Cet essor de l’industrie s’accompagne cependant de l’apparition d’un dualisme marqué entre les nouvelles industries et les anciennes dont la crise n’est qu’aggravée par l’arrivée de structures de productions plus modernes et plus performantes. Les industries les plus modernes sont également les plus automatisées et le facteur capital étant rendu peu coûteux grâce aux mesures de la Sudene, les entrepreneurs tendent à favoriser ce facteur de production au détriment de l’emploi de main d’œuvre. Le développement industriel au lieu de créer de plus en plus d emplois en crée donc de moins en moins. L’industrie moderne est de plus à la fois plus concentrée et plus dépendante que l’ancienne. Elle se concentre pour l’essentiel dans les grandes villes et dans leurs nouveaux parcs industriels tels Salvador et Recif. Les principaux investisseurs sont des firmes du Sud, souvent elles-mêmes filiales de firmes étrangères. Le bilan industriel se révèle donc assez décevant, même si les infrastructures ont quant à elles beaucoup progressé.
L’une des principales lacunes de la Sudene est peut-être de s’être focalisée sur le développement industriel en négligeant le secteur agricole qui constitue pourtant une clef essentielle du développement du Nord-Est.
B. Les années 1970-1990
Suite à une nouvelle crise agricole dans le Nord-Est, due à la sécheresse de 1970, l’Etat fédéral tente à nouveau de relancer les politiques de développement du Nord-Est. Le problème est cette fois envisagé dans une logique nationale.
Le président Medici lance le 6 juin 1970 le projet d’intégration nationale (PIN). L’élément central du PIN est la route transamazonienne, c’est-à-dire l’émigration vers l’Amazonie, perçu comme la seule solution face aux problèmes climatiques et fonciers pesants sur le développement du Nordeste. Mais le PIN va finalement s’avérer que très peu profitable au Nordeste. La Sudene est en effet, dés lors, amputée d’une partie de ses financements au profit du PIN. L’extension du mécanisme des stimulants fiscaux à l’Amazonie contribue quant à elle à diminuer d’autant les fonds disponibles ,ainsi que le lancement du programme Proterra (1971),destiné à relancer l’ économie rurale dans le Nordeste et le Nord, ou le programme Provale(1972) dans la vallée de Sao Francisco.
A la même époque, les responsables politiques, influencés par la théorie des « pôles de développement », décident de revoir l’orientation de la politique de développement en concentrant l’investissement sur les « pôles dynamiques ». Dans le domaine industriel, la priorité est désormais donnée au « pôle pétrochimique » de Camaçari, près de Salvador,et aux projets de zone industrialo-ortuaire de Suape, de complexe sidérurgique d’Itaqui. En ce qui concerne l’agriculture ,les efforts sont portés sur le développement des vallées de montagnes humides, l’aide à l’agriculture sèche et sur la colonisation des plateaux côtiers. Le plan Polonordeste, mis en place en 1974 visait à rationaliser les choix budgétaires et géographiques. Les fondements et les choix régionaux de ce plan restent cependant sujets à caution. Surtout, il ne constitue finalement que l’un des nombreux aspects d’ une action multiforme ,diffuse et pas toujours coordonnée.
On assiste ainsi à une prolifération de plans, projets et organismes, à compétences sectorielles et géographiques enchevêtrées et sans réel axe central.
Après trente ans de politiques de développement, un siècle d’intervention publique le Nordeste reste le plus grave problème du Brésil. Il a connu une certaine industrialisation, une certaine croissance, une modernisation mais pas un développement autonome.
C. La question du développement du Nordeste aujourd’hui
1. Enjeux du développement social au Brésil.
Le Brésil avec ses 178 millions d’habitants fait partie de ces « pays émergents » qui pourraient se sortir du sous-développement dans les prochaines décennies. Les indicateurs macro-économiques sont en effet assez positifs : les exportations sont en croissance, l’inflation est maîtrisée, le niveau d’endettement est sous contrôle, il y a une modeste mais réelle création d’emplois. De bien des manières, le Brésil est « l’élève modèle » du développement économique tel qu’il est pensé par les grandes agences internationales. Sur le plan politique, le Brésil est une démocratie stable issue d’une longue lutte contre la dictature (qui s’est terminée en 1989). En 2002, la population a élu à la présidence de la république un candidat issu de la société civile (mouvement syndical), Luis Ignacio da Silva, mieux connu tout simplement comme Lula, qui bénéficie d’une grande légitimité au sein de la population.
