Paris, 2008
Le mouvement indigène équatorien au début du 21ème siècle
Devenir un sujet politique pour ouvrir l’espace de la politique vers la construction d’un pouvoir démocratique et participatif favorisant la paix sociale.
Keywords: | | | | | Ecuador
Introduction.
L’Equateur malgré sa petite taille et ses treize millions d’habitants recèle une véritable diversité culturelle. La population indigène fait ainsi parti d’une société que l’on pourrait qualifier de « multiculturelle » aux cotés des non indigènes appelés les ladinos, c’est-à-dire les blancs, les métis et les noirs.
La population indigène constitue une frange importante de la société équatorienne, elle représente en effet 40 % de la population. Mais cette population ne constitue pas pour autant un groupe homogène, en effet elle présente une très grande diversité ethnolinguistique et une certaine fragmentation socioculturelle. Les communautés Quechua des Andes et les Shuars d’Amazonie sont les plus nombreux.
La force du mouvement indigène en Equateur réside dans sa capacité à se rassembler malgré leurs différences. En effet, représentant plus de 40% de la population, les communautés indigènes de l’Equateur sont organisées, il existe dans le pays de puissantes organisations indigènes qui veillent à la protection et à la promotion de leurs intérêts. En coordonnant ses activités et en se structurant à travers la constitution de la CONAIE dans les années 1990, le mouvement indigène équatorien est devenu un véritable mouvement social moderne dont les aspirations recouvrent celles de la société équatorienne, tel que la dénonciation de la corruption ou bien encore la volonté d’un réel et profond changement du système politique équatorien.
De victoires en défaites, d’alliances nationales en engagements internationaux, le mouvement indigène équatorien s’est imposé comme une force de contestation crédible sur la scène politique équatorienne. Face à de nombreux obstacles et de multiples défis, comme les impacts de la globalisation financière (PAS) et la trahison de Lucio Gutierrez, les stratégies d’action du mouvement indigène équatorien ne cessent d’évoluer et de se redéfinir, en posant la question essentielle de la validité de la démocratie en Equateur.
I. Historique du mouvement indigène (jusqu’en 2003)
A. Les débuts de la structuration du mouvement indigène.
C’est au début des années 1960 qu’apparaissent les premières organisations structurées. Tout d’abord dans la région amazonienne avec les organisations Shuars, sous l’impulsion des missionnaires évangéliques notamment. Ils furent imités par d’autres « nationalités régionales » pour aboutir en 1980 à la création de la CONFENAIE (Confédération des Nationalités Indigènes de l’Amazonie Equatorienne). Dés le début, cette confédération associe la récupération des territoires traditionnels avec la défense de la culture, et surtout avec l’idée « d’Etat plurinational ». De leur côté, les Quechua de la région andine, qui constituent un poids économique et démographique important en Equateur, s’organisent avec l’aide des partis communiste et social chrétien et créent ainsi un nombre important d’organisations locales et provinciales, pour aboutir finalement à la création du mouvement ecuarunari. Ces deux mouvements principaux coexistent de façon parallèle jusqu’en 1980. 1980 marque en effet le point de rencontre entre ces deux mouvements suite à la grande marche indigène sur Quito, qui fut durement réprimée. Ces deux mouvements s’allient donc pour créer le « conseil de coordination des nationalités indigènes de l’Equateur », qui va laisser place a son successeur en 1986, la CONAIE (Confédération des nationalités indigènes de l’Equateur). La CONAIE existe ainsi depuis 1986, c’est une organisation générale composée de trois principales fédérations régionales :
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CONFENAIE ;
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ECUARANARI ;
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CONAICE.
Son programme peut se résumer en seize revendications. Nous retiendrons ici les trois principales :
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Tout d’abord « la reconnaissance publique de la dimension plurinationale de l’Equateur » ;
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« La cession par le gouvernement de territoires et de titres qui se rapportent aux nationalités » ;
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Et « la résolution des problèmes d’eau et d’irrigation ».
A partir de là, la CONAIE va jouer le rôle du principal médiateur entre l’Etat et les indigènes et va accélérer le passage du mouvement sur la scène politique.
