Fiche d’analyse Dossier : La transformation politique des conflits

Grenoble, avril 2008

Les relations difficiles entre l’Ethiopie et La Somalie.

Quels liens existent-ils entre la guerre de l’Ogaden et la situation actuelle en Somalie ?

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L’Ethiopie et la Somalie ont toujours eu des rapports conflictuels. La guerre de l’Ogaden entre ces deux pays, qui a eu lieu entre 1973 et 1979, a eu des conséquences catastrophiques pour la Somalie. Pourquoi l’Ethiopie intervient-elle aujourd’hui ? Quelles sont ses intentions ? Nous allons centrer notre étude sur la Somalie. Nous analyserons les évènements et les conséquences de la guerre de l’Ogaden qui opposa les deux pays dans les années 70 et 80 avant de décrire la montée de l’islamisme radical en Somalie et les réactions géostratégiques des différents acteurs internationaux.

D’autre part, la Somalie est un pays très majoritairement musulmans sunnites, contrairement à l’Ethiopie qui compte environ 50% de chrétiens orthodoxes et 40% de musulmans. Le facteur religieux est important car nous voyons aujourd’hui que l’intervention de l’Ethiopie en Somalie en tant que porte-voix de la communauté internationale est liée à la montée de l’islamisme et de la guerre contre le terrorisme qui en découle.

Pourquoi l’Ethiopie n’est-elle pas vue comme un acteur neutre dans le cas de la Somalie?

L’Ethiopie ne peut être vue comme un acteur neutre dans la situation actuelle car elle a, par le passé, été en conflit avec la Somalie, surtout pour des raisons de découpages territoriaux. En effet, les deux pays ont une frontière en commun qui est peuplée de chaque côté par la même ethnie : les Somalis. La guerre de l’Ogaden représente très bien les tensions existantes entre les deux pays dans les années qui ont précédées la guerre civile en Somalie. L’analyse de cette guerre et de ses conséquences nous permet de mieux comprendre la situation dans laquelle se trouve la Somalie aujourd’hui et les raisons pour lesquelles l’Ethiopie est partie prenante, bien qu’indirectement, dans ce conflit.

Il nous est apparu plus intéressant de déchiffrer la guerre de l’Ogaden par un outil d’analyse de conflit. Il permet d’en voir les différentes étapes, et de comprendre à partir de quel moment ou par le biais de quels acteurs il a tourné en faveur d’une partie ou d’une autre.

Les différentes étapes de la guerre de l’Ogaden

La guerre de l’Ogaden naît de l’idée de la « Grande Somalie », un concept développé dès la colonisation mais qui se heurta à une vive opposition, notamment de l’Ethiopie, et instrumentalisé par le général Siyad Barre. L’objectif était de réunir tous les Somalis de la corne de l’Afrique dans un seul et même Etat qui comprendrait la somalie actuelle, le Somaliland, Djibouti, une partie nord du Kenya et la région de l’Ogaden (en Ethiopie). C’est pourquoi, profitant de la chute de l’empire d’Addis-Abeda par une junte militaire en 1974, la Somalie décide d’entrer en guerre en 1977 contre l’Ethiopie en vue d’annexer la région de l’Ogaden.

La Somalie soutient militairement les rebelles de la province qui commencent à gagner du terrain. A cette époque, la Somalie est supportée par l’URSS qui lui fournit des armes. Mais en 1978, l’URSS retourne sa veste et décide de se tourner vers l’Ethiopie qui parait être plus intéressante pour ses intérêts. Ce retournement de situation change complètement les forces en place. Alors que la région était quasiment entièrement occupée par les rebelles éthiopiens de l’Ogaden à la fin de l’année 1977, l’Ethiopie, avec ses nouveaux alliés, arrive à reprendre l’avantage jusqu’à récupérer toute la région fin 1978.

Il ne faut pas oublier qu’à l’époque, ce conflit s’inscrit dans un contexte de guerre froide et que sans l’intervention, même indirecte, de l’URSS, le déroulement et les conséquences du conflit auraient probablement été toutes autres. Quelques affrontements ont eu lieu dans les années qui suivirent mais sans réelles conséquences. Le conflit prit officiellement fin en 1988 quand les deux pays signèrent un accord de paix.