Mais les problèmes sociaux du Brésil restent préoccupants, car ce pays est celui où la répartition de la richesse est la plus inégalitaire dans le monde. Près de 45 millions d’habitants affamés qui ont moins d’un dollar par jour pour survivre, principalement dans l’immense région au nord du Brésil, le Nordeste. Ce sont des exclus du modèle actuel de développement et ils constituent la majorité des « pauvres absolus » qui se trouvent en Amérique du Sud. Parallèlement, plusieurs dizaines de millions de Brésiliens se retrouvent en dessous du seuil de la pauvreté. Les conséquences sont assez visibles pour quiconque visite le Brésil : famine et sous-alimentation, déficit au niveau de l’éducation et la santé, non accès à l’habitat en dur, violence et délinquance, etc.
Devant tout cela, les défis sont immenses, mais les Brésiliens ne se laissent pas abattre. Le pays est actuellement plein d’espoirs et d’initiatives, d’autant plus qu’il se produit actuellement une grande synergie entre le gouvernement brésilien et la société civile brésilienne, essentiellement les organisations communautaires qui travaillent à la lutte contre la pauvreté et pour le développement durable. De multiples projets pour sortir les pauvres de l’exclusion sont élaborés à l’échelle nationale, provinciale (les « États » au Brésil) et municipales, prenant plusieurs formes : micro entreprises, réforme agraire, aide aux plus démunis et surtout, organisation des communautés pour qu’elles se prennent en charge. La lutte contre la pauvreté est la grande priorité du gouvernement brésilien dont la mise en place en 2002 s’est faite en promettant d’éliminer la faim (foame zero), un problème terrible qui affecte plus de 50 millions de Brésiliens, surtout dans les zones rurales et surtout dans le Nordeste.
2. Le Nordeste dans le débat actuel sur le développement régional.
Le thème du développement régional est revenu avec intensité, si ce n’est encore comme un thème de grande répercussion sur la vie politique brésilienne, au moins dans les débats académiques. Les indicateurs sociaux et économiques, surtout l’indice de développement humain (I.D.H), révèlent de grandes disparités très accentuées entre les régions les plus développées du Brésil et les plus pauvres, comme le Nord-Est. Ce sont les Etats du Nord-Est et du Nord qui présentent les plus mauvaises positions de cet indicateur. Même Sergipe, l’Etat du Nord-Est dont l’I.D.H est le plus élevé, ne se trouve qu’à la 18ème position des états brésiliens.
Ces dernières années, les visions sur le développement régional au Brésil ont essayé de prendre en compte trois types de transformations de l’économie mondiale qui s’entrelacent entre eux.
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Un premier à propos des changements technologiques et de leurs effets sur l’organisation de la production.
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Le deuxième se réfère à l’ouverture commerciale et à la déréglementation des flux financiers internationaux.
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Et le troisième, en relation avec les deux premiers, traite de la fragilisation de l’Etat National et de sa croissante incapacité à adopter des politiques actives de développement, qui seraient en train de passer de plus en plus sous la responsabilité des gouvernements locaux ou des états.
A partir de ces transformations deux visions se sont formées sur le développement régional brésilien de ces derniers temps et peuvent concerner particulièrement le cas du Nord-Est.
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Une première vision met en évidence la crise d’un projet national de développement et vise le risque de fragmentation économique du territoire.
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Une seconde met en évidence le caractère local du développement économique.
