Analysis file Dossier : Travaux des participants aux formations de Modus Operandi

, République Démocratique du Congo, January 2014

Contrôle du pouvoir coutumier au Kasai Occidental

La répartition territoriale de la RD Congo confère la gestion de certaines entités territoriales aux autorités traditionnelles/coutumières. Les règles de succession et de transmission de ce pouvoir s’entremêlent quelques fois avec l’influence des autorités hiérarchiques étatiques. Ce qui engendre souvent des conflits dont celui objet de cet article, qui est basé sur le contrôle du pouvoir coutumier avec deux détonateurs : la gestion du marché local et l’exploitation des terres agricoles par les deux communautés en conflits.

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I. Présentation

Ce conflit a eu lieu en République Démocratique du Congo dans la province du Kasai Occidental, territoire de Dibaya, secteur de Kamuandu, localité de Kankunku pendant la période de 2008 à 2012. Il s’agissait essentiellement d’un conflit pour le contrôle du pouvoir coutumier.

Deux frères issues d’une même famille dont Kamenga l’aîné et Kankunku le cadet, avaient créé deux villages qui avaient toujours vécu en bonne entente jusqu’à l’éclatement du conflit en 2008.

Les deux protagonistes Kankunku et Kamenga étaient les chefs de leurs villages respectifs mais Kankunku était chef de groupement de l’espace de ces deux villages. Suivant certaines règles et coutumes, un groupement peut en affranchir un autre en le rendant autonome. Le Chef Kankunku n’avait jamais voulu affranchir Kamenga ; ce dernier avait malgré tout mené des démarches administratives dans ce sens et obtenu son affranchissement comme groupement autonome, à côté de Kankanku qui, lui, avait continué de ne pas le reconnaître comme tel.

Pour montrer son influence, Kankunku avait cherché à délocaliser le marché de Kamenga vers chez lui pour en avoir le contrôle, se considérant toujours comme le gestionnaire de l’espace de ces deux villages. Naturellement Kamenga et ses alliés s’y étaient opposés. Kankunku avait alors installé un marché parallèle pour faire ombrage au marché de Kamenga. Malheureusement pour lui, le marché de Kamenga avait conservé tout son succès auprès des autres villages. De même, toutes ses actions en justice pour accuser l’autre camp d’usurpation de pouvoir sur des terres dont il revendiquait l’appartenance et pour obtenir réparation avaient été déboutées, en première comme en deuxième instance.

Kankunku était ensuite passé à la vitesse supérieure et avait interdit aux communautés Kamenga d’accéder à leurs champs sur les terres supposées lui appartenir, privant ainsi ces communautés des moyens de subsistance. Pire encore, il avait donné l’ordre à sa population de s’approprier les champs de la communauté Kamenga supposés être dans son groupement. Cette décision avait exacerbé les tensions. L’interdiction de la hiérarchie territoriale faite aux deux communautés de fréquenter les zones en conflits n’avait rien changé à la volonté de Kankunku de s’imposer et de maintenir son influence.

En mai 2012, la population de Kankunku avait multiplié les menaces d’agression contre les populations de Kamenga jusqu’à faire des signes de déclaration de guerre le 28 mai 2012.

Prenant la chose au sérieux, le chef Kamenga s’était déplacé pour alerter les autorités au chef lieu de la province à Kananga tout en demandant à ses administrés de rester au village.

Deux incidents ayant trait au passage à tabac de trois personnes de Kamenga par les ressortissants de Kankunku avaient ravivé encore d’avantage les tensions. La poudre au feu s’était déclenchée à la découverte du cadavre d’un ressortissant du village de Kankunku. La police, après investigation, avait attribuée cet assassinat aux habitants de Kamenga et l’avait fait savoir aux habitants de Kankunku. Ces derniers avaient alors organisé une expédition punitive dans le village de Kamenga avec machettes et fusils de chasse, en brûlant tout sur leur passage. Les habitants n’avaient eu d’autre choix que de prendre la fuite.

