Catherine Rouhier, Grenoble, France, febrero 2006
De l’agressivité à la violence
Mieux appréhender ces deux concepts dans l’élaboration d’une éducation à la paix
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De l’agressivité à la violence
A - L’agressivité
L’agressivité est une tendance à attaquer l’intégrité physique ou psychique de l’autre.
Mais elle est aussi une composante du dynamisme général de la personnalité et des comportements adaptatifs d’un individu.
Cette double définition met en évidence l’ambiguïté majeure de ce concept. La traduction anglaise utilise deux mots différents qui permettent de sortir de cette difficulté. « Agressivity » traduit l’agressivité dans son sens négatif commun alors que « Agressiveness » fait référence à une agressivité positive et serait synonyme de combativité. Cette distinction est intéressante car elle donne le moyen d’envisager le comportement agressif sous un autre angle, comme tentative plus ou moins réussie d’adaptation à l’environnement, comme puissance d’affirmation de soi.
La dimension subjective de l’agressivité ne facilite pas non plus la clarification de ce concept car ce qui est pour l’un, un geste agressif, est pour un autre une simple boutade, pour un autre encore une menace ou enfin ne suscite chez ce dernier, aucune réaction. L’agressivité dépend en effet pour chaque individu de son seuil de tolérance qui dépend lui-même de son vécu familial et social et du seuil de tolérance de la société.
Tout comportement humain a un rapport avec l’agressivité. « Agressivity » et « Agressiveness » sont de même nature. L’éducation, dans ce domaine, consiste à ne pas tuer l’agressivité combative en voulant apprendre le contrôle de l’agressivité négative.
Nous ne nous intéresserons ici qu’à l’agressivité négative.
Quelles sont les caractéristiques de l’agressivité ?
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C’est une attitude destinée à nuire personnellement à une autre personne ou à soi-même.
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Il ne peut y avoir agressivité sans un certain plaisir à faire souffrir l’autre ou à se faire souffrir.
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Le lien avec l’autre n’est jamais rompu.
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Le « visage de l’autre » , selon l’expression du philosophe Levinas, n’est pas nié, il reste présent chez l’agresseur durant tout le conflit.
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L’autre, après le conflit, redeviendra un interlocuteur avec qui la coexistence est possible.
Les recherches en biologie ne sont pas encore aujourd’hui probantes et aucun élément n’a été retrouvé comme étant lié de façon indiscutable et spécifique à l’agressivité.
Les travaux des neurophysiologistes et, en particulier, ceux de Karli, définissent trois niveaux :
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un niveau réflexe pré-programmé neurologiquement.
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Un niveau plus élaboré où interviendrait l’affectivité en fonction du vécu personnel. L’hypothalamus permettrait que le stimulus, par référence aux traces mnésiques, acquière une signification et une force affective.
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Un troisième niveau confrontant le sujet à ses expériences personnelles et à un contexte socio-culturel. Ce niveau-là demande une élaboration et un contrôle. Le cortex préfrontal jouerait le rôle essentiel de modulation et de contrôle.
La psychologie insiste sur le rôle des carences affectives précoces, des gestes et paroles agressives adressées très tôt par l’environnement, des frustrations dans tous les domaines imposées au sujet. La précocité de l’enracinement de l’agressivité ne permet pas au bébé d’élaborer une défense constructive. Dès lors, les réactions face aux frustrations peuvent être alimentaires (vomissements), langagières (cris, hurlements), ou comportementales en développant un état d’inhibition ou d’apathie, de retrait par rapport au monde, ou, au contraire , une agitation permanente pour lutter contre l’anxiété. Si aucune rencontre, aucune prise en charge éducative dans d’autres milieux n’est là pour soutenir cet enfant dans son développement psychologique, il a de très fortes chances de devenir une enfant puis un adolescent et un adulte agressif.
Ce qui permet à chacun de contrôler la « dose excessive » d’agressivité, c’est l’ambivalence des sentiments propre à l’humain : nous avons en nous la capacité de haïr ceux-là mêmes que nous aimons. Cette capacité nous entraîne, du côté de la haine, vers des comportements agressifs, mais grâce à l’amour elle nous protège de la violence car nous n’oublions jamais durant tout le temps du défoulement agressif la personne – l’autre qui est en face de nous.