Pour la première vision, dans une perspective plus critique, disons-le ainsi, des effets de la globalisation sur le développement régional brésilien, les récentes transformations économiques, technologiques et d’organisation tendraient à avoir un résultat sur l’approfondissement des inégalités entre les régions. Dans cette perspective, ces régions qui présentent des conditions plus adéquates, en terme de capacité en recours humains, agglomération d’entreprises en segments de contenus technologiques et d’infrastructure économique élevés, présenteraient des avantages sur les zones les plus retardées, attirant les investissements les plus importants. Cette tendance serait aggravée par le fait que, avec la globalisation, l’Etat National, plus fragilisé, n’arriverait pas à acheminer un projet de développement d’une portée nationale, prenant en considération toutes les régions. Dans un contexte d’ouverture commerciale et financière, seules les régions qui présentent les plus grands avantages compétitifs s’intégreraient à l’économie mondiale et affaibliraient leurs liens économiques avec les autres régions nationales, augmentant l’hétérogénéité économique et sociale du territoire brésilien. Continuer sur cette trajectoire de rupture de long processus d’articulation entre les régions brésiliennes, à la limite, pourrait conduire à la fragmentation économique du pays. Ainsi seulement avec la reprise d’un projet de développement industriel, avec des réformes sociales, il serait possible de penser à une croissance soutenue et intégrée à toute l’extension du territoire brésilien. Avec ceci, l’hétérogénéité économique et sociale du pays se serait aggravée, en un processus de fragmentation du territoire. Des régions pauvres comme le Nord et le Nordeste ne pourraient compter qu’à peine sur des taches ou des pôles de développement au milieu de grandes zones stagnantes.
A côté de l’aggravation des disparités interrégionales se serait accentuée l’hétérogénéité économique intra-régionale. Dans le cas du Nord-Est, la région où le revenu par habitant est le plus bas et où se concentre une parcelle significative de la pauvreté dans le pays, ont surgit tout au long de ce processus de soudage avec l’économie nationale, divers sous-espaces dotés de structures économiques modernes et dynamiques. De telles structures équivaudraient à ce qui s’appelle dans la littérature des “fronts d’expansion” ou “pôles dynamiques” et même “enclaves”. D’autres auteurs se sont révélés plus optimistes sur les perspectives ouvertes par les transformations dans l’économie mondiale, relatives aux changements technologiques, à l’ouverture commerciale et à la liquidité financière, jusqu’il y a peu inexistante dans l’économie mondiale. Dans cette vision, les changements technologiques et d’organisation, alliés à l’ouverture des économies nationales, seraient favorables à des stratégies locales de développement, à partir de politiques adoptées par les gouvernements des états et des municipalités.
Aujourd’hui, en dehors d’îlots prospères comme les périmètres irrigués, de certaines régions bien dotées et bien délimitées, de certains quartiers riches dans les grandes villes, le Nordeste reste très pauvre.
IV. Les problèmes agraires dans le Nordeste brésilien.
De manière générale, l’Amérique latine connaît depuis les années 1960 une crise agricole sans remèdes qui alimente un exode rural continu vers la ville. Les campagnes d’Amérique latine sont en pleine mutation, une mutation plus ou moins avancée selon les pays. Tous ont vu ou voient actuellement se substituer au système traditionnel, issu de la colonisation espagnole et portugaise, un système plus complexe où s’opposent également deux systèmes très différents.
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D’une part une agriculture modernisée et bien insérée dans le complexe agro-industriel se taille une place croissante, principalement dans les grands pays, dans les espaces occupés, et les productions destinées aux marchés intérieurs et à l’exportation.
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D’autre part des espaces occupés par les paysanneries traditionnelles, souvent menacées, ou tentées d’émigrer ailleurs, vers les fronts pionniers, ces zones de conquête de nouvelles terres agricoles qui continuent de progresser dans certains pays.
Le monde agraire au Brésil n’est pas une exception. Toutefois, cette mutation agricole s’effectue avec difficulté. De plus, la propriété de la terre au Brésil a toujours soulevé des problèmes et engendré de nombreux conflits au fil de l’histoire du pays. On parle souvent de la gravité du problème agraire puisque la propriété de la terre est très inégalitaire dans ce pays. L’arrivée au pouvoir des militaires en 1964 n’arrangea pas une situation déjà explosive et depuis le retour de la démocratie en 1985, la situation a peu évolué, si ce n’est par la mise en place d’un vaste programme de distribution de terres qui ne peut faire figure d’une véritable réforme agraire. D’autant plus, qu’il s’agit souvent, plus d’expropriation que de distribution de terres.
A. Les structures agraires et leurs conséquences
1. Des structures agraires inégales
Le monde agraire brésilien est marqué par l’opposition croissante de deux territoires.
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Le premier est celui de l’agrobusiness, marqué par la grande propriété, l’exploitation du travail, les atteintes à l’environnement, la mécanisation intense, la production à grande échelle et la concentration du pouvoir économique et politique.
