Le rôle de l’imaginaire dans l’éducation à la paix et au vivre ensemble.

Images et représentations mentales intégrées à une démarche éducative.

Il s’agit de comprendre de quelle manière les images peuvent naître et s’organiser (à partir de l’expérience multi sensorielle première) pour s’intégrer à une démarche éducative qui facilite le processus d’apprentissage notamment celui de la paix et du vivre ensemble.

• Rappel: de quel imaginaire parlons nous ?

L’imaginaire s’entend ici comme « monde des images et des représentations » ou « environnement relationnel de l’image ». Il est compris comme « un redoublement, une représentation du monde », C’est aussi un rapport instauré entre ce qui est présent et absent. Or, ce rapport entre présence et absence (ou entre l’objet externe et soi) s’instaure par le biais d’images mentales.

• Réflexions menées à l’école de la paix sur les Images et représentations mentales}}

Les articles « Imaginaire et vivre ensemble » publiés par Catherine Rouhier et « images et représentations mentales »*, co-écrit avec Michelle Jacquet Montreuil font état de ces réflexions. Ils donnent des informations sur la base théorique à partir de laquelle les professionnels du pôle éducatif mobilisent l’imaginaire dans leur pratique de l’éducation à la paix et au vivre ensemble.

Le rôle de l’imaginaire dans l’éducation à la paix et au vivre ensemble se comprend ainsi à partir d’un travail sur les images et les représentations mentales en tant que matériau du processus de symbolisation.

Le découpage du processus d’élaboration des images mentales, constitue autant d’étapes minimales sur lesquelles se fonde une démarche pédagogique visant à mobiliser l’imaginaire des enfants (ou tout public concerné).

(*): Caractéristiques des images et représentations mentales à prendre en compte dans une démarche éducative.

Les images et les représentations participent d’un processus d’invention et de création

• Rappel: imaginaire approche du sens commun

L’imaginaire n’est pas nécessairement la faculté de l’irréel ni un processus de reproduction d’images à l’identique mais plutôt de transformations dynamiques, voire d’interprétations continuelles.

Elles sont liées à l’affectif:

« Le plaisir enrichira l’imaginaire, du désir de renouveler l’expérience; le déplaisir, au contraire inhibe l’engagement et peut aller jusqu’à rejeter toute idée et toute action."

Elles ne sont jamais formées une fois pour toute:

Ce processus de création de représentations mentales s’élabore constamment: « Il y a des mouvements de construction suscités par des expériences positives, des mouvements de déconstruction et même de destruction provoqués par des expériences pénibles, voire même douloureuses, à quoi peuvent succéder des mouvements de reconstruction, tous nécessaires à l’élaboration du processus."

Exemple: « Ainsi, un jeune peut avoir intégré complètement la valeur de solidarité, s’être engagé dans une action et ne pas trouver de réponse de solidarité pour lui même à un moment de sa vie où il en aurait eu besoin. Cette découverte risque d’effacer pour un temps ses représentations mentales dynamiques. Il peut rentrer dans un processus de déconstruction de cette valeur au moment où il fait cette expérience douloureuse. La vie lui permettra, ou non, la reconstruction d’autres représentations mentales."

Les images et représentations s’organisent en « chaînes de représentations » qui vont permettre au processus de symbolisation de s’opérer …

« Les représentations mentales s’associent pour constituer une chaîne (par exemple: clown - nez rouge - rire - cheveux orange – jonglerie – acrobatie etc." Ceci constitue une chaîne. Il peut y en avoir d’autre selon les personnes… « Après acrobatie, le sujet peut passer à artiste, ce qui l’entraîne dans une autre chaîne (artiste - imagination … etc.) et ainsi de suite… Il va pouvoir penser le clown, le décrire, en parler de façon personnelle et originale)"

Les connexions ne peuvent s’établir que par la rencontre avec l’autre et l’échange d’idées…etc.

Cet échange peut se réaliser au travers d’une rencontre avec l’autre en personne ou au travers d’une histoire, d’un film, d’un événement, d’une situation… ou de tout autre moment vécu, présent ou passé : autant de supports pour l’expression de l’imaginaire.

