Le pétrole utilisé par le Venezuela comme arme diplomatique dans les relations internationales
Introduction
Située dans la partie méridionale du continent américain, l’Amérique du sud est une région riche en ressources naturelles. On retrouve les matières tels que le gaz en Bolivie, la forêt amazonienne au Brésil et le pétrole au Venezuela. Cinquième exportateur mondial du brut et grand fournisseur des USA, le Venezuela est un pays dont l’économie est essentiellement basée sur le pétrole, surtout sous la présidence de Hugo Chavez, qui place l’or noir au centre de sa politique.
Avec un volume de production d’environ 3,5 millions de barils par jour, le pétrole est non seulement le pilier de l’économie vénézuelienne mais aussi celui de la diplomatie de Chavez. Ressource stratégique, le pétrole vénézuélien est un instrument qui :
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D’une part est au service de la politique interne de Chavez, notamment dans la mise en œuvre de la révolution bolivarienne dont il est le promoteur.
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D’autre part, il permet à Chavez d’étendre son influence dans la région aux moyens d’accords et d’alliances, et par-dessus tout, de mener sa « guerre froide » contre les Etats-Unis.
La question est donc de savoir : dans quelle mesure Hugo Chavez a-t-il instrumentalisé le pétrole de son pays pour des raisons d’influence politique ?
Nous verrons comment Chavez se sert du pétrole pour chercher à s’imposer d’abord dans son pays, ensuite dans la région, enfin sur la scène internationale.
I. Pétrole et Pouvoir
Hugo Chavez, réélu pour la troisième fois consécutive à la tète du Venezuela en 2006, a bâti sa politique gouvernementale sur les richesses issues de l’exploitation du pétrole. En effet, l’importance des ressources d’or noir du pays permettent de financer les programmes sociaux, d’éducation et de santé. Mais si les couches populaires érigent « el presidente » en héros national, l’opposition le qualifie de dictateur en puissance et dénonce ses dérives anti démocratiques et ses liens idéologiques et amicaux avec Fidel Castro.
Qui est vraiment cet ancien militaire putschiste et quelle est la nature du gouvernement Chavez ? Quels sont les risques d’une stabilité sociale, politique et économique construite sur l’exploitation des ressources naturelles ? Pétrole et démocratie font-ils bon ménage ?
1. Hugo Chavez : Le putschiste convertit à la démocratie
A la suite de la chute du prix du baril de pétrole en 1989, l’économie vénézuélienne subit de graves contrecoups. La crise économique, puis sociale est directement reprochée au gouvernement et une forte instabilité politique s’en suit. Le président Pérez est remplacé par Caldera. Le 4 février 1992, durant la « nuit des bérets rouges », des parachutistes dirigés par Hugo Chavez tentent un coup d’Etat. Le putsch échoue, Chavez est condamné à 30 ans de prison. Gracié en 1994, il justifie son coup de force comme « une mission au service du peuple ». Car Chavez se sent investit d’une mission envers le Venezuela et il se définit lui-même comme un « soldat de la patrie et du peuple ». Sa doctrine, il l’a mise en place depuis 1982, lorsqu’il a fondé un groupe d’étude : le mouvement bolivarien révolutionnaire 200, dans lequel des jeunes militaires révolutionnaires se réunissaient pour « étudier la pensée de Bolivar et discuter de la situation du pays ». Mouvement bolivarien, en référence à Simon Bolivar, libérateur de la tutelle espagnole, véritable icône pour Chavez, qui en fait un pilier de sa vision politique.
Simon Bolivar, né à Caracas en 1783 au sein d’une riche famille vénézuélienne, va prendre les armes contre les colons espagnols et rejoint l’armée des insurgés. En 1813, il entre dans Caracas avec 130 hommes où il est sacré « libertador ». En 1814, les espagnols reprennent Caracas et Bolivar s’enfuit en Jamaïque. Il repartira à l’assaut du Venezuela à deux reprises. Défenseur d’une Amérique Latine unifiée, il fonde le congrès de la grande Colombie qui fédère les nations libérés : Colombie, Venezuela, Panama et Equateur. Il meurt en 1830 en Colombie. Hugo Chavez se reconnaît, voir s’affilie à « ce chef militaire, père de l’indépendance vénézuélienne » et il fait de Bolivar une référence historique pour la mise en place d’une politique nouvelle pour son pays.