B. La reconnaissance juridique et politique du mouvement indigène.
Jusqu’en 1990, le mouvement indigène s’exprimait principalement par des grèves, des manifestations, des blocus agricoles et des occupations de grandes propriétés. Cette année là, la CONAIE organise le plus grand soulèvement que l’Equateur ait connu, il donnera lieu à des affrontements violents et une grande répression. Cette date marque le début de l’entrée du mouvement indigène sur la scène politique et annonce dix années de lutte qui vont provoquer la chute de plusieurs gouvernements et même aboutir à la révision de la constitution en 1998. En effet, le débat public va tout d’abord s’ouvrir au mouvement indigène en 1994, suite à une mobilisation notamment sur la réforme agraire qui a paralysé Quito pendant deux semaines. Une négociation s’ouvre alors entre le gouvernement et les représentants du mouvement indigène, qui va aboutir à l’annulation d’un projet de loi néolibérale visant à mettre en cause la propriété publique des terres vierges au profit de la propriété privée pour permettre leur exploitation. Cette victoire va faire acquérir au mouvement indigène une audience nationale grâce notamment aux programmes télévisés. 1996 est une année importante pour le mouvement indigène, car elle souligne l’importance de la dimension politique du projet autochtone. En effet, malgré une certaine méfiance au début, le mouvement participe aux côtés d’organisations paysannes à la création d’un parti politique, le « Pachakutik Nuevo Pais » (PNP). Il échouera aux élections présidentielles mais obtiendra des sièges au niveau local et au congrès. L’existence d’un bras politique fait osciller la position du mouvement indigène entre contestation et participation et pose les bases d’une réelle structuration politique qui améliore l’efficacité des actions du mouvement. En 1997, le mouvement indigène obtient une nouvelle victoire, suite à un soulèvement contre le gouvernement populiste qui aboutira à sa destitution et à la création du fonds national pour le développement des peuples indigènes. Le 18 mai 1998, le pays ratifie l’accord 169 de l’OIT sur les peuples indigènes et tribaux, « la convention relative aux peuples indigènes » (14 Etats). Mais surtout le 5 juin 1998, c’est l’approbation d’une nouvelle constitution politique du pays par l’assemblée nationale constituante. Cela va entraîne d’importantes transformations tant dans son ordre juridique interne que dans sa structure politique, ainsi qu’une incidence sur le fonctionnement de l’Etat et sur la protection des garanties fondamentales de tous les citoyens et des collectivités. Ce sont les organisations indigènes qui ont réussi à la faire approuver. Elle reconnaît l’existence des peuples et des nationalités indigènes et afro équatoriennes ainsi que les circonscriptions territoriales indigènes. Cette reconnaissance des nationalités et populations indigènes est une revendication ancienne de ces populations et constitue une première nécessité pour la préservation de leurs territoires ancestraux, de leurs cultures propres, de leurs modes de vie, ainsi que leur développement. Cette évolution marque en effet un tournant fondamental pour le statut des populations indigènes. Cette réhabilitation juridique du peuple indigène rompt avec tout un passé historique dominé par des politiques de discrimination envers des indigènes considérés comme « minoritaires » au sens d’une infériorité de leur statut tant sur le plan social que politique. Le chapitre V de la nouvelle Constitution est consacré aux droits collectifs des indigènes, l’article 83 « les peuples indigènes, qui se définissant comme des nationalités de racines ancestrales, et les peuples noirs et afro équatoriens font parti de l’Etat Equatorien, unique et indivisible ». Est aussi crée le conseil national de développement des nationalités et peuples de l’Equateur (la COPENDE) qui est une instance officielle et représentative, qui est dépendante de la présidence de la république.
Jusqu’aux années 2000, il est indéniable que le mouvement indigène a obtenu de nombreuses victoires. Mais malgré les avancées importantes réalisées, la proportion de la population indigène vivant sous le seuil de pauvreté est évalue à 72 %.
C. Une période de bafouillement : les débuts de la crise
Les années 2000 marquent le début d’une période de « bafouillement » pour la CONAIE, malgré une certaine victoire en 2002, en effet le populiste Lucio Gutierrez remporte les élections présidentielles avec le soutien du parti politique Pachakutik Nuevo Pais. Le parti obtient ainsi deux postes ministériels, mais ces derniers quittèrent le gouvernement en juin 2003 car en opposition avec sa politique néolibérale. (voir deuxième partie).