Siyad Barre, qui s’était accaparé le pouvoir en 1969, bénéficiait jusqu’alors d’un soutien majoritaire de la population pour ses idées modernisatrices comme instaurer un régime laïc, l’unification de la langue somalie écrite en alphabet latin, ou encore l’alphabétisation massive de la population.

La défaite de la guerre de l’Ogaden a considérablement affecté les finances du pays, qui a dû accueillir plus de 150 000 réfugiés qui avaient quitté leur région pendant les affrontements. C’est donc pour remédier à cette situation que le général Barre décida d’exploiter intensivement la région la plus riche de Somalie qui se trouvait au nord (actuel Somaliland). Cette zone était néanmoins habitée par le clan Issak, fervemment opposé au clan Darod, celui du dictateur, et reprochait à ce dernier de favoriser les réfugiés au dépend des populations locales. Des tensions apparurent, et en 1981, un groupe Issak forme le Mouvement National Somalien et commença à organiser la rébellion, soutenue alors par l’Ethiopie. A cette époque, la population vit une famine très difficile et commence à se détourner de ce régime qui devient chaque jour plus répressif. Siyad Barre perdit toute sa légitimité et une guerre civile s’installa progressivement. La violence s’imposa comme une réalité quotidienne et la population civile en était la première victime.

Un état comme l’Ethiopie qui, par le passé, s’est affronté à la Somalie ne peut donc pas être considéré comme neutre. Certes la guerre de l’Ogaden est aujourd’hui achevée mais les conséquences qu’elle a eu sur la guerre civile en Somalie ont été directes. En effet, comme nous l’avons mentionné, le dictateur Syiad Barre avait perdu sa légitimité après cette défaite et de ce fait, avait également perdu toute influence sur la vie des Somaliens. Beaucoup de mouvements contestataires se sont élevés et des conflits internes ont éclaté.

De même, nous nous attarderons dans la suite de l’analyse sur les causes de l’intervention éthiopienne actuelle et sur le soutien qu’elle obtient de la part de la communauté internationale.

Voyons maintenant les causes et les conséquences de la guerre civile somalienne. De la même manière, un outil d’analyse (dans ce cas, l’arbre) nous permet de visualiser tous les éléments et de les mettre en relation.

La guerre civile

Cette guerre civile a eu beaucoup de conséquences et a touché très violemment les populations. En 1987, Les Etats-Unis, qui soutenaient la Somalie depuis que l’URSS avait coupé toute aide, ont à leur tour décidé d’arrêter les aides et de stopper toute relation avec le régime de Siyad Barre, après que Amnesty International et Africa Watch aient fait état de grave violations des Droits de l’Homme, accusant le dictateur de perpétrer un génocide sur les rebelles du Nord. En 1991, les mouvements rebelles du Nord ont envahit tout le pays et le conflit s’amplifia. Les forces du Congrès de la Somalie Unifiée prirent Mogadiscio et forcèrent le général Siyad Barre à quitter le pouvoir et à fuir la ville. Différentes factions commencèrent à se battre pour arriver à la tête du pays.

De même, des tensions entre le Nord et le Sud se sont fait ressentir car les populations du Nord avaient peur que si la Somalie venait à être gouvernée par des groupes du sud, le pouvoir ne bénéficierait qu’à leurs propres intérêts. C’est pourquoi la République du Somaliland fut proclamée le 18 mai 1991. Cette soudaine indépendance naît directement de la guerre de l’Ogaden et de la guerre civile qui l’a suivie.

La vacance de pouvoir

Le véritable problème qui résulte de ces deux guerres est sans conteste le vide de pouvoir qui s’est installé après la fuite de Siyad Barre. Des conflits violents pour arriver à la tête de l’Etat sont apparus et perdurent depuis 1991 car les forces de l’opposition, qui s’étaient alliées pour chasser le dictateur, n’ont pas su se partager le pouvoir. Il apparaît alors intéressant de présenter ces acteurs aux intérêts divergents, et de mettre en avant les relations qu’ils ont pu entretenir avec l’Ethiopie, pour comprendre pourquoi celle-ci ne peut être perçue comme acteur impartial dans la résolution du conflit liée au vide de pouvoir en Somalie.