Avec un discours imprégné de changement social, de lutte contre la corruption et de représentation populaire, le général Chavez, convainc le peuple vénézuélien. Et après avoir choisi la voie des urnes, plutôt que celle des armes, il fait campagne pour les élections présidentielles de 1998 avec son Mouvement pour la Ve République (MVR). Il propose une rupture radicale avec les systèmes politiques, économiques et sociaux précédents et prône un changement de constitution. Hugo Chavez est élu président du Venezuela avec à 56 % des voix le 6 décembre 1998. La révolution Bolivarienne peut commencer.
2. la révolution bolivarienne : mythes et réalités
Hugo Chavez, très charismatique, est vecteur de passions chez une partie des Vénézuéliens, qui le voient comme un homme proche du peuple et comprenant ses besoins. Pourtant, héros d’une gauche insurrectionnelle fraichement convertit à la démocratie, « el presidente » inquiète sérieusement ses adversaires qui l’accusent d’avoir des visées autoritaires, d’être violent et inflexible. Le 15 décembre 1999, la nouvelle constitution est ratifiée, le Venezuela devient la république bolivarienne du Venezuela. Le peuple est placé au cœur du nouveau système politique avec l’utilisation du référendum et du référendum révocatoire. Le « plan bolivar 2000 » est lancé destiné à assurer la protection sociale pour les plus déshérités.
Durant les deux premières années de son mandat 80 % de la population est satisfaite de la politique chaviste. Le prix du baril de pétrole augmente ce qui permet de financer de nouveaux programmes sociaux et de construire des infrastructures. Chavez transforme le pétrole en action sociale au prix parfois d’un populisme qui fait enrager l’opposition. Le 30 juillet 2000, il est réélu à 59,7 % des voix.
En 2002, l’opposition monte et la conjoncture sociale et économique se dégrade. 80 % des Vénézuéliens vivent en dessous du seuil de pauvreté et les antagonismes de classe sont de plus en plus violents notamment après les 49 décrets-lois adoptés, qui prévoient des expropriations de terres et un renforcement du contrôle de l’Etat sur l’industrie pétrolière. Le mécontentement gagne les syndicats et les investisseurs étrangers, Chavez est au plus bas. En réaction, il met en place une politique d’austérité économique en réduisant le déficit budgétaire. Le bolivar, monnaie nationale, flotte, les prix s’envolent. La révolte va venir, début février, de la compagnie nationale de pétrole PDVSA. Puis de violents affrontements éclatent le 11 avril 2002 à Caracas et obligent Hugo Chavez à quitter le pouvoir. Un gouvernement d’intérim prend le pouvoir, Chavez est emprisonné. Le 14 avril, soutenu par une grande partie de la population, il retrouve le pouvoir et l’ordre constitutionnel est rétablit.
Si en 2002 l’opposition n’a pas réussit à déstabiliser durablement et définitivement Chavez, elle ne s’arrête pas là et organise un référendum révocatoire en août 2004. Mais Chavez en sort conforté avec 59 % de « oui ». Il fait publier la liste des anti-chavistes qui ont signé les pétitions contre lui. Acte contraire aux principes démocratiques de pluralité politique et de respect de l’opposition, des centaines de personnes perdent ainsi leur emploi et sont montrer du doigt. La politique de Chavez se durcit. Renforcé, il lance la « mission Robinson 1 », très populaire, qui va permettre d’apprendre à lire à 1,3 millions d’adultes vénézuéliens en un an. Les supports, les équipes et le matériel proviennent de Cuba. Un accord bilatéral ayant été signé en 1999 avec Fidel Castro pour échanger du pétrole à bas prix contre des enseignants et des médecins cubains. L’Unesco reconnaît les résultats de la lutte contre analphabétisme au Venezuela.
Le 3 décembre 2006, Hugo Chavez est réélu pour un troisième mandat à la tête du Venezuela pour six ans avec 61,35% des voix, son meilleur score depuis 1998. Son électorat se situe dans les couches les plus modestes de la population. Huit ans après sa première élection, depuis le balcon du palais présidentiel de Miraflores , Hugo Chavez s’est exclamé « longue vie à la révolution socialiste », puis a déclaré que « son pays ne serait jamais une colonie américaine », mais aussi « je suis le peuple vénézuéliens » avant de saluer Fidel Castro.