La CONAIE est en fait en crise. Tout d’abord, il reste toujours difficile pour ce mouvement de concilier contestation et participation, de plus à l’intérieur du mouvement le passage d’une démocratie participative à un système de représentation a coupé la base de ses dirigeants. Apparaissent aussi des signes de faiblesse de mobilisation. En décembre 2004, Luis Macas (figure historique de la CONAIE durant les années 1990) est appelé à la présidence de la CONAIE pour régénérer le mouvement, c’est-à-dire « consolider la base du mouvement ». Dés son entrée en fonction, il s’oppose au plan Colombie et lutte contre la signature du traité de libre échange avec les Etats-Unis. Son programme consiste en quatre points principaux :
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La mise en place de cours d’alphabétisation ;
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La lutte contre les entreprises pétrolières nationales et la privatisation de l’eau ;
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La défense des ressources naturelles ;
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La multiplication d’actions pour la redistribution des terres.
Malgré cette volonté de le revivifier, le mouvement reste largement marqué par la trahison de Lucio Gutierrez, ce qui influencera les orientations notamment du PNP dans les années qui suivirent.
Au travers de cette évolution, du passage du mouvement comme acteur social à acteur politique, on voit surtout transparaître les victoires du mouvement indigène. En effet, le mouvement autochtone, qui s’est structuré autour de la CONAIE, s’est imposé peu à peu comme une force de contestation sociale de premier plan. Ces revendications ont abouti à plusieurs acquis sociaux et à une reconnaissance juridique de la diversité ethnique et culturelle de la population équatorienne. Néanmoins de nombreux acquis sont rendus ineffectifs par l’absence de suivi dans la mise en application de ces droits, et surtout le mouvement est affecté par le revirement de bord du gouvernement Gutierrez qui rompt l’alliance avec le Pachakutik Nuevo Pais. Ainsi face à l’ineffectivité des droits reconnus juridiquement et les défis posés par la mondialisation, notamment les politiques d’ajustement structurel, le mouvement indigène voit ses stratégies d’action évoluer et devant être redéfinies. Le mouvement cherche en effet de nouveaux canaux d’expression et de revendication de ses droits en multipliant les stratégies d’alliance et en se muant peu à peu en force transnationale. « Au-delà de la mise en œuvre de ces nouveaux moyens d’action et de défense, le mouvement indigène équatorien par sa nature même, questionne les fondements de la démocratie libérale ».
II. La dimension politique du mouvement indigène équatorien
A. La dimension inclusive du mouvement
Une des forces du mouvement indigène équatorien est sa dimension inclusive, en effet, il partage des préoccupations communes avec les non indigènes : ses revendications s’élargissent en quelque sorte à l’ensemble de la société équatorienne. Le mouvement autochtone acquiert donc une dimension politique, car il dépasse les revendications proprement autochtones. En effet, que ce soit la dénonciation de la corruption dans le pouvoir étatique, l’opposition aux politiques néolibérales, ou bien la reconnaissance des droits sociaux, il s’agit de revendications propres aux Equatoriens, qu’ils soient indigènes ou non. La volonté de se reconnaître dans une identité nationale multiculturelle, et non pas seulement indigène fait partie du projet autochtone, en effet la référence à la citoyenneté équatorienne est constitutive du mouvement indigène. Le but étant de transcender les différences ethniques pour faire de la diversité un élément unitaire et une force de cohésion. Ils revendiquent ainsi « une identité multiculturelle ».
Dès la création de la CONAIE, l’une de ses revendications principales était « la reconnaissance publique de la dimension plurinationale de l’Equateur ». Aujourd’hui, la promotion d’un Etat « plurinational » est au cœur du mouvement indigène, c’est-à-dire que la reconnaissance de la diversité constitue pour eux le préalable nécessaire à la construction de la démocratie en Equateur. En effet, Luis Macas perçoit dans la revendication du plurinationalisme, la base même de la démocratisation du système politique équatorien.
Le mouvement indigène s’est transformé en acteur politique, car il a été capable de modifier le rapport des forces politiques, il a déployé sa lutte à tous les niveaux, économique, social, culturel et politique. Son combat recouvre une dimension globale, la dimension politique du mouvement indigène équatorien est donc incontestable et traduit une volonté de transformer le discours politique.
