Fiche d’acteur Dossier : Les Organisations Non-Violentes en France

Guillaume Gamblin, Paris, 2004

Les IFMAN, Instituts de Recherche et de Formation du MAN

Le développement et l’évolution de la formation à la non-violence en France

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I. Un réseau français de chercheurs-formateurs

A. Une activité de formation issue du MAN

C’est au sein du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN) que l’idée d’un Ifman apparaît, à la fin des années 1980. D’une part l’expérience militante des membres du MAN, depuis sa création en 1974, conduit plusieurs groupes locaux du Man à organiser régulièrement des formations sur les attitudes non-violentes dans des contextes de luttes et d’actions socio-politiques, à la demande d’autres mouvements de la société civile, et pour la formation interne de ses adhérents. Ces formations sont de plus en plus reconnues et demandées. D’autre part, il existe au sein du MAN un « réseau éducation » dont les membres réfléchissent aux principes et méthodes d’une éducation non-violente, tout en cherchant à les expérimenter dans leur vie professionnelle ou personnelle.

Une interrogation devient de plus en plus importante pour beaucoup : comment apprendre dès l’enfance des attitudes de résolution constructive des conflits, comment promouvoir concrètement une « culture de non-violence » ? C’est dans ce contexte, où la formation commence à prendre une place importante dans leur vie militante, et où ces interrogations se font plus exigeantes, que des membres du MAN-Normandie décident de franchir le pas et de passer d’une activité formatrice purement militante et bénévole, à une activité insérée dans la société et reconnue professionnellement.

B. Une première expérience régionale

Le pari fait en 1989 par des membres du MAN-Normandie est donc de faire vivre une structure de recherche et de formation ayant une approche spécifiquement non-violente de la gestion des conflits. L’aventure commence par une série d’interventions rémunérées, soutenue par un travail de contacts locaux pour se faire connaître et reconnaître du public. En 1992, François Lhopiteau devient le premier salarié à plein temps de l’Ifman-Normandie, qui se structure en association. Des questions se posent alors au sein de celle-ci : dès lors qu’ il s’agit de rémunérer un salarié, il n’est plus possible d’intervenir pour des prix modiques à la faveur d’interlocuteurs sociaux peu aisés, mais il est nécessaire, pour avoir un budget équilibré, de proposer des tarifs comparables à ceux des autres instituts de formation. Comment dans ce contexte ne pas trahir ses racines militantes ? Un choix difficile est alors fait : celui de distinguer clairement entre les formations relevant de l’Ifman, et à ce titre proposées à des tarifs professionnels viables, et les formations relevant de l’engagement militant et bénévole de chacun, au sein du MAN, durant le temps libre. De ce fait une distinction très claire est établie entre les deux structures du Man et de l’Ifman, ce dernier restant toutefois très lié au premier et se rattachant ouvertement à lui, ne serait-ce que dans sa dénomination. Aujourd’hui l’Ifman Normandie emploie quatre salariés et demi.

C. La multiplication des Ifman régionaux

A la suite de cette expérience concluante en Normandie, et en raison d’évolutions et de besoins semblables de membres du Man en d’autres lieux, plusieurs Ifman apparaissent ces dernières années. En juin 2003, il existe des Ifman en Bretagne (affilié à celui de Normandie) ; dans le Nord Pas-de-Calais, en Rhône-Loire, en Paca, et dans le Sud-Ouest. Les six Ifman se trouvent en 2003 à des étapes différentes de leur développement. Certains emploient un ou plusieurs salariés à plein temps.

D. Une fédération de structures autonomes travaillant en réseau

L’ancrage de chaque Ifman dans un milieu local et régional est jugé très important. La bonne connaissance du tissu social et de ses acteurs s’avère nécessaire à la réussite de l’entreprise, surtout à son début.

Chaque Ifman est autonome, avec un Conseil d’Administration. Chacun gère donc son programme de formation, son organisation et ses finances. Les Ifman actuels et à venir ne sont aucunement des succursales d’une maison-mère normande. Il existe cependant une charte commune à tous les Ifman. Il y apparaît une déontologie et une orientation communes pour aborder l’ensemble des questions qui se posent à la régulation non-violente des conflits dans la société. L’appellation « Ifman » devrait être prochainement déposée.

Au-delà de ces aspects organisationnels, le réseau se veut porteur d’une dynamique propre, de recherche sur la résolution non-violente des conflits. Des contacts fréquents et des rencontres communes permettent de travailler les approches pédagogiques, d’échanger sur les expériences de chacun, de travailler sur l’aspect « recherche » qui est intimement lié à l’aspect « formation », d’élaborer des constructions théoriques collectives issues de la confrontation des expériences de chacun. L’aspect recherche accapare de plus en plus d’énergie et de temps, mais ce secteur est nécessaire pour approfondir et renouveler le champ des formations. Pour cette recherche, les Ifman n’hésitent pas, par exemple, à travailler les problématiques et les contenus de certaines de leurs interventions avec d’autres Institut de formation, comme par exemple Reliance (38), ou I.E.C.C.C. (12), lesquels sont issus également, à des degrés divers, de la mouvance militante non-violente.