B - La violence
La violence (du latin vis : force, vigueur, caractère de ce qui est indomptable)
Est une force brutale qu’un être impose à un autre ou à d’autres, pouvant aller jusqu’à la contrainte exercée par l’intimidation et la terreur.
Il y a lieu de distinguer agressivité et violence car ces deux concepts ne sont pas de même nature. Ce n’est pas une question de degré entre ces deux comportements. Bon nombre d’humains ne franchiront jamais le pas de la violence. Les adolescents et les adultes qui passent à l’acte de la violence sont mus par une pulsion difficilement contrôlable.
La violence est du registre de l’instinct de survie. L’activité vers laquelle tend la pulsion n’est pas de nuire à l’autre mais de survivre. Le seul but recherché concerne la sécurité du sujet et peu importe pour ce sujet, dans l’instant de la violence, du dégât fait à l’autre.
Les mécanismes de la violence
« La violence se donne toujours comme n’ayant pas commencé, la première violence c’est toujours l’autre qui la commet. » J.P. Sartre.
Les étapes décrites au cours de cette étude sur la violence ne le sont que pour la clarification du propos, car dans la réalité, toutes ces étapes sont imbriquées les unes dans les autres ce qui rend le phénomène de la violence plus complexe mais ceci aura l’avantage de préciser le processus.
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Le « JE » menacé
Que fait l’autre ? Il menace le sujet dans son identité. L’image de soi est menacée, humiliée, dévalorisée, bafouée, l’amour-propre est blessé. Le facteur spécifique, privilégié susceptible de déclencher la violence, c’est cette menace d’effraction ou de désorganisation qui disqualifie le sujet et atteint si intensément le moi qu’il crée une blessure profonde ou blessure narcissique. Il y a un lien entre le risque vital mettant en cause l’identité du sujet et la violence qui le saisit comme réponse anticipée à la violence qui peut lui être infligée.
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une déshumanisation ou « l’effacement du visage »
La violence dépouille l’autre de sa qualité humaine unique. L’autre, par sa menace, peut arracher au cœur de celui qui la subit tout sentiment. Le sujet atteint par la violence retire à celui qui l’a menacé le statut de semblable à lui. Il le déshumanise, il efface son visage et pour reprendre les termes de Levinas « Voir un visage, c’est déjà entendre tu ne tueras point. »
Le visage de l’autre suscite une tension permanente et en le chosifiant, en lui enlevant son humanité, il sort du champ d’application des règles morales.
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la déliaison des pulsions
La pulsion est dualiste : Eros et Thanatos, pulsion de vie et pulsion de mort ( l’amour porté par la pulsion de vie, la haine portée par la pulsion de mort). Dans le cours normal de la vie, ces deux pulsions sont liées. La pulsion de de vie, jointe à l’éducation modifie le cours de la pulsion de mort en la dérivant, en l’atténuant ou en la différant. Ceci est la condition du lien social. Dans la violence, la pulsion de mort s’éveille à l’intérieur de la personne à un degré extrême et ne peut être adoucie par la pulsion de vie. Délier les pulsions est pathologique. L’autre ne peut plus être bon et mauvais, il est tout mauvais.
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La désymbolisation
Toute médiation entre fantasme et réalité est abolie. La personne est dans une dimension où l’activité symbolique est rendue impossible et disparaît. L’autre n’est plus celui que l’on imagine pouvoir menacer, l’autre est celui dans le réel qui menace. La violence stoppe tout processus de représentations mentales, toute possibilité de mise en scène psychique. C’est en effet grâce aux représentations métaphoriques, aux « parades imaginaires » que le sujet peut donner à sa violence une forme acceptable et échangeable à travers des mots. La crise vient faire vaciller les positions imaginaires symboliques. Dans ce processus aucune médiation langagière n’est possible, l’imagination est hors jeu et dans l’incapacité de rendre présentes des images venant adoucir la haine. Le psychisme du sujet se trouve vidé et développe un état de sidération et de « suffocation de la parole » dû à un blocage du système de représentations mentales.