B. De la contestation à la participation : le PNP
En 1996, la création du parti politique « Pachakutik Nuevo Pais », qui va servir de courroie de transmission des revendications du mouvement, constitue pour beaucoup la manifestation politique par excellence du mouvement indigène. Par sa création, une plus grande représentativité politique est alors à l’œuvre. En effet, c’est essentiellement au niveau local et provincial que se multiplient les mandats autochtones. Aux élections municipales de 1996, le PNP a obtenu 20% des suffrages. Des députés autochtones siègent également à l’assemblée au sein d’institutions comme le COPENDE.
En se dotant d’un bras politique, la CONAIE fait ainsi le choix de participer pleinement aux institutions politiques. Le PNP s’inscrit donc dans une logique d’acceptation du pouvoir étatique mis en place, même s’il vise à le transformer de l’intérieur. Cette stratégie d’action modifie la position du mouvement indigène, qui oscille entre contestation et participation.
Grâce au PNP, le mouvement indigène apparaît comme une nouvelle force contestataire structurée dans le champ politique, il fait basculer le jeu du pouvoir et l’oblige à traiter avec lui. La remise en cause des stratégies d’action de la CONAIE - suite à l’échec du soulèvement de 2000 - incite le mouvement à repenser ses stratégies. La priorité est alors donnée à une intégration démocratique, par voie électorale, afin d’être cohérent avec les principes d’exigence démocratique. L’une des priorités de la CONAIE est alors de s’atteler à développer son bras politique.
Mais le consensus construit autour du PNP va petit à petit s’effriter. Dans la perspective de l’élection présidentielle du 22 août 2002, Lucio Gutierrez qui se proclame « nationaliste, progressiste, humaniste, révolutionnaire », parle de la nécessité de forger « une seconde indépendance », disposant en plus de la confiance de la CONAIE, le PNP abandonne la perspective d’un candidat indigène et se rallie à l’ex-militaire. Il remporte ainsi les élections présidentielles au second tour le 25 novembre. Mais en peu de temps, Lucio Gutierrez opère un véritable « revirement de bord », en effet, il signe des accords avec le FMI, lance les politiques d’ajustement structurel et s’aligne sur Washington et Bogota. Et pourtant, le PNP n’exerce aucune pression pour empêcher la nomination de ministres souvent néolibéraux, ces dirigeants sont alors plus soucieux de passer les accords nécessaires à l’occupation de postes au sein du pouvoir que de défendre un projet politique.
C. Le mouvement indigène comme force transnationale
Afin de mieux se faire entendre par le pouvoir étatique et de constituer une force de contestation crédible, le mouvement indigène équatorien n’a cessé de développer des réseaux. Les différentes fédérations se coordonnent déjà afin d’accroître la visibilité de leurs revendications, et des alliances s’effectuent également avec d’autres groupes sociaux de la société équatorienne, tels qu’avec les écologistes, des groupes de femmes, des ONG… L’une des caractéristiques du mouvement autochtone équatorien est en effet d’être inclusif. Ces interactions ont abouti en 1995 à un regroupement dans la CMS (Coordination des Mouvements Sociaux). Mais, face à son exclusion de la sphère politique et à la crise amorcée avec Lucio Gutierrez, le mouvement indigène doit et veut se trouver de nouveaux canaux de contestation en déployant des stratégies d’action originales et efficaces : la question des liens transnationaux se trouve alors de plus en plus posée. Son défi est de se maintenir en force menaçante, afin de promouvoir un mode de développement alternatif face aux politiques néolibérales. Ainsi, au-delà des alliances nationales, le mouvement indigène voit son réseau international se développer, de nombreux liens sont alors tissés avec des regroupements extérieurs, transnationaux et continentaux. Son action est alors liée à celle des autres mouvements indigènes tels que la CSUTCB (confédération syndicale unique de travailleurs paysans de Bolivie), la COICA (coordination des organisations indigènes du bassin amazonien) et les organisations nationales des indigènes du Mexique, Chili, Colombie et Panama. Le mouvement participe également à de nombreux forums sociaux mondiaux. Ainsi en 2004, un sommet s’est réuni en préambule du forum social des Amériques. Ce forum a réuni des délégués de 64 peuples autochtones et pose la question de l’efficacité transnationale des mouvements autochtones. Ce sommet a abouti à la déclaration de Quito, qui crée « une véritable internationale amérindienne ». L’objectif est en effet de créer « un espace permanent de liaisons et d’échanges ». Cette déclaration témoigne d’une convergence grandissante au sein des mouvements indigènes et d’une volonté pour ces mouvements de se transformer en force transnationale. La transnationalisation du mouvement indigène constitue une force politique nouvelle dans l’évolution sociale du peuple autochtone. Leur visibilité nouvelle sur le plan international a contribué à réformer les organisations internationales, qui intègrent désormais les questions autochtones à leur agenda, en effet par exemple, l’année 1993 a été désigné par les Nations Unis, « l’année des peuples indigènes ».