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Le second, celui de l’agriculture familiale et de la paysannerie du Nord-Est qui se caractérise par une lutte incessante pour la terre, la prédominance de la petite propriété, des relations non capitalistes de production, moins d’effets sur l’environnement, des occupations de terres et des assentamentos (zones créées par le gouvernement pour installer des familles sans terres. Ils sont constitués par un ensemble d’unités familiales de production, où se développent activités agricoles et élevage). Face aux forces conquérantes de l’agrobusiness, les mouvements paysans luttent pour la terre. Il s’agit de lutter en particulier contre le processus d’expropriation impulsé par l’agro-industrie. La paysannerie utilise principalement l’arme de l’occupation de terres, dans une perspective de réforme agraire et de justice sociale. Les petites propriétés sont concentrées en majorité dans le Nordeste brésilien.
2. L’agriculture du Nordeste, une agriculture peu rentable pour le pays :
L’agriculture paysanne et familiale du Nordeste qui occupe l’immense majorité de sa population rurale est généralement considérée comme peu productive et inadaptée au contexte actuel de libéralisation économique. Elle est souvent jugée peu réceptive à l’innovation, en un mot rétrograde. Pour la plupart des agents de développement et responsables politiques, il faut l’organiser, l’intégrer au marché, en diffusant des technologies modernes, voie privilégiée d’un développement qui sera sélectif. Sous sa forme actuelle, l’agriculture serait vouée à disparaître.
B. Les tensions et les conflits fonciers : une seule solution : la réforme agraire
Dans le Nord-Est demeure un grave conflit agraire, où émergent des mouvements paysans. Les tensions sociales dans cette région du Brésil sont une donnée permanente. Les paysans dépossédés et exploités, quand ils ne sont pas étroitement contrôlés, s’efforcent de reprendre ou d’occuper des terres vides ou sous-exploitées. Les invasions des grands domaines et leur occupation collective ou individuelle forme la trame du drame rural du Nord-Est. Peu à peu se sont formés des mouvements paysans et ainsi la prise de conscience d’une injustice séculaire s’est transformée en organisation. La passivité traditionnelle cède alors la place à l’explosion ou à la revendication révolutionnaire et pas seulement dans le Nordeste. Un tel contexte a favorisé de nombreux actes de violence. Au Brésil, ces vingt dernières années, les 8 082 conflits violents pour la terre enregistrés par la Commission pastorale de la terre (CPT) liée à l’Église catholique, sont à l’origine de 379 assassinats (de leaders paysans, de prêtres, de religieuses, d’avocats), perpétrés par des tueurs engagés par les grands propriétaires fonciers, comme ce fut le cas de la religieuse nord-américaine Dorothy Stang dans la région amazonienne.
Des mouvements paysans comme la Confédération nationale des travailleurs de l’agriculture (15 millions de membres) et surtout le MST, s’efforcent d’obtenir des changements. Le MST, est créé en 1984, comme réponse à la quête séculaire de terres par les paysans qui n’en possèdent aucune. Tout en suivant une voie non violente, ce mouvement est devenu en quelques années un instrument de transformation révolutionnaire de la société brésilienne. Il regroupe maintenant plus de cinq millions de paysans sans-terre dans 23 des 26 États du pays. La tactique du MST fait parler : des paysans s’emparent des terres des grands propriétaires, souvent incultivées, installent des « campements » et se mettent à produire en coopératives. La question agraire est ainsi posée. La reforme agraire devient alors inévitable.
Il est certain que l’intervention de l’État visant à corriger les défauts de la structure agraire n’est pas un fait récent en Amérique latine. Dès l’époque coloniale, la métropole, les vice-rois et les gouverneurs généraux ont essayé de trouver une solution au désordre des titres légaux régulant l’accès à la terre et aux conflits sanglants provoqués par la forme de propriété datant de l’époque de la « conquête » et de l’implantation de l’économie mercantiliste dans les campagnes latino-américaines.
C. Le gouvernement Lula et la question agraire
Depuis l’inauguration de Lula, à la présidence en Janvier 2003, le plus grand pays d’Amérique du Sud vibre à l’heure du changement. Les gouvernements précédents ont souvent traité la réforme agraire comme un conflit social ; politique qui a souvent exercée de nombreuses répressions à l’encontre des « paysans sans-terre ». C’est pourquoi l’arrivée d’un enfant pauvre du Nordeste au pouvoir a soulevé de nombreux espoirs.