« A ce titre doivent être débattus les textes fondateurs de la pensée humaine : mythes, philosophies, religions, légendes, contes, et tout ce qui ressort des humanités ou des sciences. Ces divers documents contiennent des représentations du ’vivre ensemble’ de la paix ou de la guerre qui permettent à l’esprit de se construire, de faire des choix, de s’émanciper."

(*) Un processus nécessaire à l’intégration des images mentales.

L’établissement de liens entre plusieurs chaînes de représentation détermine la qualité de l’intégration des images mentales.

Dans les « Nourritures affectives », Boris Cyrulnik remarquait ce qu’il a appelé une « pulvérisation du sens » liée au manque de temps pour permettre d’imprégner les êtres, les gestes et les choses.

Lorsqu’ elles sont trop rapidement perçues : « Elles (les images) restent non symbolisées, non identifiées par la parole, non construites. Ces images peuvent surgir à tout moment dans la tête de l’individu s’interposer au delà de toute réflexion et entraîner des actes humainement incompréhensibles."

En ce sens, identifier les étapes du processus de symbolisation, correspond à identifier des étapes de production de sens. De plus, apprendre à décomposer le processus d’élaboration des images que l’on forme mentalement c’est se prémunir contre les risques de manipulation de ces images tout en introduisant le goût de la recherche et du doute face à des images pouvant se présenter comme totales. Dans la perspective d’une démarche éducative associée à l’imaginaire producteur et organisateur d’images, se dessine alors la nécessité de marquer les temps d’élaboration de ces images.

(*) Des temps nécessaires à l’élaboration de l’image mentale.

Trois étapes à intégrer dans une démarche éducative: De la « perception » (à partir de l’expérience) pour aller vers la verbalisation (échange/débat) en passant par l’« évocation » (remémoration):

Différentes formes d’images naissent de la perception :

Les activités éducatives de l’école de la paix sont fondées sur des savoirs de base tels que: la fabrique d’images ou de représentations mentales se font à partir de l’expérience multi sensorielle.

Une situation, un évènement, une image, un texte, un discours va laisser en chacun des traces par l’intermédiaire des différents organes sensoriels (Ce qui parvient du monde extérieur laisse une impression: impression sonore, visuelle, olfactive, tactile ou gustative). Les évènements extérieurs ont aussi un écho qui peut être ressenti au niveau des muscles ou de l’affectivité.

Ces images peuvent prendre différentes formes. Certaines personnes les enregistrent plus facilement sous forme d’images visuelles, ou selon des habitudes évocatives auditives, sous forme d’images sonores. D’autres privilégient des images verbales, elles se parlent pour évoquer ce qui les entoure. L’évocation peut être kinesthésique, à partir de gestes ou du ressenti. Cette évocation est souvent le point de départ d’une autre évocation dans le domaine intellectuel, évocation visuelle, verbale ou auditive.

De la perception pour aller vers l’évocation

Antoine de La Garanderie a distingué deux temps dans le processus d’intériorisation d’un évènement extérieur: la perception et l’évocation.

• « La perception » : Prise de contact avec l’information par les différents organes sensoriels.

• « L’évocation » : Acte de redire, revoir dans sa tête ce qui a été perçu par les sens.

« La distinction entre perception et évocation a des conséquences pédagogiques très importantes car l’évocation va nous permettre d’isoler le moment où notre cerveau fait le transfert des données du perceptif au cognitif soit le moment de compréhension et d’assimilation, afin d’en décrire certains aspects pour lui faire toute sa place."

L’évocation comme première étape de construction du sens

L’évocation est un retour intérieur et actif construit sur des impressions de différentes natures pour les structurer, leur donner un sens, pour les interpréter et les mettre en relation avec des éléments déjà connus, ou simplement pour les coder et les garder en mémoire. C’est le temps où l’individu, à partir des traces perceptives, fait une interprétation personnelle qui va constituer pour lui le sens de la réalité d’un évènement extérieur.

A priori, l’évocation est une activité interne qui n’est pas directement visible par l’observateur extérieur. Il est possible cependant d’en prendre conscience et d’agir sur certaines modalités de cette évocation.

Au début de chaque séance des activités éducatives proposées par l’école de la paix, un temps d’évocation est instauré C’est un temps de remémoration des perceptions issues de l’expérience personnelle et/ou des séances précédentes.