II Des domaines d’intervention multiples

A. Une demande diversifiée

C’est la bonne connaissance du terrain local qui permet aux membres des Ifman de déceler les attentes sociales en matière de formation à la gestion des conflits et des violences, et de proposer des types de formation adaptées à celles-ci. Les attentes sociales sont nombreuses et diverses. Elles émanent souvent d’institutions éducatives, socio-éducatives, médico-sociales, culturelles ou d’administrations, comme par exemple l’Anpe. Elles ont en commun d’employer des personnes qui rencontrent quotidiennement des situations de conflit, d’agression, parfois de violences, et qui sont peu ou pas du tout formées pour y faire face. C’est ainsi que les commandes de formation viennent le plus souvent pour des interventions auprès d’enseignants, agents éducatifs, animateurs socio-culturels, éducateurs spécialisés, concierges, caissières, vigiles, guichetiers, personnel d’accueil, médiateurs de quartiers, assistants sociaux etc.

Les formations ne touchent qu’indirectement un public de jeunes enfants, d’élèves, ou d’ individus en grande précarité. Mais en formant des personnes en charge professionnelle de ces populations, les stagiaires sont invités acquérir des savoir-faire et des savoir-être qui précisément seront propices pour agir auprès des premiers intéressés.

B. Des partenariats variés

Cette multiplicité et cette diversité des demandes d’intervention amènent les Ifman à travailler en partenariat avec des interlocuteurs eux-mêmes très divers : Services municipaux, Conseils régionaux et généraux, Préfectures, DPJJ, Anpe, Ddass, mais aussi l’Education nationale et l’Enseignement catholique, les Iufm et les Cfp, et encore avec les centres sociaux, les Instituts médico-éducatifs, les Foyers de l’enfance, des associations culturelles, mais également des entreprises comme certains hypermarchés, etc.

Ces partenariats perdurent bien souvent au fil des années, signe d’une volonté de travail sur le long terme et de suivi régulier, de la part des structures exprimant ces demandes, et signe d’une satisfaction des exigences et besoins des interlocuteurs de la part des Ifman.

Il est très difficile de mesurer le nombre de personnes formées depuis la création des Ifman ; on peut seulement dire que cela se compte en centaines et peut-être en milliers, ces personnes ayant elles-mêmes un impact multiplicateur par les contacts professionnels quotidiens pour lesquels elles se forment. Ce sont également des institutions, des structures qui en sont modifiées dans des proportions diverses, ce qui rend insuffisant un simple décompte du nombre de personnes formées. Concernant l’impact des formations sur le plan humain et professionnel, une enquête « à froid » est en train d’être réalisée auprès d’un certain nombre de personnes formées depuis plusieurs années, dont les résultats sont en train d’être recueillis.

En ce qui concerne les partenaires non-violents, des relations de plus en plus régulières sont tenues avec les autres organismes proposant et organisant des activités de formation. Quelques rencontres ont lieu avec des formateurs d’autres mouvements comme l’Arche, le MIR, ou le Cun du Larzac, à l’occasion par exemple de formations de formateurs. Un lien étroit en ce domaine existe avec le Man, dont les formations peuvent être assurées par les mêmes personnes. Une volonté forte de travailler ensemble est bien présente. Le réseau Ifman demande à lui seul beaucoup d’énergie pour échanger, or cette activité n’est pas directement financée.

Il convient de souligner que la formation pour l’Intervention Civile de Paix est assurée par les Ifman, en lien avec d’autres formateurs d’autres organismes, et cela à la demande du Comité Français pour l’Intervention Civile de Paix. D’autres coopérations ont lieu par ailleurs, comme avec la revue de recherche Alternatives Non-Violentes, pour apporter une contribution sur un thème de recherche-action des Ifman, également avec le bimestriel Non-Violence Actualité.

Dès 1992, l’Ifman Normandie avait fait le pari d’une viabilité financière reposant pour la formation sur les prestations proposées, et non sur une dépendance vis-à-vis de subventions extérieures. Ce pari a été gagné aujourd’hui, l’activité de formation est viable économiquement. Elle ne permet pas cependant de dégager des fonds suffisants pour financer le travail de recherche issu de cette première, et notamment la réalisation d’un travail de capitalisation des recherches élaborées depuis 12 ans, qui est en passe de déboucher sur la publication de quatre ouvrages collectifs. C’est dans le cadre de cette activité primordiale et très fructueuse que les Ifman se sont tournés vers la recherche de partenariats méthodologiques et financiers, auprès d’organisations comme la Fondation pour le Progrès de l’Homme.

C. Une méthode singulière

L’un des aspect essentiels qui distingue les Ifman des autres instituts de formation, et qui en fonde tout l’intérêt, réside dans les méthodes pédagogiques utilisées dans le cadre de ses formations. Alors que la plupart du temps la démarche proposée est celle d’un apport théorique suivi de questions de la part des stagiaires, le choix des Ifman consiste à partir des situations vécues, de conflit et/ou de violence, pour ensuite pouvoir apporter des éléments de décryptage et d’analyse.