Le MST et les mouvements sociaux ruraux se sont unis autour d’un projet de réforme agraire, qui s’appelle la Charte de la Terre, approuvée par tous les mouvements en avril 2003. Selon eux, la réforme agraire doit être dépendante, collée à un projet national de développement, tourné vers l’industrie nationale, le marché interne, et surtout, la création d’emplois et la distribution du revenu. La réforme agraire n’implique pas seulement la distribution de terres. Il faut allier les assentamentos à une agro-industrie en coopératives. Autrement dit, chaque assentamento devrait avoir une coopérative d’agro-industrie, qui produise des aliments pour le marché interne avec une aide du BNDES (Banque Nationale de Développement Economique et Social, qui a pour objectif de promouvoir le développement des micro, petites et moyennes entreprises), du gouvernement. Il faut démocratiser l’éducation, amener l’éducation jusqu’à la campagne, et non pas amener les enfants et les adolescents à la ville. Et enfin, une réforme agraire liée aux techniques agricoles qui respectent l’environnement, et puissent augmenter la productivité tout en produisant des aliments de qualité. Voici les attentes du MST et des mouvements sociaux ruraux.
Dans un premier temps, le gouvernement n’a pas répondu aux attentes en ce qui concerne la réforme agraire. Le nombre de paysans ayant obtenu de la terre en deux ans de gouvernement Lula est vraiment trop faible. L’explication tient au fait que le gouvernement a besoin de la plus-value gigantesque de l’agrobusiness pour équilibrer les comptes du pays. La politique agricole est donc tournée vers les exportations.
Toutefois, la création d’un plan national de réforme agraire qui se proposait de donner des terres à 400.000 familles paysannes d’ici fin 2006, fut présenté par le gouvernement Lula le 21 novembre 2003. L’objectif de ce plan de réforme agraire était d’atteindre 30 000 remises de terres à autant de familles paysannes en 2003, 115 000 en 2004, et 140 000 en 2006. En outre, 17 500 crédits fonciers permettant d’acheter des terres seraient octroyés fin 2003, puis 37 000 par an jusqu’en 2007. Ce plan prévoyait également des mesures permettant de viabiliser économiquement ces terres (assistance technique, crédits..). Un important effort budgétaire était consenti pour réaliser ces objectifs. Mais certains experts estimaient qu’il serait difficile de respecter les objectifs et les délais du plan. Par ailleurs, il aura fallu lever les fortes réticences du lobby des propriétaires terriens au sein du Congrès, qui avait clairement affiché sont intention de mettre un frein à la réforme et était partisan d’une politique de colonisation, avec la mise en place des assentamentos.
Voici le Plan national de Réforme Agraire :
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Les mesures du nouveau PNRA (Novembre 2003) :
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1. Installation de 400.000 nouvelles familles paysannes
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2. Régularisation de la propriété de 500.000 familles de posseiros.
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3. Bénéfice du Crédit Foncier pour 130.000 familles.
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4. Amélioration de la capacité productive et de la viabilité économique des assentamentos actuels.
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5. Création de 2,075 millions de postes permanents de travail dans le secteur réformé.
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6. Relevé géoréférencé du territoire national et régularisation de 2,2 millions de propriétés immobilières rurales.
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7. Reconnaissance, délimitation et titularisation des zones de communautés de Quilombos.
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8. Garantie de réinstallation des occupants non-indiens des zones indigènes.
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9. Promotion de l’égalité des sexes dans la réforme agraire, par le soutien aux projets productifs développés par des femmes.
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10. Garantie d’assistance technique et d’extension rurale, de labellisation, de crédit et de politiques de commercialisation à toutes les familles des zones réformées.
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11. Universalisation du droit à l’éducation, à la culture et à la sécurité sociale dans les zones réformées.
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Source: Noticias Agrarias, NEAD, 21 novembre 2003.
