Arnaud BLIN, Grenoble, France, mayo 2000
En marge des nouveaux paradigmes : la sécurité démocratique
En marge des nouveaux paradigmes sur le nouvel ordre international, la paix, ou sécurité, démocratique, fondée sur le principe que les démocraties ne se font pas la guerre entre elles, est en passe de transformer les rapports entre les États ou les groupes régionaux. Ce phénomène, qui passe presque inaperçu tant il parait naturel, a de fortes chances de s’imposer comme le fondement des nouvelles relations internationales. Parallèlement, la sécurité démocratique permet aux institutions supranationales de s’épanouir et d’assumer un rôle grandissant pour assurer l’avenir de la paix à travers la sécurité collective. Ces nouveaux changements provoquent l’érosion du type de rapports qui gouvernaient le monde depuis plusieurs siècles, rapports qui s’appuyaient sur la puissance, principalement militaire, sur l’équilibre des forces, et sur les seuls intérêts nationaux.
Introduction
La période de l’après guerre froide, où nous sommes entrés avec fracas il y a une bonne dizaine d’années déjà, continue de nous surprendre par l’absence de paramètres solides permettant d’appréhender avec confiance la situation géopolitique dans laquelle nous finissons par nous retrouver presque par hasard. Encore aujourd’hui, il nous est difficile de comprendre les nouveaux rouages qui gouvernent les relations entre les États, dont on annonce régulièrement la disparition, mais qui semblent toujours constituer les pièces maîtresses de l’échiquier planétaire.
Les transformations géopolitiques qui secouent la planète depuis la fin de guerre froide sont comparables à toutes celles qui ont suivi les grands conflits contemporains depuis l’ère napoléonienne. Avec une différence notable : l’après guerre froide n’est pas marquée par la signature d’un traité rétablissant la paix ou par une conférence permettant à ceux qui y sont conviés de dessiner l’avenir (géo) politique de la planète (Vienne, Versailles, Yalta). Ainsi, au conflit Est-Ouest a succédé, c’est presque logique, une paix qui se définit par ce qu’elle n’est pas, au même titre que cette guerre (froide) qui n’en a jamais vraiment été une, tout au moins dans le sens qu’on lui donne généralement.
Malgré tout, un certain nombre de caractéristiques se dégagent de ce nouvel « ordre » international, dont certains avaient essayé il y a quelques années, vainement, d’affubler la nouvelle direction géopolitique du monde.
Tout d’abord, le monde est dominé par une superpuissance unique, les États-Unis, qui vont préserver leur supériorité pendant quelques décennies au minimum. Aux côtés de cette superpuissance vivent, en harmonie semble-t-il, quelques puissances moyennes dont le nombre pourrait s’accroître au fil des décennies.
Ensuite il demeure un élément perturbateur - version négative de l’ancien « gardien » de l’équilibre des forces classique - , constitué par l’ancienne superpuissance, la Introduction
La période de l’après guerre froide, où nous sommes entrés avec fracas il y a une bonne dizaine d’années déjà, continue de nous surprendre par l’absence de paramètres solides permettant d’appréhender avec confiance la situation géopolitique dans laquelle nous finissons par nous retrouver presque par hasard. Encore aujourd’hui, il nous est difficile de comprendre les nouveaux rouages qui gouvernent les relations entre les États, dont on annonce régulièrement la disparition, mais qui semblent toujours constituer les pièces maîtresses de l’échiquier planétaire.
Les transformations géopolitiques qui secouent la planète depuis la fin de guerre froide sont comparables à toutes celles qui ont suivi les grands conflits contemporains depuis l’ère napoléonienne. Avec une différence notable : l’après guerre froide n’est pas marquée par la signature d’un traité rétablissant la paix ou par une conférence permettant à ceux qui y sont conviés de dessiner l’avenir (géo) politique de la planète (Vienne, Versailles, Yalta). Ainsi, au conflit Est-Ouest a succédé, c’est presque logique, une paix qui se définit par ce qu’elle n’est pas, au même titre que cette guerre (froide) qui n’en a jamais vraiment été une, tout au moins dans le sens qu’on lui donne généralement.
Malgré tout, un certain nombre de caractéristiques se dégagent de ce nouvel « ordre » international, dont certains avaient essayé il y a quelques années, vainement, d’affubler la nouvelle direction géopolitique du monde.
Tout d’abord, le monde est dominé par une superpuissance unique, les États-Unis, qui vont préserver leur supériorité pendant quelques décennies au minimum. Aux côtés de cette superpuissance vivent, en harmonie semble-t-il, quelques puissances moyennes dont le nombre pourrait s’accroître au fil des décennies.
Ensuite il demeure un élément perturbateur - version négative de l’ancien « gardien » de l’équilibre des forces classique -, constitué par l’ancienne superpuissance, la Russie, qui insuffle un courant d’insécurité dans ce nouveau schéma. Paradoxe : hier, c’était la puissance de la Russie qui perturbait, aujourd’hui c’est sa faiblesse. Parallèlement, hier la force de l’idéologie nous inquiétait. Aujourd’hui, c’est son absence qui nous cause du souci. Hier encore, nous déplorions l’absence de démocratie dans le monde. Aujourd’hui son avènement nous préoccupe. Hier toujours, la menace d’un cataclysme nucléaire nous « obligeait » à subir la paix. Aujourd’hui, l’entrée dans la phase post-bellique de l’histoire, pour reprendre le terme de François Géré2, nous amène à penser et à vivre la paix, et non plus seulement à la subir.