Avant la formation proprement dite, au moment de la demande d’intervention, un travail d’ajustement est réalisé avec les intéressés pour éclaircir quels sont les points de difficulté rencontrés, quels sont les objectifs de cette demande d’intervention ; ainsi qu’une étude du terrain spécifique de l’intervention. Aucune formation n’est identique à une autre. Un effort est fait chaque fois pour ajuster l’offre de formation au contexte et aux enjeux spécifiques de la demande.

La formation proprement dite peut varier dans la durée et dans les modalités selon le contexte ; toutefois un rythme de trois modules de deux jours séparés de quelques mois est souvent retenu, car ayant fait les preuves de sa pertinence. La participation aux formations doit être volontaire, et intégrale.

Les méthodes utilisées répondent aux grandes intuitions de départ des Ifman, qui n’ont cessé d’être confirmées dans la pratique. Cela n’empêche pas une évolution et des ajustements permanents, grâce à un travail d’évaluation après chaque intervention. Les formateurs emploient des méthodes qu’ils ont dû inventer eux-mêmes dès le début, issues du croisement entre leurs expériences dans des lieux de formation traditionnels, et les grandes intuitions élaborées et expérimentées dans les mouvements non-violents. Les méthodes utilisées ne se rattachent pas à une école particulière, mais veulent s’inspirer librement et de façon cohérente de la diversité des apports des sciences humaines, de la psychanalyse, en tenant compte des évolutions permanentes en la matière.

La formation repose sur l’expression émotionnelle des personnes, sur la mise en valeur de leur ressenti face aux conflits, tensions et violences auxquelles ils ont à faire face. Cette possibilité d’expression de leurs émotions est si inhabituelle dans le cadre de formations professionnelles, que beaucoup le vivent comme une « libération ». Certaines des scènes qui ont été exprimées dans un cadre restreint, sont ensuite jouées ensemble, avec des méthodes de théâtre-forum. L’essentiel est d’une part la prise de conscience par les participants de l’importance des processus émotionnel par rapport aux raisonnements dans les moments de crise, et d’autre part la découverte pour chacun de ses propres réactions en situation de tension ou de violence. En situations d’agression, « je vois toujours les certitudes théoriques s’effondrer et des processus émotionnels émerger fortement, y compris chez des personnes bardées de bagages théoriques », constate François Lhopiteau. C’est pourquoi le travail ne se fait pas d’abord au niveau des connaissances, mais sur les manières d’être, pour soi-même et dans sa relation aux autres. Il s’agit de permettre à chacun de se connaître, de prendre confiance lui ; en l’aidant à révéler son propre potentiel.

Cette insistance sur l’importance des émotions ne signifie pas que l’aspect émotionnel est surévalué, mais c’est à partir de cette base que les formateurs peuvent faire un travail d’accompagnement, tout en proposant des grilles d’analyse et des éléments de théorie. Il s’agit bien de partir des expériences et du vécu pour apporter des éléments d’analyse et de théorie. Ces derniers sont indispensables, mais ils ne constituent pas l’essentiel de l’apport des formations proposées. Car, au final, ce sont les prises de conscience concrètes des propres réactions de chacun ou de celles d’autrui qui vont être marquantes et pouvoir faire évoluer les comportements.

L’une des originalités enfin des formations des Ifman est la dimension interprofessionnelle. Elle est privilégiée autant que possible, pour décloisonner les problèmes, favoriser la connaissance et l’écoute mutuelle des problèmes rencontrés comprendre les violences ressenties par les autres acteurs sociaux, dans un quartier par exemple (formations pouvant réunir concierges, éducateurs, assistants sociaux, animateurs culturels, etc). Cette démarche a confirmé son intérêt dans l’expérience.

D. Des publications pour capitaliser les expériences : l’aboutissement d’un long travail de recherche

La recherche est l’aspect le moins visible pour les Ifman, mais tout aussi fondamental que la formation. Elle est la condition de l’évolution et du réajustement constants des méthodes utilisées en formations, et à ce titre de la qualité de celles-ci. Ce domaine prend une part importante du temps de travail des formateurs des Ifman, Instituts de recherche et de formation du Man. Le travail considérable de recherche réalisé depuis douze années est en train de déboucher sur une élaboration collective qui marque un pas important dans l’histoire des Ifman. Un travail de synthèse a été entrepris afin de dégager des éléments de connaissance issus de cette activité, et débouche sur la réalisation et la publication de quatre ouvrages sur différents domaines d’intervention : « Régulation non-violente des conflits », « Grandir », « Vous avez dit sanction ? « , et « Intervenir aux frontières de la loi ». Ces ouvrages devraient être publiés au cours des semestres prochains, en partenariat avec la FPH.

On peut vraiment parler d’un aboutissement pour le patient travail de recherches communes réalisé par les formateurs à partir de leurs pratiques, dans une démarche inductive, puisque l’expérience de terrain aboutit ici à une construction de connaissances.

Sources :

  • Entretiens avec François Lhopiteau, François Vaillant et Walter Deumer des 6 et 7 Mai 2003 - plaquettes et brochures de présentation des Ifman.

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