3. Pétrole, démocratie et populisme : dangers et enjeux
Evaluer le régime chaviste avec un œil européen est très complexe. En effet, le flou est complet entre démocratie et pouvoir charismatique, populisme et politique sociale, gestion des ressources naturelles et main mise de l’Etat, clientélisme et économie nationale. Ce qui est sûr, c’est qu’une extrême dépendance de l’ensemble d’un pays à des ressources naturelles est un problème pour la stabilité politique, économique et sociale de ce pays. En ce sens, le Venezuela, s’il s’impose aujourd’hui comme une réussite en Amérique Latine de par ses revenus, il peut se voir terriblement affaibli en cas de baisse du prix du pétrole. Le pouvoir politique et avec lui l’ensemble de la société sont très dépendants du pétrole qui varie en fonction de son prix international. Mais, une importante dépendance aux ressources pétrolières débouche-t-elle forcément sur une logique autoritaire ? Y-a-t-il une malédiction de l’or noir ?
Pas forcément mais une économie pétrolière pose plusieurs problèmes : celui de la diversification économique d’abord, celui du lien entre l’état, la gestion des ressources naturelles et la liberté du marché économique ensuite, celui de la vision d’une pétro démocratie par ses propres dirigeants enfin.
En effet, la « mono économie » rend l’ensemble du Venezuela fragile et extrêmement subordonné à la conjoncture internationale. Une crise pétrolière pourrait replonger le pays dans une récession économique très grave qui paralyserait l’ensemble du système. C’est ce qui c’était passé en 2001/2002 et nul ne peut affirmer que le prix du pétrole ne fera qu’augmenter dans les futures décennies. Par ailleurs, au niveau interne, le Venezuela est en situation de dépendance face aux autorités publiques qui redistribuent l’argent du pétrole. Or le modèle d’une société réceptrice face à un Etat gestionnaire n’est pas viable à long terme et pose le problème de la création d’une véritable dynamique économique, de la croissance et d’un développement social durable. La société vénézuélienne ne peut se construire durablement sur un modèle d’assistanat vis-à-vis de l’Etat qui redistribue l’argent du pétrole et achète l’opposition politique. Oublier la valeur travail au profit de la rente pétrolière serait une grave erreur pour le Venezuela.
Ensuite, Hugo Chavez prétendait lutter contre la corruption et rendre le pétrole au peuple, puisque les ressources naturelles, extraites de la terre, appartiennent à tous les Vénézuéliens. Mais des luttes de pouvoir importantes se jouent pour la direction de la société pétrolière PDVSA et le gouvernent fait pression sur cette même société pour encadrer l’extraction de l’or noir. Des personnages politiques proches de Chavez ont été transformés en dirigeant économique tel Rodriguez ou Ramirez pour rapprocher pouvoir politique et enjeux économiques ainsi que pour renforcer la coopération. Certains partis sont même devenus des partis politiques et pétroliers comme « Accion Democratica » ou « Colei ». Pratiques patrimonialistes, copinage politique et économique ainsi que clientélisme sont donc loin d’avoir disparus.
Enfin, la révolution bolivarienne a certes permis de nourrir, d’apprendre à lire et de soigner des milliers de Vénézuélien, mais certaines restrictions démocratiques peuvent être constatées. Car, la conséquence du gouvernement Chavez, c’est aussi, des plébiscites anti syndicaux, un affaissement des partis politiques, une stigmatisation de l’opposition et une réaffirmation sans cesse du leader charismatique qui se vante d’être « l’incarnation du peuple vénézuélien ». « El presidente » monopolise par exemple, tous les dimanches, la télévision et s’adresse directement au peuple, parle de ses projets pour le pays, fait des cours de littérature ou d’histoire et congédie ses ministres en direct, tout ceci durant quatre heures.
Mais les ambitions de Chavez ne s’arrêtent pas uniquement au Venezuela, son projet est bien plus large, notamment au niveau régional.
II. Le pétrole au cœur de la politique régionale de Hugo Chavez
Aujourd’hui, la question de l’intégration latino américaine occupe une place importante dans les discours et les débats politiques en Amérique latine.