III. L’élection de Rafael Correa : entre victoire sociale et défaite politique.
A. Correa, en adéquation avec les aspirations de la CONAIE.
Le 26 novembre 2006, Rafael Correa, candidat du parti Alianza Pais est élu aux élections présidentielles avec 58 % des voix, devant Noboa, l’homme le plus riche du pays, voulant inscrire l’Equateur dans une politique néolibérale. Cette victoire de Correa est pour le mouvement indigène une victoire sociale, ou du moins constitue un nouvel espoir, pour voir enfin une application réelle de leurs droits et un changement significatif du système politique équatorien. Le soutien des communautés indigènes à sa candidature a été déterminant. Dès son investiture, pour marquer le début de ce qu’il appelle « la révolution citoyenne », Rafael Correa a annoncé la tenue d’un référendum le 18 mars prochain, pour convoquer une assemblée constituante, car en effet, neuf citoyens sur dix n’ont pas confiance en leurs institutions politiques. Proche de Hugo Chavèz, Rafael Correa s’oppose de façon virulente à la signature du TLC (libéralisation des échanges entre Quito et Washington). Ce succès vient confirmer l’enracinement du courant progressiste dans les Andes sud américaines. Bien que non indigène, il a été soutenu par l’immense majorité des autochtones. L’investiture de Correa pourrait constituer une occasion pour la CONAIE de se réintégrer à la sphère politique, après les difficultés rencontrées avec Lucio Gutierrez trois années auparavant. En d’autres termes Correa pourrait jouer le rôle de propulseur pour la CONAIE qui est aujourd’hui meurtrie et en quelque sorte à bout de souffle. Cette victoire de Rafael Correa dévoile ainsi que la CONAIE reste marquée par la trahison de Lucio Gutierrez, et qu’elle est aujourd’hui en profonde crise. En effet, le mouvement indigène traverse une étape difficile, il est actuellement divisé en trois branches distinctes :}
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La première dites « populiste », contrôle l’appareil central de la CONAIE ;
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La seconde dites familièrement « la mafia indigène » est composée d’anciens dirigeants de la CONAIE, cette branche est impliqué dans le régime de Lucio Gutierrez et est accusée de graves irrégularités et d’actes de corruption ;
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Enfin la troisième branche dites « la gauche indigène », qui est composée de dirigeants provinciaux et d’intellectuels indigènes. C’est grâce à cette dernière que Rafael Correa a bénéficié de l’appui majeur de la population autochtone. En effet on constate que dans les régions de l’Oriente et de la Sierra, Rafael Correa a été élu avec 67 % des voix. La lutte de Rafael Correa dans les mouvements sociaux, son intérêt pour les communautés indigènes (bénévolat dans certaines communautés, apprentissage du quechua…), son opposition aux politiques néolibérales, sa volonté de changer radicalement le système politique équatorien semblerait offrir un nouveau canal d’expression au mouvement indigène. Une cérémonie indigène d’investiture du Président Correa est même organisée, avec à ses côtés le président Hugo Chavès et le président Morales, c’est la première fois dans leur histoire que les autochtones de l’Equateur ont remis à un président élu « le bâton du chef » (la lance dans la langue quecha), la plus haute distinction symbolique accordée par ces communautés.