De l’évocation à la mise en mot et en récit

Une des convictions des professionnels de l’école de la paix est que l’imaginaire en tant que processus de création d’images mentales ne pourrait se développer sans passer par l’échange, le débat et la création. Ces images ont besoin d’être élaborées par une parole sinon elles sont stockées à l’état brut et ne conduisent pas à la formation d’une pensée.

Une étape intermédiaire de représentations

Elle se réalise par la création d’un support qui peut prendre toute sorte de forme (poème, sculpture…)

Le but de la symbolisation est d’enrichir l’univers mental en stockant des images, afin d’être en mesure de les mobiliser pour soi à l’occasion d’expériences nouvelles. Ainsi par leur polysémie et leur richesse de contradiction constitutive les chaînes de représentations permettent de dépasser les éventuelles difficultés liées à ces expériences. Elles permettent aussi d’enrichir au passage les représentations déjà stockées et/ou d’en élaborer de nouvelles pour compléter les anciennes.

Les expériences seront vécues d’autant plus pleinement qu’elles feront sens pour la personne puisqu’elles viendront s’inscrire dans des représentations acquises lors d’expériences passées. La personne pourra mentalement établir des liens entre ces expériences par le biais de chaînes de représentations voisines, juxtaposables ou opposables aux nouvelles représentations. Bref, Cette personne enrichira son rapport au monde qui l’entoure parce qu’elle aura à sa disposition des « outils mentaux »: les représentations en réseaux permettant de mieux comprendre, questionner, remettre en question le monde qui l’entoure.

Cette étape est importante pour permettre aux apprentissages de se transformer en action car les représentations ainsi stockées seront mobilisables et utilisables par chacun, au moment voulu.

Dans les pratiques d’éducation à la paix et au vivre ensemble, il s’agira de s’assurer que l’échange (par lequel les représentations mentales prennent forme) ait bien lieu, dans des conditions propres à faciliter l’acquisition des représentations et leur stockage.

C’est dans ce processus d’aménagement des productions de l’imaginaire qu’interviendront les supports/guides d’expression que sont les outils pédagogiques de l’école de la paix.

La quatrième étape à intégrer dans la démarche éducative est celle de l’action: Il s’agit alors de se représenter pour agir

La remémoration peut être facilitée par un geste mental qui va lui même va être représenté avant d’être actif. (Le geste mental est une étape du processus de représentation).

Par exemple, les sportifs de haut niveau repassent mentalement le geste physique à accomplir avant de l’effectuer.

« Effectuer un geste mental consiste à faire subir, consciemment et dans un but précis, un certain traitement à des représentations mentales. Par exemple, s’imaginer dans l’avenir et se redire ce que l’on veut retenir, écouter en se redisant dans ses propres mots ce qui est dit, superposer mentalement deux images en observant ce qui coïncide et ce qui diffère »

En ce qui concerne le vivre ensemble, il est nécessaire de se représenter les gestes à faire pour qu’un enfant brimé par un autre fasse la démarche de se référer à un adulte, il lui faut se représenter son discours, sa situation…

A l’école de la paix, les concepteurs et les utilisateurs des outils pédagogiques conçoivent tous que l’image mentale (idéalement issue de la succession des étapes: évocation - expérience – échange/débat – représentation), sera d’autant plus efficace qu’elle donnera lieu à une création, voire le plus souvent une co-création, plastique, kinésique, musicale ou autre. L’étape de création est dans la plupart des cas intégrée aux outils pédagogiques.

(*) : Représentations et développement potentiels des apprentissages.

Les mécanismes d’acquisition des représentations sont orientés vers l’action et constituent par leur processus même une source d’apprentissage.

Les représentations mentales (sous forme de chaînes de représentations) sont à la base de notre capacité à penser. Par leur organisation en récits (individuels ou collectifs), elles permettent à l’esprit de se construire, de favoriser la créativité et l’étayage du lien social. Elles sont les instruments de la mémoire à la fois cognitive et psychologique :

Du point de vue cognitif, les représentations permettent « d’effectuer un codage en propriétés figuratives des éléments proprement verbaux (des mots) ou représentations mentales ». Elles enrichissent ainsi les connaissances, la vision, les perceptions…

Exemple: « Si je dois mémoriser ce qu’est un clown, sans support de représentation mentale ou d’image, je risque de retenir seulement que c’est un personnage de cirque ; avec le support d’une représentation visuelle, je pourrais dire que c’est un personnage de cirque grotesquement habillé et si par chance, j’ai plusieurs représentations car j’ai vu un clown sur scène, je pourrais ajouter qu’il exécute des activités comiques et j’obtiendrais ainsi presque la totalité de la définition du clown ».