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Le passage à l’acte
La perte de l’activité symbolique conduit immanquablement à l’utilisation de la force brutale qui peut aller jusqu’au meurtre. Le passage à l’acte implique que la personne ne pense plus. Elle disjoncte, devient folle, explose.
Dans l’impossibilité d’avoir mis des mots sur l’expérience, dans l’impossibilité de pouvoir en jouer, de pouvoir l’imaginer, elle est la proie violente d’une réalité non maîtrisable « comme folie temporaire d’un sujet aliéné dans un comportement explosif » . Il y a un court-circuit de la pensée par l’acte qui fait sens. L’acte vient nommer ce qui ne peut se dire autrement. Tout se passe comme si la personne n’était pas impliquée lors de son acte destructeur, comme « si elle était hors jeu » . Elle préserve sa propre vie en détruisant celle de l’autre. Dans le face à face, il n’y a pas d’alternative, ce qui veut dire qu’il ne saurait y avoir de place pour l’autre puisque c’est soi-même qui doit vivre. C’est le retour aux formes archaïques de la barbarie. La violence est une parole sans voix.
C - Réponses à la violence
Il s’agit de soigner la violence en permettant une meilleure intégration psychique à l’aide d’un certain nombre de moyens :
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Mettre l’individu en face d’adultes qui ont été en mesure d’intégrer leur violence dans la vie quotidienne
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Lui faire entendre très fortement l’interdit de faire du mal à l’autre. La violence est un appel à la Loi : l’homme ne peut vivre sans normes, sans objectifs, sans repères, sans sens. Il est essentiel de nommer les limites au-delà desquelles il ne doit pas s’engager car il a besoin d’entendre ces interdits.
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L’aider à élaborer sa violence en apprenant à retarder le passage à l’acte : la situation traumatique exige pour le sujet violent une décharge immédiate. L’intensité des émotions soulevées empêche tout processus de pensée. Le moi, en panne de moyens de défense, se trouve aux abois, les représentations mentales qui pourraient soutenir le Moi et permettre une réponse plus adéquate sont en retard par rapport aux affects. Il va donc s’agir d’aider le sujet violent, dans un travail de « rééducation » , à imaginer des « chaînons intermédiaires » - les représentations mentales – susceptibles de lier l’excitation traumatique (réalité externe) à sa réalité interne. L’image assure cette fonction de liaison et de transformation de la tendance à l’agir tout de suite. Sans ces « chaînons intermédiaires » le sujet est en impasse de symbolisation, il cogne.
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Transformer le dispositif pulsionnel en une force créatrice : la sublimation, selon Freud, est une issue à la violence en permettant le déplacement de cette quantité de force extrêmement grande sur autre chose. On nomme cette capacité d’échanger le but originaire contre un autre but, la capacité de sublimation. C’est un travail à accomplir par tout sujet et qu’il faut mener à bien.
Ceci engage un travail psychique. A. Gibeault explique qu’il faut aider l’autre à sortir de l’impasse liée à un moment de rupture psychique en permettant une élaboration et une transformation de l’agir en une capacité de plaisir à créer. L’idée d’une transformation, d’un passage de la quantité à la qualité implique obligatoirement un travail psychique. Il suppose un double mouvement : à la fois préserver toute l’intensité de la pulsion et en même temps dériver la charge pulsionnelle vers des voies en accord avec l’accomplissement ou la réalisation du moi. Ce processus est déterminant pour la construction du sujet, il est à la base des activités scientifiques, sportives, artistiques, idéologiques, c’est à dire à l’ensemble des activités qui jouent un rôle fondamental dans la vie des êtres.
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Introduire la médiation : à partir du moment où le sujet ne peut plus trouver de limites, où il perd la possibilité de se protéger lui-même, l’une des façons de sortir de cette situation est d’introduire un tiers dans la relation.
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Retisser le lien social
L’ecole de la paix tente, à travers ses animations, ses outils pédagogiques et ses formations, en activant les ressources de l’imaginaire de remettre en œuvre un processus de symbolisation, étape essentielle vers un pacte d’alliance.
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