Démocratie, paix, stabilité globale : nous devrions nous en réjouir, même si, comme toujours, certains en profitent plus que d’autres. L’inégalité entre les classes sociales d’autrefois fait place progressivement à une inégalité entre les nationalités, aussi injuste que l’inégalité d’autrefois car l’individu ne choisi pas de naître Européen ou Congolais et ses chances de réussite, au départ, ne sont pas tout à fait les mêmes, selon qu’il voit le jour sur un continent plutôt que sur un autre. Pour diverses raisons - qui n’incluent pas forcément celle invoquée plus haut - , la tournure géopolitique prise par notre monde continue de nous inquiéter car nous avons du mal à la comprendre et à la maîtriser.
La nouvelle gestion de la puissance
En quoi ce monde-ci est-il différent du monde d’hier ? Il en diffère principalement par la manière dont se manifestent les rapports de force entre les États et entre les groupes régionaux. Traditionnellement, la gestion de la puissance s’accomplit de deux façons : par l’équilibre ; par la sécurité collective3. Aujourd’hui, même ses partisans les plus acharnés conviendront que la sécurité collective n’est pas encore parvenue à asseoir une autorité suffisante pour prétendre gouverner de manière plénipotentiaire les relations inter-étatiques. La sécurité collective existe et progresse mais elle n’est pas (encore) dominante.
L’équilibre des forces fut pratiqué pendant de longues périodes de l’histoire, surtout en Europe. Mais toujours, l’équilibre finit par être renversé (Napoléon fait voler en éclat celui de l’Ancien Régime, l’inimitié franco-allemande fait exploser l’équilibre qui est rétabli au cours du 19e siècle). L’« équilibre de la terreur, » fondé sur la menace constituée par l’épée de Damoclès atomique, qui gouvernait l’antagonisme bipolaire de la guerre froide, aurait pu se terminer en cataclysme nucléaire (fusées de Cuba, 1962). Cet équilibre s’est effondré de lui-même avec l’écroulement de l’Union soviétique.
Désormais, le monde semble se diriger dans une autre direction où la puissance et les intérêts nationaux, considérés il y a quelques années seulement comme les composantes principales des relations internationales, commencent à s’effriter. Plusieurs facteurs sont responsables de cette évolution :
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La mondialisation (information et économie)
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La démocratisation à l’échelle planétaire
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La fragmentation et l’érosion de la puissance traditionnelle, puissance qui ne touche plus la seule puissance militaire, ou même économique, mais aussi la capacité qu’a un pays à influencer (y compris culturellement) d’autres sociétés.
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La sécurité globale qui fait que les grandes puissances industrielles vivent dans un environnement de sécurité stable.
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L’absence de volonté d’expansion territoriale de la part des pays disposant des moyens (physiques sinon psychologiques et politiques) de l’entreprendre.
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La constitution de groupes régionaux.
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L’Établissement de nouveaux types de rapports Inter-Étatiques.
L’impact de la reconversion
L’après guerre froide a généré son lot de gagnants et de perdants. Du coté des anciennes superpuissances, il apparaît de plus en plus clairement que les États-Unis ont su négocier l’après guerre froide alors que la Russie n’y est pas parvenue, contrairement au Japon et à l’Allemagne qui ont su renaître de leurs cendres après la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs éléments sont à l’origine de cette division dans la destinée des deux anciens adversaires, y compris le fait qu’ils ne sont pas (re)partis sur les mêmes bases. Toutefois, de plus en plus d’experts s’accordent aujourd’hui à dire que la composante principale du succès de l’Amérique est qu’elle a su reconvertir son économie alors que la Russie n’y est pas parvenue. La reconversion américaine n’a pas entraîné tous les résultats escomptés par les partisans les plus acharnés de la conversion de l’industrie de la défense. La bureaucratie du Pentagone et les multinationales de l’armement ont freiné cet effort. Malgré tout, les forces du marché semblent désormais peser de tout leur poids et l’économie américaine, globalement, est en train de tourner le dos à la guerre pour se transformer rapidement en une économie consacrée principalement à la paix. Cette transformation apparaît encore plus clairement dès lors que l’on compare l’état des économies des deux anciennes superpuissances.
L’impact de la démocratie
La chute de l’Union soviétique a permis au monde de constater ce qu’il soupçonnait déjà : en tant que système sécuritaire inter-étatique, la démocratie apparaît comme un moyen performant de préserver la paix. Loin de se substituer à la sécurité collective, elle lui permet, plus que tout autre système de gestion de la puissance, de s’épanouir. La sécurité démocratique et la sécurité collective sont parfaitement compatibles, contrairement aux systèmes fondés sur l’équilibre des forces avec ceux reposant sur la sécurité collective.