B. Une défaite politique pour le PNP.
Alors que l’élection de Rafael Correa constitue une victoire générale pour les communautés indigènes et la CONAIE, paradoxalement elle constitue une défaite politique pour le PNP, le bras politique de la CONAIE. En effet, afin de remporter les élections, Rafael Correa devait bénéficier de l’appui du mouvement indigène. Mais le PNP a refusé cette alliance, échaudé par l’erreur qu’a constituée l’alliance avec Lucio Gutierrez, ce qui l’a divisé et affaibli. Le PNP s’est en effet replié sur lui-même, redoutant des alliances avec les « métis ». En d’autres termes, ils veulent « leur » candidat et pas un autre, ils soutiennent donc leur candidat Luis Macas, l’une des figures historiques de la CONAIE dans les années 1990, rappellé à la présidence de la CONAIE en 2004, et depuis assez discret. Mais un nombre croissant de leaders et de dirigeants indigènes ne sont pas d’accord avec la candidature de Luis Macas, car ils ne comprennent pas pourquoi le PNP a essayé de diviser la gauche. Le PNP va en effet écarter la proposition de Rafael Correa de réaliser une enquête dans plusieurs provinces pour tenter de définir l’ordre d’un possible binôme « président, vice-président » avec Luis Macas. C’est ainsi que le 23 juin 2006, lors du conseil politique du PNP, treize coordinations provinciales décident de soutenir Rafael Correa à la place de Luis Macas. L’image de Luis Macas au sein du mouvement indigène a joué en sa défaveur, en effet, il est plus considéré comme un dirigeant social qu’un leader politique. Ceux qui soutiennent Luis Macas s’apparentent à la branche dite « populiste » de la CONAIE. Et pourtant, Luis Macas en tant que figure essentielle du mouvement indigène en Equateur, subit une défaite, il n’obtient en effet que 2,9 % des voix au premier tour. Cette défaite rajoute aux difficultés du PNP à s’affirmer comme bras politique de la CONAIE et remet en cause ses capacités de négociation et de présence autochtone dans les institutions de l’Etat. Suite au premier tour de l’élection, un consensus s’installe dans le pays, celui de la nécessité d’un changement de système politique, c’est alors qu’un vaste mouvement citoyen se rallie à Rafael Correa au second tour. Le PNP se résigne et décide alors de le soutenir. On peut ainsi dire que les doutes et les difficultés du PNP s’expliquent aujourd’hui principalement par la peur d’une instrumentalisation politique, ce qui révèle sans aucun doute les difficultés de représentation et de structuration en son sein même, ainsi qu’une mauvaise adéquation avec « la base » de la CONAIE.
La population indigène équatorienne devient progressivement et de façon efficace un sujet politique à part entière qui est en train d’ouvrir les espaces politiques nationaux vers la construction d’un pouvoir plus démocratique et participatif, axé vers la réforme des rapports sociaux pour plus de justice sociale, pour le respect des droits des minorités, comme facteurs de construction de paix.
Conclusion
Ainsi, en Equateur, s’est développé un mouvement indigène d’une grande ampleur, qui interroge les bases sur lesquelles se fonde la démocratie libérale dans ce pays. Ils ont permis de modifier la politique nationale de l’Equateur en accordant des droits constitutionnels aux indigènes. Mais actuellement, le mouvement revendique l’application de ces droits, les plus souvent bafoués et en contradiction réelle avec les politiques néolibérales.
Le projet politique du mouvement indigène est ambitieux. En effet, il veut transformer, de la base, l’Etat Equatorien en un véritable pouvoir démocratique et représentatif de la volonté de la société civile, qu’il ne soit plus réservé à une élite économique et politique. En d’autres termes, l’objectif est de redéfinir l’Etat Equatorien dans un sens plus démocratique, de construire le pouvoir sur des bases populaires. « Ce que le mouvement indigène a proposé, c’est une construction par le bas, depuis les bases, depuis les ciments du pouvoir (…) non pour prendre le pouvoir sinon pour ouvrir l’espace de la politique vers la construction d’un pouvoir démocratique et participatif » (Luis Macas).
En recherchant un soutien international et en développant ses réseaux transnationaux, le mouvement a acquis une grande visibilité internationale, ce qui renforce ses capacités de négociation et l’efficacité de ses stratégies. Le 15 janvier 2007, en s’adressant en quechua dans un discours de remerciement à la population, le nouveau président Rafael Correa témoigne de son engagement vis-à-vis des communautés indigènes : « Mon gouvernement sera le gouvernement des indigènes », laissant ainsi entrevoir une réelle place pour les indigènes dans la sphère politique.
Notes
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Auteur de la fiche : Marie-Elodie SORET.