Après l’échec constaté du Mercosur et de la Communauté Andine des Nations (CAN), l’intégration latino américaine se poursuit, en particulier avec la création de la Communauté Sud-américaine des Nations en 2004. Mais là encore, selon Hugo Chavez, ce nouveau modèle porte les germes de son échec tout comme avec le Mercosur et la CAN, car les résolutions signifiées n’ont de sens que sur le papier et ne sont pas appliquées en réalité. Selon lui, l’intégration devra passer par le pétrole, ressource importante et source de pouvoir à l’heure actuelle, car dit il, le monde actuel ne parle pas argent mais pétrole.
1. La lenteur de l’intégration régionale en Amérique Latine
Comme nous l’avons mentionné, l’intégration latino américaine est l’une des préoccupations du président vénézuélien. Et pour lui, seul le pétrole (en particulier celui du Venezuela) peut favoriser une réelle intégration de l’Amérique Latine, étant donné les limites du Mercosur.
Le premier est le marché commun du sud, créé en 1996, composé de l’Argentine, du brésil, du Paraguay, de l’Uruguay et du Venezuela.
La Communauté Andine des Nations quant à elle est composée de la Bolivie, la Colombie, l’Equateur le Pérou et le Venezuela, ce dernier s’étant désaffilié du fait que la Colombie et le Pérou ont signé un accord de libre échange avec les USA. Il convient aussi de noter que la CAN n’est pas une organisation comme le Mercosur, c’est un projet regroupant la volonté des Etats pour bâtir quelque chose de solide au niveau régional.
En décembre 2005 le Venezuela est admis en tant que nouvel Etat membre du Mercosur, un événement à marquer d’une « pierre blanche », selon Nestor Kirchner, dans le développement de ce bloc commercial, et un événement accueilli favorablement par le président brésilien Lula Da Silva qui parle d’« un nouveau chapitre de notre intégration ». Toutefois, Hugo Chavez reproche à ces deux modèles d’intégration l’absence d’actions concrètes et le fait qu’elles ne soient réduites qu’au libre échange et bénéficiant d’abord aux acteurs économiques. Ce que souhaite Chavez c’est une intégration qui englobe non seulement l’intégration économique, mais aussi politique et culturelle, un peu comme dans le modèle de l’Union Européenne. Pour lui, il faut en finir avec le modèle de l’exportateur. En d’autres termes, il s’agit de constituer une entité qui soit en mesure de peser sur la scène internationale.
Ainsi, Chavez avait refusé de signer la déclaration protocolaire à Brasilia lors du sommet de la CSN (Communauté Sud américaine des Nations) en 2005. Car pour lui, cette déclaration ne faisait que reproduire les erreurs du Mercosur et de la Communauté Andine des Nations.
2. La diplomatie pétrolière : source d’intégration régionale et d’influence
Selon les principes de la diplomatie pétrolière de Chavez, il est question de faire de l’or noir un instrument essentiel des relations extérieures du Venezuela. Ainsi le pétrole offre un point d’appui privilégié à la politique d’intégration latino américaine promue par Chavez. Cette diplomatie multilatérale prévoit la création d’une banque du sud, d’une télévision du sud et d’une compagnie pétrolière du Sud : pétrosur (argentine, Bolivie, et Uruguay, voire la Colombie).
A coté de cela, le Venezuela multiplie les accords bilatéraux pour étendre sa politique et pour avoir une présence forte dans la région. Quelques exemples :
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Colombie : malgré le contentieux de la CAN le Venezuela maintient ses rapports avec ce pays en appuyant la construction d’un Gazoduc binational et en impulsant le commerce entre les deux pays.
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Argentine : dans ce pays, Chavez partage plusieurs domaines de travail dont l’échange intense de pétrole et d’autres combustibles (collaboration également dans le domaine financier depuis que le Venezuela a racheté presque un tiers de la dette argentine de 2005 pour l’administration de Nestor Kirchner, opération s’inscrivant dans la stratégie de la région pour se libérer du control du FMI dominé par les USA).
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Brésil : avec le Brésil, la coopération est très forte. Hors mis l’exploitation conjointe (Venezuela, Brésil, Argentine et Uruguay) du bassin pétrolifère de l’Orénoque, l’entreprise vénézuélienne Pétroléo