Tout d’abord, il y a les Seigneurs de Guerre (warlords), ces hommes d’affaires mafieux aux mains ensanglantées, soutenus par Washington pour lutter contre le terrorisme. Ils se sont réunis en 1989 au sein du Congrès de la Somalie Unie (CSU) avec l’objectif principal de faire tomber le dictateur. Le CSU a en effet joué un rôle important dans la fuite de Siyad Barre. Après beaucoup de tensions internes, il se transforme en 2002 en Conseil de Restauration et de Réconciliation Somaliennes (CRRS), principalement pour contrer le naissant Gouvernement National de Transition (GNT). D’autre part, une milice somalienne appelée Alliance pour la Restauration de la Paix et Contre le Terrorisme (ARPCT) fut crée en 2006 contre l’Union des Tribunaux Islamiques, et plus généralement contre toutes formes d’islamisme radical.

Le Gouvernement National de Transition s’est mis en place en avril 2000 pendant la conférence de paix pour la Somalie qui s’est tenue à Djibouti. Ce gouvernement, soutenu par la communauté internationale, regroupe des politiciens du gouvernement Barre. En 2004, il devient le Gouvernement Fédéral de Transition (GFT) au Kenya. Il restera en exil dans ce pays jusqu’en décembre 2006, quand il a repris le contrôle de Mogadiscio grâce à l’aide de l’armée éthiopienne.

Enfin, les islamistes ont profité de l’affaiblissement général du pays, dû à la chute de l’Etat et à la guerre civile, pour gagner du pouvoir en Somalie. L’Union des Tribunaux Islamiques (UTI) revendique la restauration de la Grande Somalie, avec notamment la récupération de l’Ogaden, et l’instauration de la Charia en réponse à l’anarchie que faisaient régner les militaires depuis 1991.

La majorité de la population étant musulmane, les tribunaux islamiques ont instauré un semblant d’ordre dans un pays plongé dans le chaos. Au départ, les réseaux des tribunaux locaux étaient appréciés car ils offraient à la population des services d’éducation ou de sécurité sociale. Ils s’étaient organisés pour renforcer la sécurité du pays, mais, petit à petit, ils se sont radicalisés. La répression à été plus forte. Ils ont réussi à prendre le pouvoir sur Mogadiscio début juin 2006 mais leur gouvernance fut de très courte durée.

Déjà pendant la rébellion contre Barre, l’Ethiopie avait appuyé les Seigneurs de Guerre pour lutter contre la volonté de reprendre l’Ogaden. Elle les soutint également pendant la guerre civile, parce qu’elle soupçonnait l’Erythrée, avec qui les relations sont restées très tendues depuis l’armistice, de soutenir l’UTI en lui fournissant des armes. Cependant, devant l’échec de l’appui à l’Alliance pour la Paix et Contre le Terrorisme, l’Ethiopie officialisa, fin 2006, son soutien militaire au Gouvernement Fédéral de Transition (GFT) en prônant la légitime défense contre la montée du terrorisme. Elle envoya donc plusieurs milliers de soldats (entre 15 000 et 20 000) en Somalie combattre aux cotés de quelques 6000 soldats de l’ARPCT et bombarda les deux aéroports principaux du pays (Mogadiscio et Belidogle) en décembre 2006. En réponse à l’agression, les tribunaux islamiques lancent le djihad contre l’Ethiopie.

L’Ethiopie n’est donc définitivement pas un acteur neutre dans le conflit actuel, bien qu’elle ne soit pas directement concernée. Elle a souvent eu de l’influence sur la Somalie, que ce soit du fait des conséquences de la guerre de l’Ogaden ou par les différents soutiens qu’elle a apportés aux acteurs de la guerre civile somalienne pour tenter de l’enrayer et ainsi se protéger du terrorisme et des revendications régionalistes.

Pourquoi la communauté internationale soutient-elle l’Ethiopie ?