De façon non exhaustive il avait été fait état des dégâts suivants :

  • 150 ménages sans abris et dont les cases ainsi que tous les biens ont été incendiés et pillés ;

  • L’Institut technique social de Kamenga totalement incendié ;

  • Le célèbre marché de Kamenga incendié ;

  • 2 moulins appartenant à des individus incendiés ;

  • 3 églises locales incendiées ;

  • Le centre de santé incendié ;

  • Le bétail et la volaille de la population incendiés ? ;

  • 2 morts dont le jeune homme de KANKUNKU et le vieillard de KAMENGA ;

  • L’argent ainsi que des biens de valeur brûlés dans les cases incendiées, etc.

II. Contexte

Deux groupements vivant ensemble depuis des années parce que descendant de la même famille, étaient entrés en conflit à la suite de l’accroissement démographique et de la nécessité de contrôler les ressources vitales sur l’espace vital commun. Le groupement de Kamenga vivait sous l’autorité de Kankunku depuis des années et devait normalement être affranchi par ce dernier pour devenir un groupement autonome. Il semblerait que ce soit la mauvaise gestion supposée de Kankunku qui ait motivé les élans d’affranchissement de son frère Kamenga.

Kankunku était opposé à l’affranchissement de Kamenga car celui-ci se serait traduit par une perte en pouvoir et en influence : le marché local très juteux se trouvant du coté de Kamenga, son espace de terre se serait vu rétréci et donc son pouvoir aussi.

Face à cette opposition, Kamenga avait entrepris des démarches administratives pour accéder à son autonomie en tant que groupement. Ce qui n’avait évidemment pas plu à Kankunku qui après s’être référé à la justice sans obtenir gain de cause, avait cherché à affirmer son autorité en prenant des décisions et en posant des actes qui avaient conduit à des affrontements et à un conflit ouvert ayant entraîné la mort de plusieurs personnes.

Eléments déclencheurs :

Un élève de l’institut Technique Social de Kamenga à la recherche de bois pour se fabriquer la braise en vue de payer ses études, avait été appréhendé par des agresseurs, tabassé à mort et relâché suite à l’intervention d’un passant. Puis, deux femmes ramassant le bois de chauffage non loin du village avaient subi le même sort.

Plus tard dans la soirée, le village avait été pris d’assaut par une attaque surprise ; des cases avaient été brûlées à l’entrée et un notable, sorti pour vérifier l’origine du feu, avait reçu des balles tirées par les assaillants ; touché à l’épaule droite il s’était écroulé en criant au secours. Il avait été secouru par les siens sous des tirs nourris au fusil de chasse de fabrication locale des assaillants de Kankunku et avait été acheminé à l’hôpital Bon Berger de Tshikaji pour des soins appropriés. Une fois rétabli, cet homme était retourné au village bien qu’ayant perdu les capacités d’utiliser son bras droit.

Le pire était arrivé dans la matinée du 29 Mai 2012 à la suite d’une enquête menée par le Commissaire de Police du Secteur MUTEFU, sur indications du Sous commissaire de Kamenga au sujet du meurtre d’un jeune ressortissant de Kankunku par des inconnus.

A la découverte du cadavre, ce Commissaire s’était rendu à Kankunku et avait alerté la population que les gens de Kamenga avaient tué leur frère. Ceux- ci, armés de fusils de chasse et autres armes blanches, s’étaient alors rués sur Kamenga en vue de récupérer le cadavre de leur frère. Ils avaient incendié des maisons, pillé des biens et tué un vieillard de 73 ans du nom de KABADUNDI, le seul qui n’avait pas fui le village ; sous l’œil impuissant du commissaire de police et de 15 éléments qui l’accompagnaient dans ces opérations.