D’un point de vue psychologique, les représentations « sont le fondement de la construction de notre propre histoire individuelle (…) Une même histoire partagée par plusieurs personnes peut générer des représentations multiples (…)"

Ainsi suivant cette réflexion, lorsque nous analyserons les outils pédagogique nous tenterons d’en dégager les étapes suivantes:

• 1. Evoquer mentalement : faire l’état des lieux des images et des représentations mentales stockées par chacun au sujet du thème abordé.

• 2. Expérimenter (perception) : cette étape se réalise au travers d’exercices films, expositions, histoires rencontres…etc.

• 3. Echanger, débattre, partager (verbalisation) : la représentation élaborée peut être, juste, fausse ou erronée, cette étape laisse des possibilités de correction et d’enrichissement.

• 4. Se remémorer (créer) : après s’être remémoré le travail, créer un support individuel ou collectif qui enracine tout le travail réalisé.

• 5. Agir, s’engager ensemble ou individuellement : soutenir la démarche: l’enraciner dans une action.

Tous les professionnels du pôle éducatif reconnaissent ces étapes au cœur de leur pratique. Certains d’entre ces professionnels appréhendent et mobilisent aussi l’imaginaire selon des modèles de pensée qui diffèrent quelque peu de celui ci, et privilégient dans leurs interventions auprès des enfants, l’approche socio anthropologique des théories de Gilbert Durand des « trois modes interactifs de l’imaginaire » (héroïque - mystique – cyclique).

Au travers des outils pédagogiques de l’Ecole de la Paix (dans leur construction intrinsèque comme dans leur mise en œuvre sur le terrain), apparaît la manière dont l’imaginaire est sollicité et mobilisé. Ce recours à l’imaginaire se réfère à un ensemble de « savoirs et savoir-faire » acquis par les professionnels du pôle éducatif et mis en œuvre dans leurs pratiques de l’éducation à la paix et au vivre ensemble.

« Notre travail de ces dernières années et la réflexion sur la culture de paix nous conduisent à considérer que, pour qu’une action d’éducation fasse progresser et contienne le concept culture de paix, il faut qu’elle soit constituée par une partie théorique et une partie pratique (réalisation d’une action) basée sur un travail d’analyse (réflexion et éducation à la paix). Ce qui débouche sur une méthode pédagogique. Intégrer les actions à des cas particuliers et publics diversifiés. Notre réflexion se rapproche de celle de Michel Serres sur le «tronc pédagogique commun» pour une population type universitaire, et dans lequel un programme permettrait d’ouvrir à la culture de paix." (13 mars 2003. Entretien avec Richard PETRIS dans doc Edp)

Notes et références :

• (*) : Catherine Rouhier, responsable bénévole du pôle éducatif de l’école de la paix - membre du bureau et du C.A. - a participé à la plupart des ouvrages pédagogiques.

• Michelle Jacquet Montreuil: sociologue ayant aussi participé à l’élaboration de nombreux outils de l’école de la paix - Auteur d’une thèse de doctorat en sociologie - « La fonction socialisante de l’imaginaire » - université de Savoie - sous la direction d’Yves Durand - Chambéry - le 16 - Mars 1998.

• Pédagogie de l’évocation ; une introduction pratique à la gestion mentale - rédigée à partir de « Pensée mathématique et gestion mentale » Alain Taurisson, Bayard éditeur - mots clefs: évocation, perception sur le site ; communauté virtuelle : aide individualisée de recherche - www.educreuse23.ac-limoges.fr/projets/favard/IintroGM.html

Notes

Prochainement sur le site de l’Ecole de la Paix - Imaginaire au service de la Paix et du Vivre ensemble - Site élaboré par isabelle Stolar lors de son stage à l’EdP de septembre 2005 à janvier 2006.

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