Les chiffres de la réforme agraire (1995-2007)
Bilan et objectifs de la réforme agraire
Nombre de familles installées sous le gouvernement F.R. Cardoso et objectifs du gouvernement Lula
Gouvernement F.H.Cardoso | moyenne annuelle : 65.548 |
1995 | 30.716 |
1996 | 41.717 |
1997 | 66.837 |
1998 | 98.740 |
1999 | 99.201 |
2000 | 69.929 |
2001 | 73.754 |
2002 | 43.486 |
Gouvernement Lula | Moyenne annuelle : 110.000 |
2003 | 30.000* |
Année | Prévisions |
2004 | 115.000 |
2005 | 115.000 |
2006 | 140.000 |
2007 | 150.000 |
(*) La prévision initiale était d’installer 60.000 familles. En octobre, 21.693 familles seulement l’avaient été.
La réforme agraire reste aujourd’hui bloquée pour trois raisons basiques.
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L’Etat Brésilien conserve sa nature de ne garantir que les privilèges des riches et des banques.
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Deuxièmement : l’agrobusiness des grands propriétaires terriens s’est uni aux puissantes transnationales de l’agriculture, telles que Monsanto, Cargill, Bunge, et conjointement avec le Ministre Roberto Rodrigues, ils ont fait une campagne directe contre la réforme agraire.
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La troisième raison c’est que la politique économique, qui priorise l’excédent primaire, les taux d’intérêts et les exportations, est incompatible avec la réforme agraire, qui représente la création d’emplois, la production d’aliments et un marché interne.
Il est donc difficile, dans ces conditions, de faire une réforme agraire, qui dépend d’un projet de développement national, tant qu’il y aura une politique économique néolibérale. Il faut savoir si le gouvernement veut faire de la réforme agraire un programme prioritaire.
Le problème, celui du MST et des secteurs qui impulsent la réforme agraire, est d’organiser le peuple pour faire pression et parvenir à donner des terres au plus grand nombre de travailleurs, afin qu’ils puissent produire et sortir de la pauvreté le plus rapidement possible. Le gouvernement de Lula afin de mettre en place un telle réforme agraire doit avant tout faire face au problème budgétaire rencontré par le pays et pour cela devrait redéfinir ses priorités en arrêtant de mettre au premier plan le paiement des intérêts aux banques. La priorité doit être au contraire accordée à l’utilisation de l’argent public afin de résoudre les problèmes sociaux. Si ce n’est pas le cas, le peuple commencera à se mobiliser et à revendiquer. Mais si le gouvernement entame un processus de réforme agraire massif et rapide, les travailleurs l’appuieront et se mobiliseront pour garantir que ce projet arrive à bon port. Le gouvernement de Lula fait face à une situation historique dans un pays qui a déjà perdu plusieurs occasions de démocratiser l’accès à la propriété de la terre, notamment a l’époque coloniale ou plus tard, lorsque s’est imposé le modèle d’industrialisation dépendant (1930-1980).
Le Brésil dispose de grandes possibilités pour mettre en œuvre cette réforme, mais celles-ci ne sont pas exploitées. En effet, celui-ci possède approximativement 350 millions d’hectares potentiellement cultivables, et es zones effectivement cultivées sont de l’ordre de 50 millions d’hectares, soit 15 % du potentiel agricole. De plus, des principaux produits agricoles, seuls trois ont progressé dans les domaines de l’extension cultivée et de la production : le sucre, le soja et le maïs. Tous les autres ont diminué. Les indices d’alimentation au Brésil sont parmi les plus bas du monde : 44 millions des 177 millions d’habitants ont faim et souffrent de déficiences nutritives, 60 autres millions s’alimentent au-dessous de leurs nécessités. On estime à 23 millions le nombre de petits paysans ou de sans-terre, contre 400 000 propriétaires. Quelques multinationales contrôlent l’agrobusiness et veulent s’approprier le commerce des semences au travers des transgéniques. Parallèlement, on commence à prendre conscience, dans plusieurs pays, de la nécessité d’étendre le domaine de la lutte pour la terre et de la transformer en une lutte pour la transformation non seulement du modèle agricole mais également du propre modèle économique des pays du continent. Un point tout de même reste positif, les revendications du XXIe siècle demeurent pacifiques contrairement à celles du XXe siècle.