Après la guerre de l’Ogaden, les grandes puissances de l’époque encouragent l’Ethiopie et la Somalie à rétablir des relations diplomatiques, sans prendre vraiment partie pour l’un ou l’autre des pays. Cependant, en décembre 1992, l’ONU envoie des forces militaires en Somalie lors de l’opération humanitaire « Restore Hope », parrainée par les Etats-Unis, pour mettre fin à la guerre civile. Cette opération se termine par un échec cuisant et les troupes de l’Onusom se retirent finalement en 1995, remettant ainsi en question le nouvel ordre mondial « présidé » par les Etats-Unis et la légitimité de l’action internationale.

Aujourd’hui, la communauté internationale décide de s’allier à l’Ethiopie et de soutenir le Gouvernement Fédéral de Transition, au risque de perdre encore une fois sa légitimité aux yeux des somaliens, puisqu’elle soutient l’action de l’ ancien ennemi du pays qu’elle aimerait voir changer. Cette prise de position semble s’inscrire dans le cadre de la guerre globale contre le terrorisme. En effet, elle préfère que la Somalie soit dirigée par un gouvernement impopulaire – rappelons que le GFT n’a aucune légitimité réelle sur le territoire somalien – plutôt que par les tribunaux islamiques ouvertement antioccidentaux. De plus, soutenir le GFT lui permet d’avoir une main mise sur le pays, puisqu’il est incapable de gouverner sans aide extérieure et doit donc se soumettre aux volontés de ses « alliés ».

Néanmoins, les Etats-Unis, chefs de file de cette lute anti-terroriste, vont soutenir les Seigneurs de Guerre qu’ils jugent plus à même de combattre le terrorisme que le GFT, car ils voient dans la Somalie un « nouvel Afghanistan » qui abriterait des membres d’Al Qaeda, dont l’organisateur présumé des attentats contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie. La CIA finance donc la création de l’Alliance pour le Rétablissement de la Paix et Contre le Terrorisme (ARPCT) des Seigneurs de la Guerre afin de traquer les terroristes.

Cependant, la guerre contre le terrorisme semble servir de prétexte, comme ce fut le cas en Afghanistan, à une guerre pour le pétrole. En effet, comme le rappelle Gérard Prunier du Monde Diplomatique dans son article « liaisons dangereuses de Washington en Somalie », il ne faut pas oublier que la Somalie est très riche en ressources naturelles et que lors de la guerre civile, les firmes américaines ont perdu leur droits d’exploitation qui sont aujourd’hui le pétrole est dans les mains d’entreprises étrangères non américaines comme Total-Fina-Elf. De plus, le nord de la Somalie est une des routes du pétrole puisqu’elle longe le golfe d’Aden. Les américains ont donc intérêt à reprendre le contrôle de cette zone stratégique et voient d’un mauvais œil l’implication des autres puissances occidentales dans la gestion des ressources pétrolières de la Somalie.

Conclusion

L’Ethiopie est donc un acteur extérieur qui n’essaie pas de remettre de l’ordre en Somalie, mais bien d’intervenir de façon stratégique, entre autre pour éviter la montée de l’islamisme due à la vacance de pouvoir, et pour protéger son territoire. Ce fut le cas pendant la guerre de l’Ogaden, mais aussi lors de la guerre civile. En effet, après avoir soutenu les Seigneurs de Guerre, elle s’est finalement rallier au gouvernement fédéral de transition pour s’opposer aux tribunaux islamiques, d’autant plus que celui-ci bénéficiait de l’appui de la communauté internationale.

Plus généralement, cette dernière soutient, voire même encourage l’action de l’Ethiopie. En effet, la position stratégique de la Somalie dans la Corne de l’Afrique est un facteur qui alimente les interventions internationales. En effet, de par sa situation stratégique sur le golfe d’Aden, ses richesses pétrolières, et de par son instabilité politique, elle est souvent le théâtre d’opérations intéressées de puissances étrangères.

Néanmoins, si les gouvernements étrangers veulent réellement contrer la menace terroriste somalienne, relative mais existante, ils doivent d’avantage prendre en compte les priorités des somaliens (la paix, un gouvernement central etc..) et bien faire la différence entre une minorité de terroristes et la population totale.

Auteurs de la fiche :

  • Noémie ROUTIN

  • Emeline MAZIER

Notes