III. Acteurs

Trois types d’acteurs ont été identifiés de part et d’autre dans ce conflit :

1. Les acteurs de premier rang :

  • Le chef de secteur KAMUANDU,

  • Le Commissaire de police CIAT/MUTEFU, sieur Symphorien KANKU,

  • Le Sous Commissaire du Sous CIAT/KAMENGA, sieur KASONGA TSHIMANGA,

  • Les chefs KANKUNKU et KAMENGA

  • Certains notables de KANKUNKU et KAMENGA.

2. Les acteurs secondaires :

Les notables/capitas KALANGUKA, TSHIBENJI, NYINDU KABEMBA, MULUMBA KABUYA et BAWERO KANKUNKU.

3. Les autres acteurs (troisième rang) :

L’inspecteur de la territoriale NDUMBI NGALAMULUME identifié comme auteur de toutes les démarches de reconnaissance de KAMENGA en tant que groupement autonome par les autorités provinciales à Kananga

4. Perception des parties prenantes :

Les parties directement concernées sont très méfiantes les unes envers les autres. Kankunku pense que les ressources du marché sous le contrôle de Kamenga qui s’est affranchi par des démarches administratives, lui fera perdre son influence et son pouvoir. L’affranchissement de Kamenga a aussi une incidence sur le contrôle des terres qui vont également affaiblir l’autorité de Kankunku.

Alors que pour Kamenga, la mauvaise gestion de Kankunku et son refus d’affranchir Kamenga sont des signes qui l’incitent à se passer de lui.

IV. Enjeux

La cause principale de ce conflit est le contrôle du pouvoir coutumier avec deux enjeux principaux, à savoir :

  • La gestion du marché local ;

  • L’exploitation des terres agricoles par les deux communautés.

Les intérêts en présence et les besoins des parties peuvent être résumés comme suit :

1. Positions des parties en conflit :

Communauté KamengaCommunauté Kankunku
– 1. Pouvoir coutumier : Reconnaissance de l’existence du groupement par KANKUNKU– 1. Pouvoir coutumier : Que KAMENGA accepte qu’il n’est pas affranchi et qu’à ce titre, il dépend de KANKUNKU
– 2. Terres arables : Reconnaissance de la propriété des terres appartenant à KAMENGA– 2. Terres arables : Toutes les terres du groupement relèvent de KANKUNKU
– 3. Marché : Le marché qui existe depuis des générations ne peut en aucun cas être délocalisé– 3. Marché : Que le marché de KAMENGA soit délocalisé vers KANKUNKU afin d’asseoir l’autorité du chef KANKUNKU sur son groupement.

2. Exigences des parties en conflits:

–- Communauté Kamenga–- Communauté Kankunku
– 1. Réparation de tous les dégâts causés par KANKUNKU et sa population avec la complicité de la police locale– 1. Que l’Etat respecte le mode coutumier d’affranchissement du village KAMENGA en groupement
– 2. Pardon et réconciliation– 2. Que le respect de l’autorité coutumière par les services et agents de l’Etat soit de mise
– 3. Autonomie du groupement– 3. Pardon et réconciliation communautaire
– 4. Prise en charge des victimes des attaques meurtrières de KANKUNKU, sa population ainsi que la police locale

V. Action

Avec notre assistance technique et l’appui logistique de Mission des nations pour la stabilisation au Congo, une structure de la société civile locale « TDH » Travail et Droits de l’Homme, spécialisée dans la Gestion des conflits, a organisé des missions d’analyse de ce conflit et réalisé la médiation ainsi que le suivi du processus de cohabitation pacifique intercommunautaire durant une année.

1. Types d’actions préconisées :

Afin d’atténuer les tensions et pour inverser les dynamiques des conflits, les types d’actions suivantes ont été préconisées :

  • Analyse du conflit pour en déterminer les acteurs et les enjeux.

  • Contact des acteurs clés afin de connaître les opinions et les vues des parties.

  • Analyse des propos des parties prenantes et préparations d’une pré-médiation afin de rapprocher les vues sur des points importants et vitaux.

  • Médiation - négociation des acteurs clés afin de dégager les points susceptibles de mettre les parties d’accord et de juguler le conflit.