Conclusion
La région du Nord-Est se caractérise par de grosses poches de pauvreté aggravées par les sécheresses périodiques. Le contrôle de la terre et de l’eau par une minorité de latifundiaires et de grands industriels est la cause principale de la pauvreté nordestine. Dans la région coexistent côte à côte, des structures traditionnelles et des industries modernes et agro-industries qui deviennent des pôles de dynamisme économique. La concentration des revenus aggrave le cadre d’isolement et de pauvreté de la majorité de la population. Au moment de sa création, en 1960, la Super intendance du Développement du Nordeste (SUDENE), la population du Nordeste comprenait environ 22 millions d’habitants, alors qu’aujourd’hui elle est de 47 millions, dont la majorité (2/3) vit dans les zones urbaines. La croissance incontrôlée des villes, dès le début de la dictature militaire en 1964, est une conséquence de la déstructuration agraire et de l’aggravation de la concentration des richesses. Malgré les changements survenus dans le Nordeste au cours des 40 dernières années, la situation sociale de la région est encore très mauvaise. Selon l’IDH de l’ONU, les neuf états nordestins présentent des résultats inférieurs à la moyenne brésilienne. Parmi les dix plus petits IDH du Brésil, 8 se situent dans le Nordeste. Les plus hauts taux de mortalité infantile et la plus courte espérance de vie elles aussi se rencontrent dans le Nordeste. Quant à la pauvreté, le cadre est effrayant : dans la région Nord, les pauvres constituent 43 % de la population totale ; au Nordeste, 46 % ; dans le Sudeste, 23 % ; dans le Sud, 20 %, dans le Centre-Ouest, 25 %.
Le Nordeste a connu une brève expansion économique fondée sur le sucre. Ses plantations étaient la principale source de revenu. Le déclin du Nordeste s’est fait sentir dès le début du XVIIIe siècle, et s’est poursuivi jusqu’à l’époque moderne. Aujourd’hui, le Nordeste est synonyme de pauvreté et de famine, semblable en cela aux nations les plus pauvres d’Afrique.
Les problèmes du Nordeste ont tous la même origine : une terre incapable de nourrir ses habitants. Hormis la longue bande de terre fertile qui borde la côte de Bahia à Rio Grande do Norte, la région est une vaste steppe semi-aride, peuplée d’arbres rabougris et de cactées. La vallée du fleuve São Francisco est l’une des rares zones fertiles de tout le Nordeste. Le littoral fertile abrite de nombreuses villes, dont Recife et Fortaleza, les deux centres urbains les plus importants de la région.
De plus, à l’inverse de la majeure partie des autres Etats de l’Amérique du Sud, le Brésil n’a pas vécu, jusqu’à aujourd’hui, une réelle réforme agraire. La concentration de la terre y est actuellement la plus élevée du monde : 2 % de la population possède 50 % de la terre à l’échelon national. Les conflits liés à l’occupation des terres ont fortement augmenté au cours de ces dernières années (1517 morts entre 1988 et 2000) et le Mouvement des paysans Sans Terre (MST) a joué un rôle extrêmement important en ce qui concerne la redistribution progressive des terres aux paysans. Ce problème d’accès à la terre se pose avec encore plus d’acuité dans la région Nordeste du pays, où l’agriculture concerne 40 % de la population active (contre 24,2 % pour l’ensemble du Brésil).
Le Brésil doit faire face à une multitude de défis sociaux. Si la politique sociale est en progrès et certains indicateurs tels les taux de scolarisation ou de mortalité infantile témoignent d’une amélioration, le pays compte encore 53 millions de pauvres, dont 22 millions de totalement exclus et la société reste profondément inégalitaire : le dixième le plus riche représente près de la moitié du revenu national, alors que le dixième le plus pauvre en détient moins de 1 % (OCDE 2001). C’est dans les grandes villes que les inégalités sont les plus flagrantes, conséquence d’une urbanisation trop rapide et anarchique, d’où la désagrégation familiale et la violence. Inégalité sociale donc mais aussi inégalité raciale : le concept de métissage célébré dans le discours officiel ne doit pas occulter les manifestations de racisme et de discrimination dans la société. Au foisonnement des mouvements sociaux correspond également un foisonnement sur le plan religieux : églises évangéliques, sectes et cultes afro-brésiliens progressent au détriment de la religion catholique jusque là largement dominante.
Notes
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Auteurs de la fiche : Valérie AGNOLI, Laurent CONSTANTIN, Bénédicte RECULEAU, Clotilde VALOUR.