La démocratie apparaît sous diverses formes et avec un taux de « solidité » variable, qui n’est pas forcément, comme on l’entend souvent dire, déterminé par une quelconque « tradition démocratique » puisque le nombre de pays jouissant d’une vraie tradition démocratique longue de plus d’un siècle ou deux se compte à peine sur les doigts d’une seule main. Les événements quotidiens nous rappellent aussi que rien n’est jamais gagné en matière de démocratie : l’arrestation du Général Pinochet a fait apparaître les fissures d’une démocratie chilienne pourtant citée en exemple (et s’appuyant sur cette fameuse « tradition démocratique »). En revanche, L’Allemagne, dont la tradition démocratique remonte à peine à quelques décennies, est une démocratie parfaitement épanouie. La démocratie se gagne au prix d’efforts considérables. Ce phénomène indiscutable n’est peut-être pas assez pris en compte par les partisans de la démocratisation dans le monde, y compris par les hommes politiques occidentaux qui mènent une action vigoureuse à l’étranger pour promouvoir la démocratie dans le monde. Quoiqu’il en soit, le nombre de démocraties dans le monde, quels que soient leurs niveaux respectifs de développement politique, a explosé au cours des dernières années.
S’il est un facteur qui semble peser sur la conduite des relations internationales, c’est bien celui de la démocratie. Le phénomène de la paix démocratique ou, si l’on préfère, de la sécurité démocratique est tellement évident que c’est à peine s’il est mentionné par les grands penseurs de la politique internationale contemporains. Les nouveaux paradigmes (la « fin de l’histoire » (Fukuyama), le « choc des civilisations (Huntington), » la géopolitique des « États pivots » (P. Kennedy)) ou les analyses plus traditionnelles de Brzezinski et de Kissinger en font à peine état. Certes, l’impact de ce phénomène est réel; mais d’abord, il parait presque naturel et, surtout, il ne frappe pas les imaginations et ne fait lever aucune peur ou menace (comme, par exemple, le « choc des civilisations »). Cependant, le système de sécurité démocratique est un système sécuritaire révolutionnaire, dans le sens qu’il constitue un phénomène nouveau, aussi bien sur le plan régional (Europe, Amérique (Nord et Sud)) que mondial, et qu’il est en train de se substituer aux systèmes qui ont gouverné le monde géopolitique depuis plusieurs siècles. Enfin, c’est un phénomène qui a de fortes chances de durer.
Les analyses théoriques sur la sécurité démocratique sont pratiquement inexistantes, hormis les textes philosophiques classiques qui ont un caractère principalement normatif (Kant). Cependant, de nombreux politologues, depuis une vingtaine d’années, ont démontré de manière empirique que les démocraties ne se font pas la guerre entre elles. Ce constat, devenu « axiome », a été progressivement adopté au cours des dernières années comme l’un des fils conducteurs de la politique officielle de l’Amérique. Il est vrai qu’il s’accorde avec toutes ses valeurs traditionnelles. Sûrement, le concept de sécurité démocratique prend corps. Il est désormais une réalité. Renforcée par une économie mondiale qui est désormais une économie de paix, et « imposée » par la superpuissance dominante, la sécurité démocratique occupe une place de plus en plus grande dans les relations internationales contemporaines. Le rôle de la sécurité collective continue à s’accroître. Les intérêts nationaux la lutte pour un certain pouvoir continuent à marquer les relations entre les états, mêmes amis. La sécurité démocratique semble aujourd’hui prédominer.
La sécurité démocratique n’empêche pas les différents entre les États démocratiques (France et États-Unis par exemple) mais elle met en lumière des rapports qui ne sont pas uniquement fondés sur des intérêts nationaux. Ainsi, les années quatre-vingt-dix ont vu l’épanouissement de nouveaux rapports entre les États, lesquels peuvent être mis en parallèle avec les rapports appliqués traditionnellement aux relations amicales. C’est ainsi, par exemple, que s’explique la politique de la France vis à vis des pays arabes. Généralement, les rapports politiques entre pays démocratiques suivent ce schéma, qui n’est pas nouveau : Aristote, père fondateur de la science politique, en avait fait la base de sa nouvelle science.
Conclusion
En marge des conflits contemporains, dont on a l’impression qu’ils gouvernent désormais la politique internationale, est en train de s’établir un nouveau type de rapports entre les acteurs politiques traditionnels, États ou groupe régionaux. Comme tous les phénomènes ternes en apparence, celui-ci émerge loin des projecteurs de l’actualité. Sa progression parait lente, surtout mesurée à l’âge de l’information, où tout semble s’accélérer de manière exponentielle. La démocratisation de la planète, avec ses heurts et ses déconvenues, progresse inéluctablement alors que les pays ancrés dans la démocratie continuent à renforcer leurs institutions dans ce sens. Cette évolution permet à la sécurité démocratique de s’étendre et de s’établir. Parallèlement, la nouvelle stabilité démocratique devrait permettre aux organisations supra-nationales comme l’O.N.U. d’assumer un rôle grandissant pour assurer l’avenir de la paix. En un pas lent mais sûr, la sécurité démocratique est en passe de transformer le monde politique au XXIe siècle.