  • Célébration de l’accord de réconciliation en vue de recréer les conditions normales de vie dans la communauté.

  • Formation de médiateurs communautaires locaux pour doter la communauté de personnes ressources pouvant prévenir les conflits ou les détecter précocement.

  • Suivi de la mise en œuvre des accords de paix signés entre les deux parties et consolidation.

  • Evaluation des besoins de relèvement communautaire à travers l’appui à des petits projets intégrateurs entre ces deux communautés pacifiées.

2. Présentation de l’organisation de mise en œuvre :

« Travail et Droits de l’Homme » - TDH en sigle - est une ONG de droit congolais spécialisée dans la gestion des conflits, la réforme du secteur de sécurité et de justice, la promotion et la protection des droits de l’homme. Elle totalise à ce jour, 12 ans dans ce domaine et est en phase de produire une cartographie des conflits de la province du Kasaï Occidental ; elle envisage la formation de plus de 500 médiateurs communautaires sur toute l’étendue de la province.

Le cas évoqué dans ce document a été suivi par Mr Anaclet Tshimbalanga, point focal de lunité de médiation Kasai Occidental avec l’assistance technique de Mr Guy BULA – BULA MVULA.

VI. Résultats - défis

1. Les résultats obtenus :

  • Les Chefs KANKUNKU et KAMENGA ont reconnu appartenir tous à une seule et grande famille de BAKUA TSHIAME et qu’il ne pouvait être envisageable de s’entretuer pour des questions de pouvoir ;

  • Le chef KAMENGA a reconnu l’autorité de son aîné, le chef KANKUNKU, en tant que grand chef de sa famille : BAKUA TSHIAME, le seul à pouvoir l’affranchir en tant que chef de nouveau groupement KAMENGA ;

  • Le chef KANKUNKU a accepté d’affranchir KAMENGA à condition qu’il se soumette à lui ;

  • En présence du chef de Poste d’Encadrement Administratif de MUTEFU et Administrateur de territoire assistant ; représentant personnel de l’Administrateur de territoire empêché, les chefs des familles/notables ont accepté de se réunir autour du chef KANKUNKU (KAMENGA compris) pour régler coutumièrement tous les dossiers à la base de ce conflit ayant occasionné la mort de plusieurs personnes et d’autres dégâts collatéraux.

2. Les défis encore à relever :

  • Aborder les problèmes de fond ayant trait à la répartition des ressources entre les deux entités – groupements. Les ressources du marché et la gestion des terres.

  • Consolider la paix en organisant des espaces d’intérêts communs entre les deux communautés dans le cadre du relèvement communautaire.

  • Harmoniser les rapports entre les autorités étatiques et la police ainsi que les autorités coutumières. Vulgariser les textes en la matière ou en élaborer.

VII. Conclusion

La récurrence des conflits de succession ou d’affranchissement coutumier pose un problème d’administration de l’Etat. Il est observé qu’en dépit des règles d’affranchissement, les autorités administratives prennent des mesures pour semer la confusion dans la gestion du pouvoir coutumier.

Les liens et les passerelles ne sont pas clairement fixés et cela laisse libre cours aux personnes qui prennent des décisions sans en mesurer les conséquences.

Ce conflit aurait pu être évité si les méandres de l’administration avaient tenu compte de la nécessité du dialogue pour régler les problèmes qui se posent au sein de la communauté. Guidés par des intérêts pécuniaires, ces préposés ont délivré des papiers d’affranchissement sans suivre la procédure et surtout sans prévoir la réaction de l’autre camp de Kankunku.

Il serait important d’instaurer dans des contrées rurales des tribunaux spécifiques ou des instances spécifiques chargés des affaires coutumières en privilégiant la médiation et le règlement à l’amiable des différends au lieu de se référer à la justice traditionnelle dont les effets engendrent très fréquemment des dégâts aussi bien humains que matériels.

En ce qui concerne ce conflit, il est important de s’attaquer aux défis évoqués ci-dessus pour qu’une solution à long terme soit trouvée.